Ils ont participé à «Sónar Calling GJ273b», message musical envoyé aux extraterrestres. Lors de Sónar+D, le versant numérique du festival barcelonais, chercheurs et musiciens expliquent leur projet.
Barcelone, envoyé spécial
« C’est très rare que la musique, à travers sa dimension la plus émotionnelle, puisse avoir un rôle dans une mission scientifique », dit Ólafur Arnalds, pianiste, lors du panel organisé pendant Sónar+D, la division numérique du festival barcelonais, le 15 juin, sur le projet Sónar Calling GJ273b.
Pour son 25ème anniversaire, le festival de culture électronique Sónar s’est associé pour un étrange programme de contact musical avec de supposés aliens à des centres d’études spatiales : l’Institute of Space Studies of Catalonia (IEEC), qui étudie tous les aspects relatifs à l’espace et aux sciences spatiales, et le Meti International, pour Messaging ExtraTerrestrial Intelligence, organisation américaine cherchant à entrer en contact avec l’intelligence extraterrestre. Le programme Meti a été créé en 2015 à l’initiative du psychologue Douglas Vakoch qui militait pour le passage à une communication « active » du programme Seti (Search of ExtraTerrestrial Intelligence), qui, comme son nom l’indique, ne consistait jusque-là qu’à chercher des messages radio venus de l’espace. Douglas Vakoch avait en particulier publié dès 2010 un article défendant la composition musicale mathématique pour communiquer avec les extraterrestres.
Sónar Calling GJ273b réunit deux messages compilant trente-huit courtes pièces musicales, composées par des pointures de la musique électronique et des amateurs, expédiés en octobre 2017 et mai 2018 depuis Tromsø en Norvège, en direction de l’étoile de Luyten et de l’un de ses satellites, l’exoplanète GJ273b, qui réunirait des conditions favorables à la vie (on vous en parlait ici).
A Sónar+D, des scientifiques et deux artistes impliqués dans le projet en présentaient les rouages à la Fira de Montjuïc. L’occasion d’en savoir plus sur cette missive art-science totalement inédite et soniquement insolite.
Yvan Dutil, astrophysicien du Meti et spécialiste des messages à destination de l’espace, a travaillé avec Ignasi Ribas et Jordi Portell, respectivement directeur et ingénieur à l’IEEC. Aucun n’est pourtant certain de l’existence d’une forme de vie capable de comprendre le message lors de son arrivée à son point de destination, à 12,4 années-lumière de la Terre. « La vraie question est de savoir s’il y a une vie intelligente là-bas », remarque Jordi Portell, même s’il est « persuadé qu’il y a une vie sous forme de bactérie ».
Un projet «un peu farfelu»
Tous se disent cependant bluffés par la manière dont un projet d’une telle singularité scientifique a pu être monté à partir d’une réflexion essentiellement artistique. « Au départ, quand le festival nous a approchés il y a deux ans, dit Ignasi Ribas, j’ai dit non. Je trouvais ça un peu farfelu. Mais je me suis rendu compte que ce projet pouvait avoir une véritable valeur scientifique et nous avons accepté. »
Première étape : résoudre la question de l’envoi du message dans l’espace. Sollicitées, les grandes structures d’exploration et de communication spatiale comme la Nasa n’ont pas donné suite – sans dire non pour autant, mais il faut souligner que le programme Meti reste controversé. Du coup, c’est avec l’Eiscat (European Incoherent Scatter Scientific Association) et son antenne parabolique de Tromsø qu’un accord a été trouvé. « Avec eux, on a pu choisir la planète qui nous semblait la plus propice », poursuit Ignasi Ribas. Et c’est GJ273b, exoplanète découverte en 2017, qui a été choisie.
« Grâce à un calcul par effet Doppler permettant d’avoir une idée de sa gravité, on estime que la masse de cette exoplanète correspond à trois fois celle de la Terre, ce qui laisse penser qu’elle est rocheuse et pourrait abriter de l’eau et donc potentiellement de la vie », explique Ignasi Ribas.
Le média est-il aussi le message dans l’espace?
Une fois la cible choisie, il s’est agi d’expédier le message compilant les différentes pièces sonores en élaborant un programme d’encodage pour compresser la taille des fichiers et les expédier sous forme de fréquences radio, puis d’expliquer à nos potentiels interlocuteurs intergalactiques comment le décrypter.
L’astrophysicien Yvan Dutil rappelle qu’« il y a déjà eu plusieurs messages envoyés dans l’espace par le passé » et que ceux-ci ont pu susciter des débats à leur époque. « A commencer par celui qui était inscrit sur les sondes Pioneer 10 et 11 lancées en 1972 et 1973 (la fameuse plaque de Pioneer), qui représentait de façon très visuelle les deux corps d’un homme et d’une femme. Les critiques avaient été nombreuses à l’époque. On a reproché à ce design d’envoyer une représentation pornographique de l’homme dans l’espace ».
En 1977, des disques vidéonumériques ont été envoyés sur les sondes Voyager, puis en 2001, un message binaire, et encore un autre relatant notamment le théorème de Pythagore. « Il s’agit toujours de messages procédant d’un mélange de mathématiques et de codes, ce qui est fondamentalement ennuyeux », souligne Yvan Dutil. « Ce coup-ci, outre le fait d’envoyer le message non pas au hasard dans l’espace mais vers un point précis, l’idée était d’expédier le message le plus neutre et aisément déchiffrable possible. »
Pour permettre à l’alien de décoder le message, « on donne à nos potentiels lecteurs des éléments de mathématique basique (compter, additionner, diviser). Puis on leur enseigne des fondamentaux de physique. Ensuite, on termine par une courte description de l’espèce humaine, avec une représentation qui s’inspire d’ailleurs de celle gravée sur la sonde Pioneer. Pour finir, nous faisons une dernière demande : “S’il-vous-plaît, rappelez-nous !” »
Six jours de transmission
L’expédition des pièces musicales qui suit ce message introductif se révèle tout aussi technique. « Du fait que nous ayons choisi de mettre plusieurs morceaux courts, nous avons dû envoyer les fichiers musicaux à un niveau de qualité très bas, soit 500 bits par seconde, permettant aussi un décodage plus facile », explique Jordi Portell. « Les pièces font dix secondes chacune, ce qui correspond à dix minutes d’utilisation de l’antenne pour chacune, ce qui explique pourquoi l’expédition des morceaux a pris six jours au total. »
« Ça a été un véritable challenge de mettre une telle expression musicale dans des fichiers aussi compressés, avoue Jordi Portell. J’espère sincèrement que les extraterrestres potentiels ont la même capacité d’écoute technologique que nous, en termes et d’antenne et de récepteur, car ce serait dommage qu’ils soient privés de ces pièces. »
Les artistes, représentés ici par la productrice autrichienne Zora Jones et le pianiste islandais Ólafur Arnalds, confirment. « Dix secondes, c’est très court pour exprimer quelque chose », dit Zora Jones. Ólafur Arnalds rappelle qu’une pièce au piano dans cette configuration est d’autant plus difficile que « cet instrument a justement besoin de beaucoup de fréquences pour s’exprimer ».
« Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre », ajoute Ólafur Arnalds. Attendre. Voilà la plus grande problématique du projet : le message n’arrivera à destination que dans douze ans et demi ! « Le premier message envoyé en octobre a déjà parcouru 5 milliards de kilomètres », estime Ignasi Robas. « Dès qu’il a quitté la Terre, il n’a mis que quelques secondes pour passer à proximité de la Lune. Au bout de dix minutes, il atteignait Mars. Au bout de cinq heures, il était à Pluton, l’un des objets célestes les plus éloignés du système solaire. Il a ensuite atteint le nuage d’Oort, une zone constellée de comètes qui marque la fin de notre système. Ensuite, il n’y a plus rien sinon le vide sidéral. Le message ne rencontrera plus aucun obstacle jusqu’à sa destination finale. » Plus aucun obstacle avant d’être possiblement lu. Quant à une éventuelle réponse… Le Sónar l’attend en toute simplicité dans vint-cinq ans, pile-poil pour le 50ème anniversaire du festival.
«Sónar Calling GJ273b», dans le cadre du festival Sónar, 25ème édition, du 14 au 16 juin (Sonar+D, du 13 au 16 juin) à Barcelone