Vélos: partagés c’est bien, communautaires c’est mieux
Publié le 10 avril 2018 par Elsa Ferreira
Suite de notre enquête sur l’état des lieux du vélo social. Si les flottes de vélos chinois mettent à mal ce modèle d’économie sociale et solidaire, qu’en est-il du versant associatif et communautaire de la petite reine?
Pour Daniel Robinson, l’arrivée massive des vélos chinois au Royaume-Uni n’est pas une bonne nouvelle. « C’est une menace pour les projets existants. Les programmes de vélos ont besoin de financements publics, explique ce défenseur du vélo solidaire. Ils ne font pas d’argent directement mais en améliorant la santé des gens. » Avec ces entreprises capables d’investir à perte pendant plusieurs années, le rapport de force risque d’être faussé, pense-t-il.
Depuis quatre ans, Daniel Robinson porte la communauté du vélo solidaire à Liverpool en Grande-Bretagne avec Peloton, une entreprise sociale qui mène de front plusieurs programmes de réparation, prêt, maintenance et éducation autour du vélo. En charge de la maintenance du système de vélo partagé municipal, Dan emploie des personnes en réinsertion et enseigne la réparation de vélo à des personnes en rémission de dépendance à l’alcool ou aux drogues. Dans tous ses programmes, une même obsession : consolider l’industrie du vélo et ses richesses, à échelle locale. « Plus on produit localement, plus on ajoute de la valeur, et plus on crée de l’emploi. »
Cheveux dans le vent pour tous
Petit à petit, Peloton a élargi son public. Les ateliers de réparation ont été étendus aux écoliers. Daniel Robinson pilote également la branche locale de Vélo sans âge, une association née au Danemark en 2012 qui revendique « le droit aux cheveux dans le vent » pour tous. Le concept est simple : offrir des balades à vélo gratuites ou presque à des personnes âgées. L’association, présente dans 37 pays, dispose de 200 antennes locales, dont 18 en France.
Car l’idée qui motive les partisans du vélo solidaire, c’est une égalité d’accès à la petite reine pour toutes les communautés fragiles (personnes âgées, réinsertion sociale, pauvres…). A Glasgow, l’association Bike for Good a par exemple fait baisser les prix des abonnements au service de vélo partagé Nextbike, de 60£ à 3£, pour les résidents des logements sociaux, raconte le Guardian, et leur donne accès au programme sans carte bancaire.
En France, Grenoble a pensé à des tarifs solidaires pour les quelque 6.500 vélos de location longue durée de son service Métrovélo. L’utilisateur peut choisir son modèle : vélo standard, tandem, pliable ou vélo cargo pour transporter des personnes ou des charges importantes. En tarif plein, un an de location coûte 132€, entretien et équipement (casque, antivol, etc.) inclus ; en tarif solidaire (en fonction du quotient familial), c’est 48€ par an.
La solidarité dans le vélo passe aussi par une vocation plus sociale de réinsertion. Comme à Evreux, où l’association Tandem embauche depuis 2009 des demandeurs d’emploi ou des personnes avec des problèmes de santé ou de surendettement, pour réparer des vélos récupérés à la casse ou donnés par des particuliers. Les vélos sont ensuite remis en vente à bas prix. Ou comme cet atelier de réparation gratuit Vélorution périgourdine à Tralissac, en Dordogne, ouvert en mai 2016, qui tourne tous les samedis et attire notamment les demandeurs d’asile, rapporte France 3 Nouvelle Aquitaine.
Les ateliers vélo débordent sur une vocation sociale et communautaire. Ainsi de l’Atelier Vélorution Bastille à Paris, qui réserve des créneaux d’autoformation à la mécanique vélo « dans un environnement non mixte pour les femmes et personnes non binaires », indique Laure Paulin. Depuis qu’elle l’a initié en 2015, l’atelier qui fait face à une demande croissante rétablit la balance dans un univers très masculin et permet de convaincre quelques femmes à devenir bénévoles, ajoute-t-elle. C’est l’occasion surtout de faire des progrès en mécanique. « Ça nous permet de développer la sororité et de nous sentir capables sans nos amis les hommes. »
Je répare mon vélo, donc je fais communauté
Le vélo solidaire est d’abord né par la bidouille, ou plutôt par l’autoréparation. Aux États-Unis, l’un des pionniers du mouvement est The Bike Kitchen, fondé en 2003. Depuis, les associations de cyclistes déferlent sur la planète. Selon Heureux Cyclage, réseau français d’ateliers de réparation participatifs et solidaires, la France comptait 6 ateliers en 2005, et 200 en 2016.
Carte des ateliers d’autoréparation par l’Heureux Cyclage:
Implantés sur tout le territoire, ils jouent un rôle important dans le développement d’une communauté locale de cyclistes. Ils sont la plupart du temps gratuits ou « participatifs » (un prix libre ou un coup de main), moyennant une adhésion annuelle dont les tarifs peuvent varier (10€ pour Vélorution par exemple). Surtout, ils fonctionnent sur l’échange de savoirs : chacun répare son propre vélo avec les outils de l’atelier, et les autres viennent aider si besoin… rappelant le principe des fablabs.
La plupart du temps, on y trouve également des vélos à bas prix. L’atelier Dynamo à Nancy propose par exemple des vélos autour de 40€. D’autres assurent des locations longue durée. « Je regrette que les médias évoquent moins ces services que les catastrophiques free floating, qui véhiculent une mauvaise image du vélo et dont les conséquences vont à l’encontre des objectifs que se fixent les ateliers vélos participatifs et solidaires… », souligne Rémi Rebour, cofondateur de la P’tite Rustine, atelier de recyclage et d’autoréparation à Bron, près de Lyon.
Reprendre le bitume
Loin de la déferlante des vélos chinois, les communautés d’amateurs de vélo n’en sont pas moins actives. De l’autoréparation tranquille à l’action de solidarité et la manifestation, il n’y a souvent qu’un coup de pédale…
Les cyclistes militent pour rendre le vélo accessible à tous et réclament des infrastructures adaptées. D’une grande ville à l’autre, les collectifs comme Vélorution se mettent au lobbying et organisent des manifestations pour reprendre des droits sur le bitume. Politiques, comme celle du 21 mars dernier à Paris, qui rassemblait les amateurs de vélo sur les voies sur berges, dont la piétonnisation a été récemment remise en cause par le tribunal administratif (la mairie de Paris a fait appel). Une parade « positive et lumineuse » pour défendre « les mobilités douces ».
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Ou carrément festives et ludiques, comme avec les Bike Wars, occasion punk de se retrouver autour de vélos bidouillés, transformés, augmentés. Cette « demolition derby à vélo, un Mad Max à bicyclette », revendique dans l’esprit de « créer pour détruire (type Burning Man à l’ancienne, mâtiné de Robot War à la punk) », précise la Bike War française, organisée depuis trois ans à Paris par le collectif Stendhal dans des lieux tenus secrets jusqu’à la dernière minute.
La Bike War 2017 du collectif Stendhal à Paris:
Cette compétition est née aux Etats-Unis dans les années 1990 dans les communautés de bikers fauchés qui, faute de s’offrir une moto, customisent leur vélo, raconte un récent reportage de Tracks. Pour se faire la guerre pour rire, remporter la course de lenteur ou encore parader en petit vélo.
La semaine prochaine, troisième et dernier volet de notre enquête