Chronique d’une makeuse en matériaux (27)
Publié le 6 mars 2018 par Caroline Grellier
Direction le Bénin. Après son retour en fac, notre makeuse passe de la théorie à la pratique avec un projet de valorisation des résidus de la filière coton.
Cotonou, correspondance
Après quatre mois sur les bancs de l’université de Nîmes à me former aux méthodologies de l’innovation sociale par le design et à expérimenter des approches participatives, il est temps de me recentrer sur mon projet d’agence en matériaux biosourcés Termatière. En janvier, j’ai alterné des rencontres avec des acteurs de la recherche sur les biomatériaux et une petite pêche aux clients qui m’a embarquée dans un véritable tour de France.
Quelques détours via Montpellier aussi, dans les laboratoires de l’Inra et de SupAgro où j’ai ressorti la blouse blanche le temps de fabriquer une nouvelle série de composites de sarments de vigne, à la demande de clients intéressés, désireux de toucher du doigt ces échantillons.
Janvier studieux
Entre deux trains, j’ai assisté à des conférences inspirantes : l’anthropologue Yann-Philippe Tastevin, invité au Design marabout du Centre Pompidou à Paris sur le « post-design ou l’art de la bifurcation », y a évoqué les wild tech, ou comment un usage imprévu redéfinit une technologie ; au Design en séminaire de l’Ensci, les nouvelles interactions entre sciences et design ont été décortiquées ; à l’occasion de Cultivate Conviviality à l’Ensad, à Paris toujours, la philosophe Seloua Luste Boulbina a fait une intervention passionnante sur le rapport entre le bricoleur et l’ingénieur. De quoi mettre mon cerveau de makeuse en ébullition.
Sur ma lancée, j’ai bouquiné, bouquiné, bouquiné, car cette année, je suis aussi étudiante, avec un mémoire de recherche en design à préparer. Un peu de philosophie de la technique, un peu d’histoire et d’anthropologie de la science africaine, un peu de documentation technique sur les sous-produits de la filière coton, un peu de livres d’économie, un peu de littérature sur la recherche en design, et quelques bibles comme L’innovation Jugaad ou Design pour un monde réel, qui ont retrouvé une place de choix sur mon étagère.
Retour en Afrique
Depuis quelques jours, me voilà de retour en Afrique ! Non mécontente d’avoir troqué la doudoune et les gants contre un débardeur et des tapettes (comprenez tongs), j’ai retrouvé dès mon arrivée les makers togolais d‘Ecoteclab, pour l’atelier mensuel du dernier samedi du mois (je vous en parlais ici et là). Au programme de la matinée, fabrication du mobilier du fablab à partir de palettes. Au bout de quelques minutes d’explications sur les modèles à fabriquer, je me suis mise au marteau, aidée par quelques bricoleurs avertis. On a clouté toute la matinée. Résultat : cinq tabourets qui viennent s’ajouter aux cinq précédents. Rendez-vous dans dix jours pour les finitions.
Le lab a bien changé (je leur avais rendu visite quelques semaines après l’ouverture du makerspace), a été aménagé (peinture, étagères de rangement, tableau), équipé en matériel aussi. Doucement mais sûrement, la communauté s’est élargie et elle est de plus en plus sollicitée par des structures locales pour des missions de prototypage.
Puis j’ai rejoint Cotonou, la capitale béninoise, en taxi depuis Lomé, en ouvrant grand les mirettes sur le littoral du golfe de Guinée : splendide. Un voyage tranquille, sans aléas ni retard, assez rare pour être souligné !
Le 26 février, j’étais en effet attendue à l’université d’Abomey Calavi, dans les locaux de l’Ecole polytechnique où je démarre un stage de cinq mois, encadrée par l’enseignant-chercheur Akanho Chakirou Toukourou. Ma mission sera d’accompagner son laboratoire de recherche en matériaux locaux, Potemat, sur un projet de valorisation des sous-produits de la filière coton au Bénin.
En interaction avec le laboratoire de génie mécanique, de génie civil et de chimie, je vais réaliser un travail de terrain que les chercheurs n’ont pas le temps de faire. L’objectif est de mettre en œuvre une démarche d’innovation sociale par le design, en appliquant la méthodologie « maker en matériaux » de Termatière.
Mon travail se répartira en deux temps : d’abord une collecte de données via des entretiens avec les cotonculteurs, les architectes, les acteurs de la construction, les populations pour sonder leurs besoins, contraintes et aspirations ; puis l’identification d’un site pilote par une cartographie du territoire et de la filière ; et, dans un second temps, il s’agira d’impliquer les bénéficiaires et parties prenantes du projet dans les phases de recherches expérimentales via l’organisation d’un atelier-chantier de création d’une matériauthèque. Mon objectif est de faciliter une meilleure articulation entre le terrain et la recherche en labo, d’aboutir à une recherche appliquée efficiente.
En parallèle, ma deuxième mission consiste à répertorier les besoins en équipement du labo et à proposer des solutions sur un mode DiY et low-tech grâce à de la documentation open source. La démocratisation des moyens du faire via le mouvement maker engendre une mutation de la recherche scientifique. Une belle opportunité pour la recherche africaine de faire valoir ses nombreux atouts et son ingéniosité à toute épreuve.
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