Déjà vingt ans de Solar Sound System, l’occasion pour Makery de revenir sur l’épopée du projet avec le fondateur Cédric Carles.
A partir du 21 mars avec un premier rendez-vous de 20 heures de stream sur la Radio 3S et une fête à la Station E à Montreuil, le Solar Sound System proposera cette année une série d’événements pour célébrer vingt années d’existence. Entretien fleuve en deux partie réalisé le 4 mars 2019.
L’aventure Solar Sound System a commencé à Lausanne, peux-tu nous raconter comment tu en es venu à fonder ce projet ?
« Je débarque pour la première fois à Lausanne en 1998, au départ dans des espaces plutôt alternatifs. A cette époque je suis en école de design à Orléans et je m’intéresse beaucoup à l’écologie, au recyclage de matériaux, aux changements de modes de vie. A tel point que je me mets à regarder beaucoup ce qu’il se passe en Afrique, à Dakar notamment, un contexte que je rencontre par une exposition de designers africains qui questionne l’économie de matériaux, le recyclage. Je suis à l’époque proche de gens de l’école comme le collectif La Cellule, qui amène déjà une réflexion critique sur les technologies et la consommation, cela malgré des enseignants qui ne nous comprennent pas toujours. Je m’intéresse aussi à l’obsolescence programmée, une expression qui commence à circuler, et c’est là que je rencontre des gens de Lausanne extrêmement actifs dans des lieux alternatifs, des squats reconnus par la ville, avec pignon sur rue, et qui sont déjà dans le solaire thermique sur le toit, le photovoltaïque, qui font de la récup’ alimentaire avec les maraichers, les industriels du pain voisins, qui sont déjà dans des circuits courts, dans ce que l’on appelle aujourd’hui l’économie circulaire ou la fabcity. J’y fait plusieurs séjours et y trouve un mélange de personnes très activistes, de vegans et d’antispécistes qui parlent de l’impact écologique de l’alimentation, mais aussi d’universitaires, d’ingénieurs, d’associations de prototypistes qui sont plus âgés et qui apportent des réflexions vraiment intéressantes.
Comment se traduit ta formation de designer une fois là-bas ?
« Je sais qu’il faut que je continue à me former sur les questions écologiques et climatiques, sur l’énergie et dans les domaines techniques en lien avec l’écologie. J’ai soif de matière sur ces sujets. Je vais notamment participer à une formation continue de l’EPFL / Université de Lausanne sur le passage aux énergie renouvelables et qui propose aussi des modules introduisant la question des limites du système-Terre. Une rencontre importante à ce moment-là est celle d’Olivier Jolliet, un chercheur qui réalise des calculateurs d’écobilans en Suisse. Cela m’apporte énormément de nourriture intellectuelle et me reconnecte avec des questionnements de designer sur nos modes de vie non soutenables, notre consommation quotidienne, l’impact de l’énergie grise, celle qu’on ne voit pas, dont personne ne parle, alors qu’on peut agir de suite dessus en consommant plus intelligemment. A ce moment là, je vais aussi travailler dans la pose de panneaux solaires sur les toits pour comprendre comment cela fonctionne dans le concret. Je vais suivre des cours auprès de l’Ader (l’Association pour le Développement des Energies Renouvelables) pour savoir construire son propre régulateur d’énergie pour le solaire. Entre les panneaux et les batteries, il faut des régulateurs et je veux comprendre comment cela se construit en mode DiY. Je suis fasciné par le fait de pouvoir faire de l’électricité avec de la lumière, ce sont les prémices de la création du projet Solar Sound System.
Donc c’est l’écosystème militant écologique suisse qui va faire naitre le projet ?
« Il faut comprendre que Lausanne est très en avance sur ces questions, notamment à cause de l’accident nucléaire de la centrale de Lucens en 1969 qui se trouvait à une vingtaine de kilomètres de la ville. Un des lanceurs d’alerte important sur la question fut par exemple Pierre Lehmann, un ancien ingénieur nucléaire qui avait travaillé sur le chantier de la centrale au début des années 1960 avant de devenir extrêmement critique du projet. Après l’accident, Lehmann et deux de ses collègues vont créer en 1971 la SEDE, la Société d’Etude de l’Environnement, un peu pour mesurer l’impact de l’accident. Il va ensuite multiplier les études et recherches et devenir un grand promoteur de la décroissance et contribuer au développement de l’Ader. Pierre a notamment beaucoup travaillé avec l’Ader sur les questions de décentralisation des énergies et fait des scénarios sur l’autonomie énergétique communale pour la confédération.
« On peut signaler qu’une étude de 2012 sur Lucens a relevé la présence de strontium et que l’accident est considéré comme parmi les dix accidents nucléaires civils mondiaux les plus graves. Je me souviens que quand on en parlait à Lausanne les gens n’étaient pas au courant. Aujourd’hui une page Facebook « Remember Lucens » s’applique à faire en sorte qu’on oublie pas l’affaire et la caverne contaminée qui est toujours bien là. Il existe une interview vidéo que l’on a réalisé où il raconte tout cela.
« Les géologues avaient dit à l’époque que la caverne suinterait dans 50 ans, et bien 50 ans plus tard (l’accident à eu lieu le 21 janvier 1969, ndlr) on peut dire qu’ils ne se sont pas trompés.
Et donc comment prend forme concrètement la dynamique autour du Solar Sound System ?
« En Suisse il y a plusieurs fois par année des référendums d’initiative citoyenne et en 2000 les habitants sont sollicités sur un référendum « pour l’introduction d’un centime solaire », pour instaurer une nouvelle taxe indexée de 0,1 centime par kilowattheure à la consommation pour toutes les formes d’énergie non renouvelables, avec une redirection vers le renouvelable, dont la moitié pour le solaire. Pour le mouvement écologiste c’est une opportunité énorme et nous nous engageons pleinement dans la campagne pour le « 3 fois Oui ». À cette époque on fréquente beaucoup les rave parties, et je me mets à penser qu’un sound system alimenté en solaire de manière autonome est, en plus de pouvoir faire des raves, un bon moyen de faire la campagne pour le oui. On va recevoir pour cela un peu de soutien des verts suisses, du WWF, de Greenpeace avec qui on partage des locaux, mais plus particulièrement du fondateur de La Bonne combine, François Marthaler, qui dirige aussi le bureau d’ingénieurs en ressources et construction durable (le Bird). À l’époque Marthaler fait beaucoup de conférences sur l’obsolescence programmée, du fait qu’avec La Bonne combine c’est un pionnier du recyclage et de la réparation, de machines à laver, de grille-pains, etc., qui a imaginé un système qui remet des garanties sur les objets réparés. François Marthaler est un visionnaire et va nous sponsoriser les premiers équipements, les déplacements camion, etc. C’est lui qui va permettre d’accélérer le projet. On construit le Solar Sound System avec l’Ader et on va donc monter le sound system sur une charrette de postier et l’amener sur des stands de la campagne, à Neuchatel, Genève, Montreux, Lausanne, etc.
Et la conclusion de la campagne ?
« Malheureusement le centime solaire va être repoussé, mais dans notre milieu activiste et festif, des squats, etc., il y a beaucoup de gens qui aiment organiser des fêtes, les fabriquer, mixer dans des endroits de fou, et qui vont nous dire, « c’est cool ce truc, il faut que cela continue ». Au début on n’a pas vraiment d’étiquette, pas vraiment de nom, on ne cherche pas à être trop visible, jusqu’à qu’on commence à nous appeler pour faire Art Basel, des performances, des fêtes, en France aussi. De fait on sort de l’ombre et le système prend le nom de Solar Sound System. On se rend aussi bien compte à ce moment-là que le soleil c’est super, mais que cela ne marche pas tout le temps, donc pour avoir un système qui reste autonome H24, on installe également des vélos générateurs dessus. On est vers 2004, et à ce moment là on ouvre un MySpace, on pérennise des collaborations, comme avec Tony Light, un pionnier du chiptune et de la micromusique qui nous invite à Milan à jouer au Politecnico pendant le salon du design, puis au Synch Festival en Grèce, où on performe où on veut quand on veut dans Athènes et dans le festival. Tony Light est un mec du mythique collectif italien Otolab, un des concepteurs du LepLoop, une petite beatmachine qu’ils ont développé en DiY au fil des années (LEP pour Laboratorio Elettronico Popolare, ndlr) et qui connaît aujourd’hui un bon succès. On tourne beaucoup en Suisse aussi, à Zurich, à Berne, avec la scène genevoise, dans les montagnes, au Montreux Jazz Festival.
Vous poursuivez votre engagement militant ?
« Oui, en parallèle des activités musicales, qui sont aussi une forme de démonstration concrète de l’autonomie, on devient très actif dans l’éducation à l’énergie. C’est impulsé par le fait qu’en 2001 on va récupérer l’exposition énergie et climat de l’EPFL, avec la volonté de la faire tourner un peu partout. C’est là que je rencontre Martine Rebetez, une experte du GIEC qui travaille à Lausanne et qui nous montre ce qui nous attend en terme de fréquence et d’accélérations d’évènements climatiques extrêmes. Je réalise à l’époque un truc qui fait l’effet d’un coup de marteau et qu’on appelle aujourd’hui effondrement ou collapsologie.
« De cette exposition, les posters, maquettes, etc., devaient partir à la poubelle, ce qui n’était pas logique en matière d’énergie grise, surtout que j’avais insisté pour créer un chapitre sur ce sujet. L’EPFL donne son accord et on montre d’abord l’exposition au Salon du Livre de Genève. On prend conscience avec cette première expérience que son déploiement pour une seule occasion est compliqué et trop couteux, ce qui nous pousse à imaginer une solution qui passe par la conception d’un camion itinérant, un peu façon « c’est pas sorcier ». L’Ader va une nouvelle fois nous soutenir, nous héberger dans ses locaux, nous donner du crédit et nous aider à trouver des financements grâce à leur réputation de 20 ans. On récupère un vieux Mercedes 509D en semi-remorque, une ancienne bétaillère tout aluminium et au toit transparent. On va le retaper, y compris la carrosserie. On y intègre des panneaux solaires souples, une installation solaire thermique, une éolienne, des maquettes de maisons solaires, le Solar Sound System, on fait de la cuisine solaire avec des paraboles, on diffuse la documentation de La Bonne combine, de la documentation sur l’énergie grise. Notre bus roule à l’huile récupérée de friture, on promeut les agro-carburants, on a aussi un module de biogaz, un module de co-génération gaz/électricité, des maquettes de maisons passives avec thermomètre, une caméra thermique… On intervient dans les écoles, on fait des dizaines de campagnes d’économies d’énergies, soutenues pas les Services industriels de Lausanne et de Genève qui sont les régies communales d’électricité et de gaz, comme il y en avait plein en France, avant la création d’ EDF à la sortie de la seconde Guerre mondiale. D’ailleurs, pour l’anecdote, il y a aujourd’hui un mouvement mondial de remunicipalisation des services de l’énergie, c’est aussi ça la fabcity !
« En 2004, sur demande du réseau Sortir du nucléaire, qui apprend l’existence de nos prototypes, on fera un tour de France des centrales nucléaires.
Là vous franchissez la frontière…
« Le projet va en effet intéresser la France, notamment Alter Alsace Energies, Ajena Energie et Environnement dans le Jura, Prioriterre dans le 74 vers Annecy, ce qui va nous amener à penser un programme transfrontalier européen Interreg entre la France et la Suisse. C’est le programme EDEN (EDucation à l’ENergie), que je me retrouve à coordonner et qui va rassembler différents acteurs de l’éducation et de l’énergie dans la période 2005-2007, avec pour but d’échanger sur les approches éducatives menées de part et d’autres de la frontière franco-suisse, mutualiser et créer des outils pédagogiques communs, brochures, documents webs, maquettes, etc., mais aussi de mettre la main sous le capot, toucher et voir de près des panneaux solaires, les dépecer, montrer directement l’effet des photons, fournir des démonstrations très concrètes, jusqu’à manger du popcorn cuit au solaire.
La démarche était d’avoir de la ressource autant tangible que chiffrée. Et donc, en parallèle des fêtes, le Solar Sound System va se retrouver dans des tas d’endroits différents, une cour de lycée, une foire bio, un festival, un IUFM, etc. Le sound system propose une ambiance décontractée autour de la musique et on discute beaucoup avec les gens, on diffuse de l’information de confiance, pour que les gens puissent faire le tri du durable sérieux de ce qui relève de projets opportunistes. »
Retrouvez la seconde partie de cet entretien dans une semaine.
Le site internet du Solar Sound System.
Le stream de 20 heures et l’Aequinoctium Party à la Station E, première série d’événements pour les 20 ans du Solar Sound System, le 21 mars.