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La fabcity côté pionniers, visite de l’atelier de meubles Unto This Last

Dans le magasin-atelier Unto This Last à Londres, l'assemblage est ultralocal. © Elsa Ferreira

Produire local, à bas prix et en privilégiant l’humain? C’est le challenge relevé par l’atelier-magasin Unto This Last à Londres, pionnier de la fabrication artisanale numérique de mobilier.

Londres, de notre correspondante (texte et photos)

Si au centre de Shoreditch, quartier arty et hautement gentrifié de l’Est londonien, les ateliers d’artistes ont depuis longtemps disparu au profit du service tertiaire, Unto This Last fait de la résistance. Installé depuis quinze ans dans le quartier, ce fabricant de meubles prend la forme hybride d’un magasin-atelier où l’on fabrique le mobilier à l’endroit même où il sera vendu. « Local is logical », affichent les t-shirts des employés.

«Local is logical», le slogan d’Unto This Last à Londres.

Le nom de l’enseigne, Unto This Last, a été choisi en référence à l’essai du même nom, écrit en 1860 par John Ruskin. Un ouvrage qui remet en cause les idées capitalistes des économistes – Adam Smith, John Stuart Mill… – et appelle à une organisation sociale conviviale, basée sur la justice, le partage et la collaboration. Le texte, très polémique à sa sortie, a largement inspiré le mouvement Arts and Crafts au Royaume-Uni et a même été traduit par Gandhi. « Je résolus de changer de vie en conformant ma nouvelle existence aux idées exprimées dans cet ouvrage », écrit le leader indien dans son autobiographie.

«On n’attend pas les machines»

A Londres, la PME réinvestit l’idée de la fabrication industrielle à échelle locale, au cœur de la ville, et compte sur sa dizaine d’employés pour faire sa révolution. Unto This Last est-il l’exemple parfait d’une fabcity où l’industrie est relocalisée en ville, à échelle humaine, grâce à la fabrication numérique ? A quelques jours du Fab City Summit à Paris, on est allé rencontrer l’équipe.

« Quand on s’est installés, il y avait une forte emphase sur la fabrication numérique, raconte Elodie Le Roy, chargée de production (et française). Les CNC étaient assez nouvelles et nous pensions que la technologie nous permettrait de produire et fabriquer localement à prix compétitifs. Mais il y a une limite à ce modèle », expose-t-elle. D’abord, les concurrents de Unto This Last se sont progressivement équipés de cette même CNC. « On commence alors à se rendre compte que tout le monde fait la même chose, que l’offre est en fait assez limitée et qu’on ne répond pas à la demande des clients. » Ensuite, même les machines les plus simples demandent un certain niveau de maintenance, ce qui peut créer un « effet entonnoir ». « On ne peut pas attendre les machines », explique Elodie.

Elodie Le Roy, chargée de production.

Depuis, l’équipe se concentre sur « l’échelle humaine », laisse les machines de côté et revient en grande partie au travail fait main. « Ça a l’air contre-intuitif de revenir à la fabrication humaine plutôt que de laisser faire la machine, mais ça a beaucoup plus de sens en termes de qualité du travail, de production et de rendement. » Et de prendre pour exemple la Lean Chair, une chaise au design simple, l’un des premiers prix de l’enseigne (69£, 78,50€) et son produit le plus populaire. Avec la CNC, il fallait une heure de machine pour huit chaises, puis douze minutes par chaise pour l’assemblage, détaille la chargée de production. « En d’autres termes, il fallait attendre la machine. » En utilisant des outils plus légers, comme la défonceuse, Elodie Le Roy a pu simplifier la production et diminuer le temps de découpe à dix-huit minutes par chaise et quatorze minutes d’assemblage, tout en réduisant les risques d’erreurs et en augmentant les choix de finitions. Face à la machine, l’humain est donc souvent « plus précis, plus net, plus rapide ».

D’ailleurs, dans l’atelier, tout ou presque est fait maison et à la main : l’horloge, les poubelles et même le système de ventilation. « Si on sait comment le fabriquer, on sait comment faire la maintenance ou le réparer. »

Optimisation et assemblage élégant

Oubliez la vision romantique du menuisier et du travail du bois puissant et patient. Si l’atelier est hautement Instagram friendly, ici, le mot d’ordre est l’optimisation. « Nous ne sommes pas Ikea, nous ne sommes pas sur la même échelle ni n’avons les mêmes contraintes. Nous essayons de faire de la production de masse à prix compétitifs en milieu urbain. » Les prix ne sont d’ailleurs pas si éloignés du géant suédois – l’entrée de gamme en moins. A partir de 69£ pour une chaise, 200£ (227€) pour une table et moins de 100£ (113€) pour une étagère. Des prix raisonnables qui découlent d’un processus de fabrication où la moindre perte est traquée. Et autorisent un chiffre d’affaires à près d’1 million de £ (1,14 million d’€). « Nous sommes très orientés datas et nous analysons beaucoup nos données : où sont les pertes, combien de temps prend chaque tâche, comment décomposer chaque produit en compétences simples et comment les optimiser. »

Vue de l’atelier depuis le magasin.

Non seulement le processus doit être efficace, mais il doit aussi être « élégant et confortable », explique Elodie. « Tous les employés ne sont pas des menuisiers. On ne demande pas d’avoir de l’expérience dans le travail du bois pour venir ici. Tout ce qu’on demande, c’est d’avoir un cerveau qui fonctionne et d’être intéressé par le projet. » L’atelier est également ouvert au public et visible depuis le magasin. Fait notable, il accueille beaucoup de femmes dans le processus de production. « On ne veut pas d’un assemblage violent où on y va à coups de marteaux. On veut un système intelligent, à hauteur d’établis, qui ne casse pas le dos. »

Inspiration Toyota

Produire en plein centre-ville peut être contraignant. Les processus « élégants » de fabrication ont ainsi permis de réduire le bruit, tandis que l’extraction maison est « plus puissante que celle du marché » et limite la poussière au maximum, assure Elodie. Pour réduire le besoin d’espace, l’atelier livre dès le produit fini, sans emballage et depuis peu, à vélo, en partenariat avec l’entreprise londonienne Pedal Me.

Unto This Last expérimente également de nouveaux processus pour optimiser l’espace, comme une presse verticale. « Il y a cette idée reçue que la fabrication de meubles a une lourde empreinte. Mais ce n’est pas le cas. » Surtout, « il y a une demande, assure la chargée de production. Les gens veulent des emplois qui ont du sens, qui sont intellectuellement stimulants et c’est ce que nous apportons. »

Unto This Last songe à dupliquer son modèle. L’entreprise est en discussion avec l’organe gouvernemental Innovate UK pour obtenir une bourse et explore de futurs partenariats. « En matière de manufacture et de systèmes de production, nous sommes très inspirés par Toyota », fait savoir Elodie qui rappelle que l’entreprise japonaise a « inventé la Lean production », ou « gestion sans gaspillage ». L’équipe est même allée visiter l’une de leurs usines à moteur au Pays de Galles. « C’était presque choquant. Nous nous attendions à voir de folles machines mais en fait il y a très peu de robots, c’est géré de manière très simple, avec beaucoup de datas, des tableurs Excel et quelques affiches en papier. » La tendance 2019 serait-elle au less is more ?

Unto This Last est présent au Fab City Summit, à Paris, le 12 juillet pour une table ronde à 13h30, «New forms of making an impact, while making business»