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J’ai testé l’Impossible Burger à la viande de synthèse

L'Impossible Burger, fabriqué en laboratoire à partir de plantes, servi dans un restaurant en Californie. © Cherise Fong

Expérience gustative aux Etats-Unis, pays de l’iconique hamburger: à quoi ressemble l’alt-viande, cette nouvelle tendance de la viande alternative, produite sans que des animaux soient tués?

San Francisco, envoyée spéciale (texte et photos)

Qu’est-ce que la viande, au juste ? Etymologiquement, le mot est issu du latin vivanda, les choses nécessaires à la vie. Culturellement, le terme est associé à la chair animale comestible. Côté alimentaire, c’est de la protéine ; côté chimique, la viande est composée d’acides aminés, de lipides, d’hydrates de carbone, d’eau, de minéraux, de myoglobine… C’est cette structure moléculaire, et par extension l’expérience sensorielle qu’elle évoque, que la dernière tendance « alt-meat » essaie de mettre au point en laboratoire.

Ces nouvelles viandes alternatives, qui reconstituent ou simulent la viande du point de vue chimique afin de recréer sa valeur alimentaire et gustative, présentent toutes un intérêt primordial : elles éliminent les animaux de la chaîne de production. A grande échelle, cela signifierait non seulement la fin de l’élevage, de l’abattage et de la souffrance des animaux, mais aussi une réduction drastique des ressources nécessaires en eau, en énergie et en terres qui servent à faire brouter le bétail ou à faire pousser les graines de soja ou de maïs qui le nourrissent. Sans oublier les émissions de gaz à effet de serre – le bétail en produit 15% au niveau mondial.

«Si on remplaçait le boeuf par des haricots», The Atlantic (2017, en anglais):

En somme, il y a beaucoup trop de vaches sur la planète. Plus besoin de nous rebattre les oreilles sur les mérites du végétarisme et du végétalisme pour l’environnement. Ce n’est pas la viande en soi qui serait cruelle et non durable, mais la façon dont elle est produite. Sauf que… Le renoncement unilatéral à la chair animale dont Homo sapiens et ses ancêtres se nourrissent depuis des millions d’années est-il vraiment réaliste ?

Aux Etats-Unis, pays de l’iconique hamburger, où la viande est culturellement très ancrée dans les habitudes mais où la santé et l’environnement sont également des préoccupations sociales, les nouvelles fausses viandes conçues en laboratoire à partir de plantes commencent à séduire le public. En première ligne, la fausse viande hachée connaît un succès grandissant, aussi bien dans les supermarchés que dans les cuisines des grands chefs. Le burger de labo se pose comme la preuve de concept de ce monde futur où la viande est produite sans animaux.

La dégustation

A San Francisco, on a opté pour un test limité au spécimen le plus en vue des viandes végétales, largement accessible en restaurant à un prix à peine plus élevé qu’un burger traditionnel : l’Impossible Burger, produit par la start-up Impossible Foods.

L’Impossible Burger présenté par Impossible Foods (en anglais):

Comme l’expérience d’un hamburger gourmet varie d’un chef à l’autre, on a choisi trois restaurants, chacun représentatif de la cuisine américaine, dans trois lieux très différents de la baie de San Francisco.

Chez Scolari’s, niché dans une zone industrielle de l’ancienne base militaire d’Alameda dans la East Bay, l’Impossible Cheeseburger (à 14,50$, soit 12,15€) est plutôt discrètement affiché sur le menu, sur une grande ardoise à côté du comptoir. Le burger est simple, classique, correct. La fine tranche de viande est un peu sèche à l’intérieur, mais ses bouts grillés lui donnent plus de texture. Le tout se mange facilement grâce au fromage et à la sauce…

Verdict : pas vraiment convaincant.

L’Impossible Burger chez Scolari’s, à Alameda.

Chez Gott’s, un diner familial dans le petit centre-ville de Walnut Creek, au nord-est de San Francisco, je demande à la serveuse si je peux avoir mon Impossible Cheeseburger (à 13$ / 11€) un peu saignant. Elle répond que ce n’est pas possible, que la viande végétale se décompose si elle n’est pas bien cuite. L’Impossible Burger se différencie de la vraie viande hachée, ajoute-t-elle, mais il a quand même un goût intéressant et particulier. Je tente. Même à point, ce cheeseburger est moins sec et plus moelleux que le premier.

Verdict : bon, mais sans plus.

L’Impossible Burger chez Gott’s à Walnut Creek.

Chez The Counter, un restaurant spécialisé en burgers gourmets dans un quartier branché de San José au cœur de la Silicon Valley, au sud de San Francisco, difficile d’avoir une place assise. Je commande mon burger à emporter. Armée de tout un menu d’ingrédients et de combinaisons, je choisis le Breakfast Burger avec la viande Impossible au milieu (à 16,75$ / 14€). Je demande si je peux l’avoir un peu saignant. Aucun problème, me répond la serveuse. Qui précise que l’Impossible Burger se vend bien et qu’en général ils recommandent une cuisson à point.

Une fois que je mords dedans, c’est un délice : la tranche plus épaisse permet effectivement beaucoup plus de souplesse dans la préparation, la texture et l’assaisonnement. Résultat : une bouchée plus riche, presque charnelle, et une vraie sensation gourmande.

Verdict : délicieux.

L’Impossible Burger chez The Counter à San José.

Viande cellulaire vs viande végétale

Quel avenir pour ces viandes de synthèse ? Au-delà de l’expérience gustative, revenons aux deux camps qui constituent les nouveaux acteurs de la viande de synthèse : l’agriculture cellulaire (cellules animales) et la viande reconstituée (cellules végétales). D’un côté, les viandes à base de plantes, celles qu’on a goûtées dans la baie de San Francisco, ont déjà pénétré le marché, les supermarchés comme les restaurants. De l’autre, la « viande propre » (« clean meat »), avancée comme argument de l’agriculture cellulaire, reste encore largement une promesse.

Les viandes végétales sont produites par des start-ups, dont les deux principales vedettes et rivales sont Beyond Meat (qu’on trouve plutôt dans les supermarchés), et l’Impossible Burger (plutôt dans les restaurants). Il y a également New Wave Foods, fondée par une biologiste marine et une ingénieure en biotechnologie, qui reconstitue des crevettes à partir d’algues, Ocean Hugger Foods, fondée par un chef sushi, qui imite le thon cru à partir de tomates, ou encore NotCo qui fabrique de la mayonnaise végétalienne par le biais de l’intelligence artificielle chilienne…

Du saignant génétiquement modifié

Pat Brown, ancien biochimiste végétalien de l’université de Stanford, a fondé Impossible Foods en 2011, avec pour slogan « The future of meat » (le futur de la viande). Il explique que c’est au cours d’expérimentations dans son laboratoire en Californie qu’il a découvert une hémoprotéine qui serait la clé du goût « saignant » de la viande rouge.

En modifiant génétiquement des organismes de racines de soja avec de la levure fermentée, les biologistes moléculaires d’Impossible Foods reformulent une hémoprotéine analogue, qu’ils mélangent avec des protéines de blé et de pomme de terre… N’empêche, ces techniques OGM rencontrent toujours une résistance officielle et populaire quant à la sécurité alimentaire, malgré tous les efforts d’Impossible Foods pour prouver la pureté naturelle de son produit.

Pat Brown refuse de collaborer avec l’industrie traditionnelle de la viande et a réussi à séduire nombre de chefs célèbres depuis le lancement de son « burger impossible » sur le marché en 2016, dont David Chang (Momofuku Nishi), Traci Des Jardins (Jardinière), Tal Ronnen ou Chris Cosentino. On peut aujourd’hui déguster un Impossible Burger dans quelque 500 restaurants américains (dont Fatburger, Umami Burger, White Castle…) et très bientôt dans les restaurants des chefs May Chow et Uwe Opocensky à Hong Kong.

Tissu musculaire simulé

Beyond Meat (au-delà de la viande, en français) a été fondé en 2009 par Ethan Brown, entrepreneur végétalien qui raconte comment, enfant, il a passé toutes ses vacances dans l’Amérique profonde, dans la ferme bovine de son père professeur. Après avoir travaillé dans le secteur des énergies renouvelables, il lance Beyond Meat avec pour slogans « Eat what you love », « The future of protein » (mangez ce que vous aimez, le futur des protéines).

Beyond Burger présenté par Beyond Meat:

La viande hachée, les effilochés de poulet et les saucisses Beyond sont fabriqués dans un laboratoire de Manhattan Beach dans le sud de la Californie, où les protéines de pois ou de soja sont chauffées, refroidies et pressurisées afin de simuler la structure du tissu musculaire animal à l’aide d’extraits de levure, d’huile de coco, de jus de betterave… Prochain objectif : Beyond Bacon.

Pour modifier radicalement la façon dont le grand public consomme de la viande, Ethan Brown n’a cessé d’insister pour que ses produits soient vendus dans les grandes surfaces dans le même rayon que le bifteck. Depuis 2014, Beyond Meat est présent dans plusieurs centaines de supermarchés à travers les Etats-Unis, de Walmart à Whole Foods. Le géant alimentaire Tyson Foods a investi dans Beyond Meat, qui compte parmi ses sponsors et ambassadeurs Bill Gates, Biz Stone, Leonardo DiCaprio, des athlètes professionnels, etc. Le Beyond Burger et les Beyond Sausages sont également servis dans quelques restaurants américains, dont la chaîne nationale TGI Fridays, et l’expansion continue…

Les viandes «propres»

A l’autre bout des viandes de synthèse est apparue ces dernières années une vague nouvelle d’agriculture cellulaire, elle aussi portée par des start-ups : Memphis Meats, Finless Foods et Just en Californie, Mosa Meat aux Pays-Bas, SuperMeat et Future Meat Technologies en Israël. Existent également Perfect Day pour les produits laitiers, The Wild Type pour le saumon, Wild Earth Pets qui propose de la nourriture pour animaux domestiques… Sans oublier les biohackers de Real Vegan Cheese pour le fromage et les Japonais DiY de Shojinmeat (dont on vous a longuement parlé ici) qui revendiquent pleinement leur inspiration SF.

Finless Foods, le poisson durable en labo (en anglais):

Si la culture de cellules animales pour produire de la vraie viande semble prometteuse, la hype qui les entoure se heurte toujours aux mêmes problématiques : la production à grande échelle, la réduction des prix, la réglementation, la dépendance à un écosystème industriel adapté avec consommation énergétique importante, la substitution du sérum de veau fœtal par une culture moins cruelle et plus accessible… et la date toujours reportée d’un lancement sur le marché grand public.

Bien sûr, alors qu’ils lèvent des millions de dollars dans la Silicon Valley et se font aider par les plus gros producteurs de viande, certains de ces « agripreneurs » affirment à qui mieux mieux et avec une certaine arrogance que leur food tech va sauver le monde. De fait, c’est bel et bien cet argent, associé à l’urgence sanitaire et écologique comme à l’innovation constante, qui assureront une plus grande visibilité et une meilleure distribution de ces produits alimentaires au plus grand nombre. En faisant bouger les mentalités et les méthodes. Aujourd’hui, la « viande » est une histoire de marketing. Qu’elle soit vraie ou fausse…

Lire aussi notre article sur les Japonais Shojinmeat