Le 11 juillet, avant FAB14, le Fab City Summit entame la grande séquence internationale du mouvement maker. Mais qu’est-ce que la fabcity? Question aux coorganisateurs et architectes Francesco Cingolani et Minh Man Nguyen.
Quel sont les enjeux du Fab City Summit à Paris?
Minh Man Nguyen: L’enjeu principal consiste à permettre au réseau de se rencontrer et se renforcer. Que la vision de la fabcity puisse fédérer un réseau francilien, un réseau national et un réseau international. C’est une sorte de catalyseur pour faire basculer la fabcity, la faire sortir du bois. Jusqu’ici, le Summit, c’était 50 à 100 personnes réunies. On cherche à être 700 à 1000, c’est un moment de réelle convergence.
Francesco Cingolani: Le Summit, c’est l’inauguration d’une nouvelle ère du Grand Paris, caractérisée par la manière de faire et construire la ville, basée sur une production relocalisée. L’enjeu, c’est de définir une double feuille de route : celle pour le Grand Paris qui se développe et se construit, une vision très urbanistique et architecturale, et celle pour le mouvement fabcity, ce réseau très jeune et dont la structuration est en train de se faire. C’est le troisième Fab City Summit, et c’est aussi le premier qui est public. On fait le pari de faire comprendre à madame Michu le concept de fabcity. A Paris, il y aura le réseau d’experts de la fabcity, mais aussi plein d’étudiants, des architectes, des institutionnels, des gens de l’immobilier et les familles. C’est important d’avoir ces trois blocs : industriels, institutionnels et public.
Le concept de fabcity a émergé à FAB7 au Pérou en 2011, porté par Barcelone. Aujourd’hui, ce réseau réunit dix-huit villes dans le monde. A quoi s’engagent-elles exactement?
F.C.: C’est une vision qu’on propose aux villes et qu’elles acceptent. L’engagement que l’institution prend quand elle se déclare fabcity, c’est de mettre en œuvre une politique urbanistique et économique qui fixe un cap à 50% de biens de consommation produits sur son territoire d’ici à 2054. Cet engagement très symbolique n’a politiquement aucune valeur puisqu’en 2054, les élus ne seront plus là. Dans les faits, cela crée un contexte et une vision qui fait qu’un tas d’initiatives très dispersées peuvent converger vers cet objectif commun.
M.M.N.: Aujourd’hui, le réseau fabcity compte dix-huit villes, mais on a reçu une quarantaine de candidatures. Les nouveaux membres seront annoncés pendant le Summit.
Quels seront les temps forts de ce 3ème Fab City Summit?
F.C.: L’Hôtel de Ville ! Le 11 juillet, avec la maire Anne Hidalgo qui ouvre le Fab City Summit, on prend le risque d’aller tous à l’Hôtel de Ville, le réseau fabcity et les élus. C’est une déclaration forte par rapport à tous les mouvements activistes – et on se fait critiquer par certains fablabs qui disent “c’est qui ces gens qui vont utiliser la marque fablab pour aller faire du fric avec la mairie ?” Le Fab City Manifeste qu’on va présenter le 11 a été écrit et signé avec ces institutionnels ! Trois questions sous-tendent tout l’événement et dessinent la trame de la journée de conférence du 12 juillet, qui propose le plus de contenus et de speakers. La journée suivante, à la Cité des sciences, en mode distribué, plus informelle et moins scénarisée, tournera autour de ce que les gens sont en train de faire dans le réseau. Il y aura des gens qui fabriquent des plaques Arduino, qui font de la robotique ou des projets développés dans d’autres fabcities. Le troisième volet, le 14 juillet, c’est la rencontre entre des gens qui se promènent avec des robots, qui font des pavillons avec des chutes de bois et la population du parc de la Villette.
M.M.N.: On va annoncer le lancement de la fondation Fab City. Tomás Diez (fondateur du fablab de Barcelone et initiateur du concept de Fab City, ndlr) prépare avec la P2P Foundation et la Fab Foundation cet outil qui permettra de fluidifier les échanges entre les villes. Pendant le Summit, il y aura un temps à part qui ne sera pas public sur la gouvernance de la fondation. Cette structure de collaboration garante de la marque Fab City pourra lever des fonds et porter des projets de type H2020 (Horizon 2020, financement européen, ndlr) de façon plus organisée qu’aujourd’hui.
Vous avez préféré poser des questions plutôt que thématiser la conférence sur l’agriculture urbaine, l’automatisation ou le réemploi. Pourquoi?
F.C.: Ces thématiques sont des sujets sur lesquels on travaille, on n’a pas les réponses, on ne sait pas la place des robots demain. C’est pour cette raison qu’on affiche des questions en énorme sur une bâche à la Villette. La première : à quel point nos modes de conception, de production et de consommation peuvent être réversibles ? Aujourd’hui, nos modes de fabrication et de consommation c’est “je produis, je consomme, je jette”. Le réemploi reste extrêmement romantique : les biens sont conçus pour ne pas être réemployables. On va challenger cette question-là, en rapprochant la conception et les nouveaux modes de production, qui sont aujourd’hui des moments très éloignés. La deuxième session (et question), c’est “scalable”, ce “passage d’échelle” intraduisible en français : comment rendre scalable, comme dans l’économie de la connaissance, un modèle urbain très lourd et par définition non scalable ? Du point de vue du réseau Fab City, on est connectés au territoire parisien, à d’autres villes et à d’autres réseaux. Quand une initiative fonctionne dans une ville, le projet peut être exporté, expliqué, réadapté. Comme notre foodlab chez Volumes que des gens d’Ismir qui devraient venir au Fab City Summit ont fait leur. Face à une certaine détresse dans la communauté maker (avec des espaces qui ferment comme la Mutinerie ou qui vont mal…), comment passer de la vision du lab renfermé à une vision de lab planétaire ? La troisième question, autour du “possible” : quel est l’imaginaire collectif qu’on vise ? Est-ce un imaginaire où tout est robotisé ou plutôt low-tech avec une dimension sociale et de convivialité ? Si on veut avoir un impact, il faut construire une vision commune qui aujourd’hui n’est pas du tout claire !
Quelle est la place de Paris dans le réseau Fab City?
M.M.N.: A Shenzhen à FAB12, Antoinette Guhl (adjointe à la mairie de Paris chargée de l’économie sociale et solidaire, de l’innovation sociale et de l’économie circulaire, ndlr) a fait une déclaration selon laquelle Paris s’engageait dans la vision de la fabcity. La mairie a fait le pari de mettre de l’argent pour réaliser le Fab City Summit, et pas une petite somme. Une fois ce “go“, les partenaires privés ont suivi.
F.C.: L’association Fab City Grand Paris a permis de mettre un nom sur ce dont on parlait depuis deux ans : travailler ensemble, s’associer. On vient même de visiter un lieu où on se rassemblerait.
M.M.N.: On réfléchit à se réunir dans un lieu, pour avoir un impact plus fort tout en maintenant de la diversité. C’est en discussion, quelques promoteurs immobiliers et la ville de Paris poussent dans ce sens.
Comment l’association Fab City Grand Paris contribue-t-elle à l’émergence d’une ville résiliente?
M.M.N.: Les membres de l’association ont tous pris des initiatives à titre individuel, ont tous des notions de circuits courts, d’économie circulaire. Beaucoup ont gagné des appels d’offres en portant cette vision d’une économie circulaire, en impliquant d’autres acteurs. On applique la vision Fab City naturellement. Certains ont participé au concours Réinventer Paris qui pose la question de comment refaire la ville avec des promoteurs immobiliers et la ville en arbitrage. C’est aussi ce que le collectif Quatorze a commencé à faire avec le réaménagement des places Gambetta et des Fêtes. Ils ont fait venir des chutes de déchets et en ont fait du mobilier urbain, avec un engagement citoyen et une réappropriation à travers la fabrication. C’est là encore porté par un appel d’offres de la ville de Paris, Réinventons nos places, auquel ils ont répondu en disant clairement qu’il s’agissait d’une vision Fab City. Ce qui manque encore, c’est un acteur privé comme Ikea l’a fait à Barcelone en 2017 avec le Made Again challenge Space10 où des designers ont récupéré des objets, les ont revisités…
Made Again Challenge, Fab City Prototype, Space10, 2017 (en anglais):
Pouvez-vous nous donner des exemples de préfiguration de la fabcity dans le Grand Paris?
M.M.N.: Le projet « Cycle terre » à Sevran prévoit d’utiliser les remblais des chantiers du Grand Paris pour monter une usine de briques de terre crue, qui en France sont produites soit à l’ouest, soit à Grenoble. Le promoteur Quartus, un de nos partenaires sur le Summit, a gagné avec ce projet le concours Démonstrateurs industriels pour la ville durable en association avec la ville de Sevran, Grand Paris Aménagement, des labos (Craterre, Amàco…) et le cabinet d’architecture Joly & Loiret. Ils ont aussi remporté l’appel à projets européen Urban Innovative Actions dans la catégorie économie circulaire. Leur vision, c’est d’amorcer. Ça veut dire qu’à proximité de Paris, on trouvera un espace de fabrication de briques en terre crue. Je ne reviens pas sur Réinventons nos places, mais il y a aussi le 6b (à Saint-Denis, ndlr), où Julien Beller conduit une initiative très Fab City, avec Quartus encore.
F.C. : Et puis le projet In my BackYard (une tiny house à installer dans son jardin pour héberger une personne sans domicile, ndlr), où la fabrication locale est au service de la résolution d’un problème sociétal. Il y a aussi le Fabcity Store qu’on aura sur le campus, porté par DDMP (Distributed Design Market Platform), projet de recherche et de design local distribué qui rappelle les paris des makers du Makers Market d’Aruna Ratnayake, un pop-up store lancé en 2016, qui proposait des objets design de six fablabs parisiens. Le projet n’avait pas trouvé de modèle économique. Etre en connexion avec d’autres villes avec le Fab City Summit va, on l’espère, lancer cet exemple parfait de production locale et de fabcity dématérialisée.
Pourquoi la relocalisation de l’industrie permettrait-elle à la ville d’être plus résiliente? Si on produit en ville, on fait du bruit, on pollue, on vend plus cher sa production puisqu’on paie plus cher son emplacement…
M.M.N. : Il s’agit de prendre conscience de ce que c’est que faire un objet. De la valeur du travail. Chez Woma par exemple, une table coûte moins cher quand vous la faites que si on fait tout de A à Z.
F.G.: Les consommateurs doivent savoir ce que ça fait de consommer. Quand tu sais comment les choses sont faites, tu as une approche complètement différente. Oui, un fablab, c’est sale, oui, quand on fait la cuisine au foodlab, il faut nettoyer après, oui, ça fait du bruit, oui, ça fait des choses qui transitent ! On nous a fait croire que produire c’est juste un truc fonctionnel pour pouvoir consommer. Mais produire et faire, c’est en soi une valeur, la valeur de la création ! Cultiver ses tomates, ça a une valeur. Il y a un lien émotionnel avec une chaise que tu as faite ou le plat que tu as cuisiné. Dans nos lieux, on a réappris de façon intuitive la valeur. La question écologique est plus facile à comprendre, c’est l’argument le plus simple – et le moins intéressant. Il n’y a pas que ça ! Pour notre teaser, on a repris cette phrase de Tomás Diez qui dit que tout système de production actuel laisse des traces écologiques, sociales et culturelles. Faire a aussi une valeur spirituelle.
Fab City Summit Paris 2018, bande-annonce (en anglais):
Quelle est la part de la fabrication numérique dans la fabcity? Makery a visité Unto This Last, pionnier à Londres de la fabrication artisanale et numérique ultralocale. Fort de ses 15 ans d’expérience, Unto This Last dit se concentrer sur «l’échelle humaine», en laissant les machines de côté. Qu’en dites-vous?
M.M.N.: On ne peut pas se reposer sur des process automatisés. On a aussi rencontré le fondateur de Unto This Last qui nous a montré son logiciel qui repère toutes les erreurs et prend des photos mais que personne n’utilisait : soit tu as repéré l’erreur et tu l’as intégrée au process, soit tu ne fais pas l’effort d’aller voir le logiciel. On peut avoir une vision low-tech et hi-tech en même temps. Dans notre espace, on avait un robot six axes et ce qui en est sorti, c’est de l’expérimentation et de la recherche et développement. On n’automatise pas tout, c’est essentiel que les gens fassent les choses ensemble. A l’avenir, l’automatisation du traitement des déchets va cependant permettre de réduire les coûts sur la question du réemploi.
On voit bien dans le modèle de la fabcity les dimensions écologique et économique. On voit moins bien la dimension sociale. Pouvez-vous nous en dire plus?
M.M.N.: Outre InMyBackYard, il y a cet exemple en Jordanie à l’initiative du fablab d’Irbid, qui se situe à 15km de la Syrie, où ils accueillent des réfugiés. Ils les aident à développer des appels à projets pour des idées d’entreprise. Des personnes qui fuyaient leur pays et n’avaient pas de travail montent des entreprises à partir d’idées développées dans un fablab. Ils postulent pour être fabcity, leur vision n’est pas juste celle d’un fablab. Cette réponse extrême à une situation extrême, on tient à ce qu’ils la présentent au Fab City Summit.
Réfugiés et entrepreneurs au fablab d’Irbid (en anglais):
Le Fab City Summit, dont Makery est partenaire, se tient à Paris du 11 au 14 juillet: le 11 à l’Hôtel de ville, le 12 à la Grande Halle de la Villette, le 13 à la Cité des sciences, et le 14 dans le parc de la Villette