La quatorzième édition du festival Gamerz ouvre ce jeudi et vendredi par deux expositions à Marseille et Aix-en-Provence. Makery a rencontré Paul et Quentin Destieu, les pilotes de ce rendez-vous qui a passé le cap des dix ans.
Le festival Gamerz des arts multimédia a la spécificité d’avoir été conçu et d’être dirigé par des artistes. Il est donc particulièrement sensible au soutien de la création sur son territoire, ce qui s’est traduit en une décennie par l’accompagnement de dizaines d’artistes et créateurs dans son Lab Gamerz situé dans le quartier du Bois de l’Aune à Aix-en-Provence. Cette année Gamerz a décidé d’étendre le rayon d’action du festival et ouvrira jeudi par une exposition monographique de Quentin Destieu à la Galerie des grands bains douches à Marseille ; suivie le lendemain par l’ouverture d’une exposition collective à la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence. Une édition 2018 qui se place en association avec la Biennale Chroniques des Imaginaires Numériques qui ouvre également ce vendredi à la Friche la Belle de Mai à Marseille. Quentin et Paul Destieu de l’association M2F Créations qui portent le festival ont répondu aux questions de Makery.
Gamerz étend cette année son territoire au-delà de la ville d’Aix-en-Provence. Cela correspond à une volonté de renouveler le projet ?
Quentin Destieu : Nous avons fêté la dixième année de l’association l’an dernier avec la treizième édition du festival et avons senti effectivement un besoin de renouvellement du projet. Sylvain Huguet voulait prendre du recul sur les responsabilités associatives, et les moyens et le contexte économique évoluant également, il semblait nécessaire de transformer les orientations de l’association et de considérer de nouvelles options. Nous avons clairement la volonté de conserver les activités que nous menons tout au long de l’année dans nos locaux sur Aix-en-Provence, comme les résidences d’artistes, les ateliers pédagogiques, les ateliers de recherche à destination de l’université et des différentes écoles d’art. Mais le passage à la Métropole Aix-Marseille-Provence en 2016 nous a encouragé à nous rapprocher plus encore de différentes structures marseillaises amies comme Otto Prod, Diffusing Digital Art, Art-Cade et la Galerie des grands bains douches, ou encore le festival Databit.me à Arles. Nous cultivons aussi notre identité par rapport à la Biennale Chroniques, en positionnant Gamerz comme étant également un temps de diffusion des travaux menés dans les résidences que nous organisons à l’année. M2F Créations, qui porte le festival Gamerz, n’est pas qu’une structure de diffusion. Nous voulons vraiment affirmer cette vocation d’aide à la création.
Vous envisagez de vous fédérer entre ces différentes structures ? Voir de fusionner ?
Paul Destieu : Avec les associations amies que Quentin vient de citer nous avons beaucoup échangé sur nos programmations respectives par le passé. Nous avons évolué ensemble au fil du temps et cela se traduit cette année par une complicité rapprochée sur la définition du programme de la quatorzième édition du festival Gamerz. Il s’agit pour le moment, non pas d’aller vers la fusion des structures, mais vers plus de mutualisation et de co-productions. Nous souhaitons aussi matérialiser un cercle de recherche qui rassemble depuis quelques temps ces différentes associations ayant le dénominateur commun d’être toutes engagées dans la production artistique. Nous ne voulons pas aplanir ces singularités en une seule structure, mais plutôt trouver des reliefs, un écosystème qui crée des appels d’air à travers les spécificités de chaque structure et consolide un groupe de recherche autour de problématiques artistiques partagées.
Quentin Destieu : Ce groupe doit nous permettre de partager et mutualiser les compétences de chaque structure. Chacun y apporte ses savoir-faire : les croisements internationaux de Otto Prod, les équipements de M2F Créations pour les résidences à Aix-en-Provence et le festival Gamerz comme temps de diffusion, la diffusion internationale de Diffusing Digital Art, le lieu d’exposition des grands bains douches de la Plaine à Marseille. Ce groupe de mutualisation espère aussi faire effet d’appel à d’autres lieux de diffusion sur la métropole.
Quels sont les temps forts de l’édition 2018 ?
Paul Destieu : Ce festival 2018 est organisé autour de deux expositions qui lui donnent sa structure. L’une d’entre elle est l’exposition monographique de Quentin, master/slave, qui vient clore un cycle de recherche personnelle et qui ouvre le 8 novembre à la Galerie des grands bains douches de la Plaine. Elle est présentée dans le cadre de Gamerz mais c’est une co-production Diffusing Digital Art, Otto Prod, Arc-Cade qui s’étirera jusqu’au 15 décembre dans le temps de la Biennale Chroniques.
Quentin Destieu : L’autre exposition sera une exploration collective autour du thème Digitale Défiance à la Fondation Vasarely du 9 au 18 novembre. En 2017 nous nous sommes très investis dans le Parcours d’art contemporain en vallée du Lot dont nous étions commissaires-artistes invités et nous voulions montrer les productions artistiques réalisées lors de ces résidences-retraites à la campagne qui n’avaient pas encore été vues pour le moment sur la région Aix-Marseille. Comme avec par exemple les travaux de Géraud Soulhiol autour de la finitude du monde et des cartes Google Earth qu’il sera possible de voir à la Fondation Vasarely. Les approches artistiques rassemblées dans Digitale Défiance soulignent d’ailleurs qu’il est important de faire un pas de côté par rapport à notre immersion constante dans les technologies actuelles, à la fois pour servir de sonar sur le développement numérique actuel, mais aussi pour ouvrir à des aspects prospectifs sur les futurs que cela pourrait ouvrir.
Paul Destieu : La sélection de pièces que nous proposons souligne les dimensions spéculatives du champ de la réappropriation par des artistes qui sollicitent et confrontent de manière très transdisciplinaire une variété de techniques et d’outils issus de différentes époques. On retrouvera les travaux de Julien Clauss, de Caroline Delieutraz, de Harm van den Dorpel, d’ErikM et de Gérault Soulhiol. Pour l’ouverture Julien Clauss proposera une performance qui activera dès 14h son installation Salle de brouillage, sorte de ZAD radiophonique composée d’une trentaine d’émetteurs connectés sur différentes fréquences de la bande FM qui diffuseront différentes pistes qui vont de la poésie sonore à la musique noise ou industrielle. Son idée est de se réapproprier l’espace radiophonique et de réinvestir la matérialité des ondes.
Quentin Destieu : ErikM, qui a passé du temps en résidence à M2F Créations cette année, propose lui une pièce sonore en hommage aux soldats amérindiens Choctaw de l’armée des États-Unis d’Amérique pendant la Première guerre mondiale, au moment même où nous fêtons le centenaire de sa fin. Dans les débuts de la guerre les nations communiquaient dans leur propre langue, mais les alliés eurent l’intuition que ces messages étaient espionnés par l’adversaire. Un colonel américain a alors eu l’idée de confier aux Choctaw le soin de coder les opérations dans leur langue, a priori inconnue des adversaires. Les « Code Talkers », comme on les appelait, déstabilisèrent l’ennemi… ErikM met aussi le sens des nombreuses images liées à la terre et à sa culture dans la langue des Choctaw en rapport avec les grandes transformations écologiques du siècle passé.
Vous poursuivez votre collaboration avec l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence ?
Paul Destieu : Le 16 novembre dans l’ancien théâtre No de l’ESAAix nous invitons l’installation performée Alambic Sonore de Shoï Extrasystole, Pat Lubin, Vincent A. et Sophie Carles. Il s’agit d’une collaboration étonnante qui rassemble un musicien, un agriculteur, un chimiste et une photographe, autour de la distillation d’alcool, du cognac cette fois-ci je crois. On pourra toucher, sentir, goûter, voir le processus très réglementé de la distillation, de même qu’écouter, car l’ensemble du dispositif sera amplifié. Cela met en œuvre une création relationnelle autour de ces processus ancestraux qui ont tendance à disparaître.
Alambic Sonore par Shoï Extrasystole, Pat Lubin, Vincent A., Sophie Carles :
Quentin Destieu : Databit.me propose aussi l’atelier Automedia, sur la problématique des médias citoyens qui constitue une préoccupation commune à nos deux festivals. L’idée sera de fabriquer des « automedia » autour de la notion de « digitale défiance », en streaming, en podcast, en fanzines imprimés en risographie à l’encre de soja, en pdf et en narration diverses pour semer des graines, pour donner envie de devenir émetteur, pour forger ses propres informations, pour mieux comprendre où se cache le faux… Une manière aussi écologique de ne pas diffuser des milliers de flyers qui partiront à la poubelle mais d’encourager le public à produire ses propres documents. Enfin, nous sommes aussi très concernés par la conscientisation à la souveraineté technologique, et cela se traduira par exemple par des ateliers de création de jeux vidéos avec le Pang Pang Club qui proposera de réfléchir aux usages du jeu avec les publics de la Bibliothèque Méjanes et en partenariat avec la Cité du Livre d’Aix-en-Provence.
En savoir plus sur le programme du festival Gamerz.