Le Fablab Budapest doit «grandir pour ne pas être victime de son succès»
Publié le 10 avril 2018 par la rédaction
Pendant son tour d’Europe des initiatives sociales et solidaires, Thomas Tichadou (We Can Be Heroes) a rencontré Dávid Pap, fondateur du Fablab Budapest. Makery vous propose des extraits de cet entretien.
Après avoir voyagé de juillet à novembre 2017 à la rencontre d’acteurs du changement, Thomas Tichadou conçoit et publie We Can Be Heroes, une série de portraits de citoyens engagés dans l’innovation sociale (on vous en parlait ici). Makery a proposé à Thomas de publier l’essentiel de sa rencontre avec Dávid Pap, 35 ans, fondateur du Fablab Budapest, en Hongrie.
Comment est né le projet de Fablab Budapest?
J’ai longtemps travaillé pour les institutions et le gouvernement hongrois en tant qu’économiste et responsable de programmes de recherche en innovation. Notre principal outil d’accompagnement consistait à injecter des subventions publiques dans les projets entrepreneuriaux. Je ne me retrouvais pas dans cette conception du développement pour faire émerger des initiatives. J’ai tout arrêté en 2009 pour créer avec cinq autres personnes Fablab Budapest, un lieu d’échange et de création autour de la technologie, de la science et du design. Tout ce que nous faisons ici est lié à l’innovation ouverte. Notre communauté dépasse les 3.000 personnes, dont environ 140 contributeurs réguliers. Nous sommes au total quatre employés, et j’assure la gestion du fablab depuis trois ans maintenant.
Comment avez-vous découvert l’univers des fablabs?
D’une manière assez inhabituelle ! J’ai rencontré une étudiante en architecture à l’IAAC (Institute for Advanced Architecture of Catalonia) qui m’a fait visiter Fablab Barcelona, le fablab de cette école d’architecture. J’étais tellement impressionné que j’ai voulu créer ma propre structure ici à Budapest.
Avec Fablab Budapest, quel est le problème auquel vous voulez vous attaquer?
C’est très simple. Ici en Hongrie, on trouve une quantité de bonnes idées mais aucun lieu de création accessible pour les réaliser. Les gens ont bien entendu besoin d’accompagnement mais ils recherchent surtout un endroit pour travailler sur leurs projets. Avec ce fablab, nous tentons de combler ce manque, sans prendre une quelconque participation au capital : les créateurs sont libres. Je voulais faire partie de quelque chose qui montrerait qu’allouer des fonds publics n’est pas nécessaire pour promouvoir l’innovation.
Qu’est-ce que l’innovation ouverte selon vous?
Mon expérience personnelle rend bien compte de ce que nous entendons par innovation ouverte : tout ce que je crée, tout ce que j’ai appris sur la technologie et la fabrication, tout est né ici, dans ce fablab. J’ai appris à modéliser et à programmer, maintenant j’apprends à travailler le bois. En rendant la connaissance accessible à tous, Fablab Budapest fournit les outils pour réaliser les projets de chacun. Ceux qui passent notre porte veulent apprendre parce qu’ils veulent créer. Et ils apprennent grâce à une communauté bienveillante que nous avons su construire. On peut recevoir de l’aide et des conseils, trouver des idées voire rencontrer ses futurs associés. En quittant le fablab, ils sont capables de mettre en application leurs nouvelles connaissances, de les partager et de les essaimer dans la société.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour développer ce fablab?
Les fablabs n’ont pas d’entité juridique à proprement parler en Hongrie. Au commencement, nous devions choisir notre statut : association ou fondation. Aucun des deux n’est adapté pour un fablab car on court après les subventions. Tout ce que vous voyez ici a été payé grâce aux revenus générés par nos activités. Nous avons reçu des propositions d’investissement de la part de fonds privés à condition de nous restructurer en start-up. Nous doutions du réel bénéfice que cet investissement pourrait apporter à notre projet. Nous avons décliné l’offre et réfléchi à d’autres moyens de faire croître le fablab. C’est là que nous avons découvert la vente de services de prototypage et de design pour d’autres entreprises.
Quel est votre modèle économique?
Il a énormément changé. Nous avons dû nous réadapter plusieurs fois. Notre première idée était de financer le fablab uniquement par les contributions de particuliers, avec des prix les plus bas possibles pour démocratiser le processus créatif. Mais ce n’était pas suffisant. Lorsque nous avons compris que le B2B pouvait financer l’ensemble des activités du fablab, notre modèle économique a radicalement changé. Aujourd’hui, nous avons trois activités principales : la prestation de services aux entreprises, la communauté mobilisée et l’éducation.
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Nous fournissons des services de prototypage, de design et de fabrication pour des entreprises comme Siemens. Pour les particuliers, deux adhésions sont possibles. Soit nous pouvons réaliser une pièce et facturer le service, l’adhésion coûte alors l’opération et les matériaux, soit, si la personne veut concevoir sa pièce, elle doit participer à une formation pour savoir utiliser les différents outils et travailler avec les différents matériaux. Nous lui facturons l’atelier et l’utilisation des outils, mais à prix réduit. Enfin, côté éducation, nous donnons des cours à l’Ecole d’art et de design de Budapest (la Mome) mais également dans des écoles. Cette dimension est primordiale : d’un côté, on partage et fait circuler la connaissance, de l’autre, on construit sa communauté. Pour créer un fablab, on doit mobiliser une communauté. Le meilleur moyen d’y parvenir est de démocratiser la technologie par l’éducation.
Si Fablab Budapest est prestataire pour des entreprises, comment voyez-vous l’avenir avec le nombre croissant d’entreprises qui créent leur fablab en interne?
C’est une bonne nouvelle car cela démocratise le concept de fablab. Nous travaillons d’ailleurs avec certains de leurs fablabs. Ces entreprises donnent l’occasion à leurs employés de développer des projets innovants qui permettront à la marque de rester compétitive. Mais ces initiatives auront un impact limité. Un fablab ne peut pas fonctionner de façon top-down. Pas à long terme car un fablab a besoin d’une communauté pour exister.
Fablab Budapest a-t-il des fragilités, le projet pourrait-il s’arrêter?
Nous sommes en quelque sorte victimes de notre succès car le projet a grossi plus vite que ce que nous pouvons assurer. Nous devons adapter notre structure et grandir parce que nous n’arrivons plus à suivre, nous manquons des opportunités. Nous devons repenser notre structure opérationnelle et nos règles internes. C’est pourquoi nous avons besoin de recruter, notamment pour renforcer l’organisation et la gestion du lieu. Nous devons aussi faire évoluer notre méthode de travail. Nous travaillons tous sur différents projets en même temps, je dois me recentrer sur les questions stratégiques. Etre multitâche a aussi ses limites.
Si je devais trouver des points de vigilance dans notre écosystème, ce serait le comportement qu’ont les entreprises avec qui nous travaillons. Chacune doit être traitée de manière spécifique. Nous sommes dépendants de leurs commandes et devons nous réadapter constamment. C’est pourquoi une meilleure structuration nous permettrait de gagner en flexibilité.
Quels sont vos projets?
Nous voulons créer un réseau de fablabs en Hongrie. Je voudrais aussi ouvrir un second lieu à Budapest, adapté aux besoins des entrepreneurs et des travailleurs indépendants. Où que l’on travaille, on doit trouver ce qui nous rend heureux. J’aime concevoir et lancer des projets, j’avais besoin d’un lieu où je puisse libérer ma créativité. Ici, je gère le fablab mais je travaille également sur mes propres projets (de la menuiserie en ce moment). Je jongle entre résoudre des problèmes complexes de management et faire des actions très simples, comme le travail du bois.
Fablab Budapest, Eötvös u. 29., Budapest, 1067
Retrouver l’intégralité de l’entretien sur We Can Be Heroes et sur Facebook