«Spare Parts», la recherche biomédicale sous l’œil des artistes à Londres
Publié le 29 avril 2019 par Marie Albert
La toute nouvelle Science Gallery London accueille jusqu’au 12 mai l’exposition «Spare Parts», autour de la réparation du corps humain et de la manipulation du vivant.
Londres, envoyée spéciale
A deux pas du London Bridge, au pied de la tour The Shard, la Science Gallery de Londres a ouvert ses portes en septembre 2018. Elle rejoint ainsi un réseau international de galeries dédiées aux croisements art-science, dont la pionnière a été lancée par le Trinity College à Dublin il y a 10 ans. Leur point commun ? Elles dépendent directement d’universités de renommée internationale qui souhaitent intégrer les arts et le design dans les processus d’innovation et accélérer la transition des STEM aux STEAM (ajouter l’art et le design aux sciences, technologies, ingénieries et maths).
A Londres, c’est le King’s College, une des plus anciennes universités du Royaume-Uni dont la réputation académique n’est plus à démontrer, qui porte le projet de la Science Gallery. Installée dans une ancienne aile de l’historique hôpital Saint-Guy, celle-ci jouit d’un espace entièrement rénové de 2000 m2.
Inaugurée en septembre 2018, sa première exposition, « Hooked », était consacrée aux addictions, et celles à venir porteront successivement sur la physique, l’anxiété et le genre. Si les Science Gallery fonctionnent en réseau et ont vocation à produire des expositions itinérantes entre leurs membres, elles ont aussi chacune leur ADN, celle de Londres étant positionnée sur une thématique art, science et santé.
Une exploration artistique de la recherche biomédicale
Encore visible jusqu’au 12 mai, l’exposition « Spare Parts » (pièces de rechange) a pour vocation d’explorer les dernières avancées scientifiques (y compris de toutes nouvelles études du King’s College) dans le champ de la recherche biomédicale. Quels sont les aspects psychologiques et émotionnels qui se cachent derrière la greffe d’organes ou la chirurgie réparatrice ? Comment des « pièces de rechange » données, modifiées ou augmentées peuvent-elle s’intégrer à l’intérieur ou à l’extérieur de notre corps ?
Comme l’explique Judit Agui, assistante de production : « Nous avons essayé de démythifier certains aspects des biotechnologies, de faire la lumière sur des techniques existantes tout en proposant des travaux plus spéculatifs et prospectifs autour de la médecine du futur… ».
Ce qui ressort tout au long du parcours, c’est aussi une approche artistique résolument affirmée. Avec une scénographie épurée et des cartels assez peu développés, nous sommes loin des dispositifs de médiation mis en place dans les lieux de culture scientifiques et techniques. A la différence de « La Fabrique du Vivant », la récente exposition du Centre Pompidou autour des biotechnologies, ici, pas de timeline pédagogique et peu de vidéos, mais de nombreux médiateurs (majoritairement des étudiants) prêts à répondre aux questions, de manière assez informelle.
Entre recherche scientifique de pointe et installations low-tech
« Spare Parts » se déploie autour d’une quinzaine d’œuvres dont la majeure partie sont le fruit de collaborations entre artistes et scientifiques.
C’est le cas de New Organs of Creation, réalisée par le studio londonien Burton Nitta en collaboration avec Lucy Di-Silvio et Trevor Coward, tous deux chercheurs à la Faculté des sciences dentaires, orales et craniofaciales du King’s College. Cette œuvre présente un développement hypothétique du larynx humain, s’inspirant de l’anatomie du koala et du chat pour produire des basses fréquences sonores. La recherche a montré que ces fréquences sonores peuvent aider à transformer les cellules souches en cellules osseuses, un potentiel qui pourrait être un jour utilisé pour combattre l’ostéoporose. En diffusant un enregistrement sonore de citoyens anglais exprimant leurs espoirs pour la nation, Burton Nitta propose dans cette installation une vision artistique et politique de ces techniques de génie tissulaire.
L’artiste Tabatha Andrews interroge la façon dont des modifications sensorielles peuvent affecter la perception de notre environnement, avec deux projets : Disturbance, un mur acoustique composé de feutre de laine recyclée qui absorbe le son et modifie notre relation à l’espace, et Listening Objects, un casque audio surdimensionné qui agit à la fois comme un détecteur de sons et comme un amplificateur.
Allant plus loin dans le côté expérientiel, le designer Agi Haines nous propose avec The Anatomy Lesson: Dissecting Medical Futures, de réaliser des actes médicaux « futuristes » tels que le nettoyage d’un filtre à nanoparticules installé dans une trachée. Une façon d’interroger la médecine de demain, ses innovations technologiques et leur désirabilité…
Une autre vision prospective de la chirurgie nous est offerte par la designer Salomé Bazin, fondatrice de Cellule, un studio de design pour l’innovation dans le champ de la santé et Pablo Lamata du département d’ingénierie biomédicale du King’s College. L’installation Big Heart Data présente un programme de modélisation numérique du cœur humain permettant de visualiser la croissance d’un cœur donné, et d’anticiper de potentielles maladies cardiaques. Un mur de cœurs modélisés et imprimés en 3D nous invite à réfléchir sur notre individualité et la façon dont celle-ci se matérialise jusque dans nos organes vitaux…
Avec une approche beaucoup plus low-tech et DIY, les deux installations Vessels of care and control abordent la question de la création et du maintien de la vie et interrogent notre rapport à la nature.
The Hivecubator 2.0 de l’artiste, chercheur et apiculteur Michael Bianco met en lumière l’inter-dépendance entre humains et abeilles. Un incubateur DIY de cellules humaines est connecté à une ruche d’abeilles, dont l’activité permet de produire la chaleur nécessaire à la culture in vitro des tissus vivants.
Le Compostcubator 2.0, d’Oron Catts et Ionat Zurr, un incubateur low tech installé dans la cour de la Science Gallery permet quant à lui d’exploiter la chaleur fournie par les microbes présents dans le compost pour développer et maintenir vivantes des cellules cicatricielles de souris. Le spectateur est invité à surveiller la température du compost, lui permettant de vérifier si la culture de tissus survit. Oron Catts (par ailleurs co-fondateur du centre de bioart australien SymbioticA) et Ionat Zurr étaient déjà à l’origine du Tissue Culture and Art Project en 1996, utilisant la culture tissulaire et les biotechnologies pour créer des sculptures semi-vivantes.
La médecine du futur, de la réparation à l’augmentation du corps humain ?
En affirmant les liens étroits qui peuvent exister entre pratiques artistiques et scientifiques, l’exposition « Spare Parts » démontre à quel point la recherche médicale est connectée à l’évolution de notre société et façonnée par notre culture, dans ses dimensions éthiques, technologiques et philosophiques. Le travail d’Amy Congdon, explorant l’application de techniques traditionnelles d’artisanat comme la broderie ou la dentelle au domaine du génie tissulaire en est un exemple marquant. Avec le projet Crafting the body, elle nous fait entrevoir un futur, certainement pas si lointain, où la réparation du corps pourrait prendre la forme d’une œuvre d’art.
L’exposition « Spare Parts » à visiter jusqu’au 12 mai à la Science Gallery London.
A l’horizon 2020, 5 nouvelles Science Gallery doivent ouvrir à Detroit, Bangalore, Venise, Melbourne et Rotterdam.