Plusieurs études pointent le potentiel de l’impression 3D en termes d’emplois, mais aussi la stagnation du marché de la fabrication additive personnelle. Explications.
L’euphorie autour de l’impression 3D serait-elle en train de retomber ? Si la croissance du marché mondial de l’impression 3D industrielle affiche toujours une progression de 20% par an selon le cabinet Wohlers Associates, celle de l’impression 3D personnelle stagne, impactant différemment les perspectives de l’emploi dans ce secteur. « En fait, l’impression 3D est en mort clinique dans le grand public », affirmait Olivier Ezratty en janvier 2018 à son retour du Consumer Electronic Show de Las Vegas, le grand raout mondial des produits hi-tech. Dans son rapport sur les tendances annuelles du salon, il pointe l’absence de 3D Systems et de Stratasys, leaders sur le marché de l’impression 3D domestique « dont le chiffre d’affaires est pourtant stable depuis 2015 ». Autre grand absent : Makerbot, pionnier de l’impression 3D personnelle qui prenait ses aises à Las Vegas depuis 2011.
« Makerbot a subi trois plans de restructuration en deux ans touchant 30% de l’effectif en février 2017 et 20% l’année précédente, soient 100 et 80 personnes, ajoute Olivier Ezratty. Le Français Sculpteo n’était pas là non plus cette année. C’est le témoin des difficultés du marché de l’impression 3D grand public. » Pour l’analyste, le marché de l’impression 3D est sans conteste dominé par son versant professionnel.
Selon BPI France (la banque publique d’investissement), la croissance du marché français de l’impression 3D devrait continuer sa progression et afficher de bonnes perspectives d’emplois dans l’industrie au cours des cinq à dix prochaines années, notamment dans les secteurs de l’aéronautique, du médical, de l’automobile, de la défense et de l’électronique. En revanche, du côté des services aux particuliers, l’enthousiasme n’est pas de mise : « Le segment B2C (business to consumer, lorsque l’entreprise d’adresse en direct aux consommateurs, ndlr) semble, lui, connaître une croissance timide. » En effet, seules 10% des start-ups françaises spécialistes de la fabrication additive analysées par la BPI en 2018 se positionnent sur ce type de services.
Mouton à cinq pattes
Dans le monde merveilleux de l’impression 3D, le futur de l’emploi se dessinerait-il davantage du côté de l’industrie que des services aux particuliers ? Une étude publiée par la plateforme Joblift le 22 mars dernier tend à le démontrer. Selon elle, le marché de l’emploi de la fabrication additive a plus que doublé en France entre 2016 et 2017, avec une forte poussée des offres proposées par les secteurs de l’industrie (+15%) et des télécommunications (+37%) contre une hausse de seulement 13% pour les services aux particuliers.
« L’industrie est aujourd’hui le secteur où les compétences dans l’impression 3D et la fabrication additive sont les plus demandées avec 30% des offres totales émises », analyse le rapport, expliquant que ces chiffres révèlent aussi que le domaine de la fabrication additive croît environ vingt-cinq fois plus vite que l’ensemble du marché du travail.
Il s’avère également que recruter dans l’impression 3D n’est pas si simple. Les compétences requises sont très éclatées, de l’ingénieur au développeur en passant par les spécialistes du génie mécanique et dans une moindre mesure, les designers industriels et les commerciaux.
Selon une autre étude internationale du cabinet Alexander Daniels Global relayée par 3D Natives, les freins au recrutement seraient de deux natures : un taux de chômage proche de zéro et une croissance (trop ?) rapide des entreprises. Pour résumer, les jeunes pousses de l’impression 3D grandissent plus vite que les nouveaux métiers dont elles ont besoin et qui ont encore bien du mal à se faire reconnaître. Une question qui se pose également dans les fablabs et autres tiers-lieux. Mais bonne nouvelle, à l’échelle mondiale, les salaires dans les entreprises d’impression 3D devraient augmenter d’au moins 9% en 2018.
L’impression 3D au Sénat
Croissance insolente d’une part, stagnation de l’autre. Cette lecture à double entrée du potentiel de l’emploi dans l’impression 3D fait également irruption dans les débats parlementaires. Le 22 mars dernier, l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) présentait au Sénat son rapport sur la fabrication additive dans le cadre de la première livraison de ses notes courtes, synthèses d’actualités scientifiques et techniques destinées aux politiques. « Ces notes courtes s’inspirent de celles produites par le POST (Parliamentary Office of Science and Technology), notre homologue britannique qui a une longue expérience dans l’animation de débats scientifico-politiques parfois musclés », explique Cédric Villani, député LREM de l’Essonne à l’initiative du projet.
Pour le mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 2010 entré récemment en politique, il s’agit de faire rentrer les technologies de rupture dans le scope politique, à l’instar des objets connectés, de la blockchain ou des technologies quantiques. « Nous sommes face à des enjeux macro-économiques considérables, poursuit-il. Les développements très récents dans les secteurs de l’intelligence artificielle interviennent souvent en synergie avec les objets connectés, l’impression 3D ou encore d’autres technologies comme les blocs de chaîne. »
La note de l’office souligne elle aussi le manque de dynamisme du marché domestique de l’impression 3D. Pour soutenir le développement du secteur, les parlementaires préconisent d’appuyer la recherche et les investissements via le programme d’investissement d’avenir (PIA), la BPI, les appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le programme européen Horizon 2020. Mais Huguette Tiegna, députée du Lot et rapporteure de la note sur l’impression 3D, rappelle que l’usage domestique des techniques d’impression 3D n’en est qu’à ses balbutiements et que de multiples questions juridiques se posent, notamment au sujet de la sécurité et de la santé des particuliers fabriquant eux-mêmes des pièces pour leur consommation personnelle.
Des fablabs toujours en quête d’un modèle
Et tacle les fablabs au passage : « Les fablabs sont de plus en plus délaissés par les particuliers et orientés vers des utilisations professionnelles. » Un point de vue nuancé par le pôle de compétitivité de la transformation numérique d’Ile-de-France Cap Digital dans sa cartographie de tendances 2017-2018 : « Les fablabs sont toujours en quête de leur modèle d’affaires (…). Certains rencontrent de beaux succès qui suggèrent que la valorisation du faire et de la production collective est une dynamique pérenne. » Concrètement, la personnalisation et le sur-mesure rendus possibles par l’impression 3D et la fabrication collaborative constituent pour le pôle « un gisement de valeur économique qui se confirme ».
«La fabrication additive pourrait devenir un levier économique important, un facteur d’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens, une source d’emplois qualifiés et un outil de réduction de l’empreinte carbone du secteur industriel.»
Huguette Tiegna, députée du Lot
L’office parlementaire pointe un autre problème : le manque de structuration de la filière. « Il convient également de [la] renforcer en soutenant l’action de l’Alliance industrie du futur (AIF) et de l’institut Carnot Cetim, notamment par une mise en réseau des acteurs. » Dans la boucle, aucune mention des réseaux de labs ou de tiers-lieux représentant les usagers de l’impression 3D. La note continue : « Il convient de décliner territorialement cet effort en invitant les régions à y participer autour des pôles de compétitivité et des plateformes de référence. » Une manière de prendre le train en marche après les collectivités locales : dès 2015 par exemple, la communauté urbaine de Dunkerque s’était fendue d’un livre blanc pour ses Etats généraux de l’emploi local, réfléchissant à la manière dont le territoire pourrait tirer profit de la fabrication additive et de ses promesses économiques en se positionnant sur le marché des écomatériaux d’impression. Le résultat attendu ? « Plusieurs dizaines d’emplois. » C’est un début.
L’étude sur le marché de l’emploi de l’impression 3D en France de Joblift