FAB14: Comment mesurer l’impact économique des labs sur leur territoire?
Publié le 10 juillet 2018 par Yann Paulmier
Dans le cadre de la conférence internationale des fablabs, Perpignan accueille les 14 et 15 juillet un FAB14 distribué dédié à l’économie. Avant d’y intervenir, Yann Paulmier (la Machinerie) nous livre quelques pistes de réflexion.
Lorsqu’on parle d’économie dans le monde des labs, il est souvent question du modèle, c’est-à-dire de la façon dont ils équilibrent dépenses et recettes d’un point de vue micro-économique – j’y faisais d’ailleurs référence ici pour Makery. A l’inverse, se poser la question de leur impact économique (ou socio-économique) au niveau local et international revient à adopter un regard macro-économique. L’impact d’un lab ne peut être mesuré dans l’absolu sans son contexte, c’est-à-dire avant tout son lieu d’implantation et le tissu économique qui l’entoure (habitants, TPE, PME, associations, collectivités, etc.).
Disons-le d’emblée : il ne s’agit pas d’une grille de critères à remplir ou d’une to-do list qui permettrait de trier entre les « bons » et les « mauvais » mais plutôt d’identifier les mécanismes qui peuvent expliquer comment un lab participe au développement économique de son territoire. Lesquels mécanismes diffèrent selon le type de territoire.
A l’échelle de la métropole, la fabcity
Dans le cas des territoires très urbanisés que sont les métropoles, la réflexion sur la place et le rôle des labs a donné naissance en 2011 au mouvement Fab City porté par Barcelone. Ce réseau, qui tient son sommet annuel à Paris du 11 au 13 juillet, promeut l’émergence au niveau mondial d’un réseau de villes autosuffisantes et interconnectées. En exploitant les potentialités de la fabrication distribuée, de l’économie circulaire, de la permaculture ou encore de la production locale d’énergie, l’ambition est de réduire drastiquement les échanges de matières premières et de biens matériels (mais aussi de déchets), pour produire au maximum localement ce qui est consommé dans la ville et d’exporter les données, les connaissances, le savoir.
Dans cette vision, que les coorganisateurs du sommet parisien ont détaillée pour Makery, les labs sont au cœur du processus de relocalisation en mettant à disposition l’infrastructure pour produire localement, pour rapprocher l’acte de production de celui de consommation et donc pour faire évoluer notre rapport aux objets. Au-delà de la fabrication numérique, l’ambition est de diffuser les modes de fonctionnement utilisés au sein des fablabs (apprentissage par les pairs, DiY, partage des sources et documentation des projets, entraide…) aux autres secteurs : agriculture, énergie, éducation…
Présentation du Fab City Summit 2018 à Paris (en anglais):
Cette vision a le mérite d’essayer de formuler une réponse aux défis économiques, sociaux et environnementaux majeurs auquel fait face notre modèle de développement actuel. Parfaitement inscrite dans le grand mouvement d’urbanisation et de métropolisation mondial, elle fait cependant l’impasse, comme une grande partie des cadres d’analyse économique actuels, sur le reste des espaces géographiques, et notamment les territoires ruraux.
Des espaces ruraux dans des écosystèmes locaux
Les outils d’analyse du développement économique des métropoles (chaînes de valeurs, filières, cluster, etc.) ne sont pas adaptés à la ruralité. C’est le constat fait par le cabinet Argos dans le rapport Régénérons nos écosystèmes économiques pour la Caisse des dépôts en novembre 2016. « La notion d’écosystème renvoie à la biologie ou plus largement encore à l’écologie (…). L’écosystème économique se définit donc comme un espace au sein duquel les relations existent, se nouent, se dynamisent entre les différents acteurs, les outils, les ressources territoriales. Il illustre le fait que l’interrelation entre ces différents éléments constitue le principe essentiel du bon “fonctionnement” du système économique. » Or, les labs et les tiers-lieux, ces objets hybrides, sont souvent à la frontière entre plusieurs univers qu’il est parfois difficile de faire cadrer à une logique de « filière ». En mettant l’accent sur la diversité des acteurs du développement local et leurs interactions, la notion d’écosystème économique local peut donc nous aider à mieux comprendre leur rôle.
En septembre 2017, le chercheur Raphaël Besson analysait le rôle des tiers-lieux creusois dans la régénération des territoires ruraux. Au sein de l’écosystème économique local de la Creuse, il identifie leurs fonctions de capteur (« un espace d’accueil positif des idées, de test, d’essais, d’erreurs, de synthèse créative – living lab, fablab, Point chance, Balise, CitésLab, couveuses, pépinières… »), d’amplificateur (« une plateforme d’offres de services aux créateurs et entrepreneurs – réseaux d’entreprises, d’accompagnement, de financement… »), et d’avant-garde (« une tête chercheuse qui va au-devant des idées nouvelles et les fait entrer sur le territoire – laboratoire, centre de formation, musée, résidence d’artiste, centre de formation… »).
Raphaël Besson analyse le réseau des dix-sept tiers-lieux en activité ou en projet au sein du département de la Creuse. Lieux de formation, de travail, points d’accès aux services publics (comme la Boutique de la communauté de communes de Boussac) mais aussi lieux de convivialité, ils portent des fonctions essentielles pour l’émergence d’activités et d’emplois sur le territoire, et contribuent à maintenir du lien sur une région frappée par le recul de l’industrialisation et des services publics. Mais comme l’illustre le schéma ci-dessus, ces différentes fonctions n’ont de sens que lorsqu’elles sont construites en interaction avec d’autres acteurs du territoire. Il est donc essentiel pour les labs de construire ces fonctions, et plus généralement leurs activités, dans une logique de partenariat avec l’ensemble des parties prenantes (habitants, TPE, PME, associations, collectivités, etc.).
A construire: villes moyennes et territoires en reconversion
Reste une dernière catégorie, les villes moyennes et les territoires en reconversion, qui ont longtemps été dans l’angle mort de la réflexion sur le développement local et l’aménagement du territoire. Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) dans son rapport Regards croisés sur les villes moyennes, en avril 2018, rappelle que « l’Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen a reconnu, à travers le projet Town, initié en 2013, le rôle que les petites et moyennes villes européennes jouent dans l’expérience quotidienne des citoyens et des entreprises », et qu’elles n’avaient « guère été considérées comme des sujets de la politique européenne » alors qu’elles représentent « 203 villes en France et abritent près de 15 millions de personnes, soit 23% de la population française ».
Ces derniers mois pourtant, ce constat s’infléchit, avec la multiplication de rapports ou publications sur ces espaces. Le plan Action cœur de ville lancé en mars 2018 concerne 222 villes. La politique de métropolisation a concentré les investissements sur les grandes villes, rappelait le spécialiste Frédéric Santamaria sur France Culture en mai dernier. Doublement frappées par les conséquences de cette politique et par les mutations économiques (globalisation, désindustrialisation, concentration…), elles font désormais l’objet de toutes les attentions.
J’ai déjà pointé quelques pistes en ce qui concerne le rôle que peuvent y jouer les labs. Le rapport Sharitories : mettre les pratiques collaboratives au service des villes moyennes, publié en octobre 2017 par OuiShare et le cabinet Chronos, préconise de s’appuyer sur ces nouvelles pratiques émergentes pour dynamiser ces territoires : « Les villes moyennes apparaissent aujourd’hui comme le bon échelon pour implanter les pratiques collaboratives car elles permettent un point d’équilibre entre une masse critique suffisante d’utilisateurs pour les services collaboratifs (…) et une proximité nécessaire entre des acteurs qui se connaissent. »
Pourquoi pas imaginer que ces villes moyennes soient le terreau d’une « société collaborative », qui prolongerait les principes de la fabcity en incluant de nouveaux territoires et en donnant toute leur place aux dynamiques citoyennes, aux initiatives sociales et solidaires et aux échanges non marchands ? Les labs, en questionnant le productivisme, la métropolisation et la globalisation, s’inscrivent déjà dans un nouveau paradigme de développement. Ne reste plus qu’à « faire système » pour dessiner les contours d’un futur souhaitable.
Yann Paulmier, cofondateur de la Machinerie d’Amiens, est l’un des intervenants de FAB14 Distributed Economy, «From local to global economies», au fablab Squaregolab de Perpignan, les 14 et 15 juillet