Dans le cadre de la formation «S’initier à la fabrication numérique» portée par l’Institut Mines-Télécom et Makery, Constance Garnier a formé quinze fabmanagers d’Afrique de l’Ouest à transmettre leurs connaissances. Récit.
Dakar, correspondance
Fablaventures… Mon amour des fablabs m’a menée à Dakar. Baptiste Gaultier et Denis Moalic m’ont invitée à les rejoindre pour former un trinôme de formateurs. Vous connaissez peut-être les Mooc de l’Institut Mines-Télécom disponibles sur la plateforme FUN, dont « S’initier à la fabrication numérique » (Makery en est partenaire) ? Ils en expérimentent une version hybride : au contenu en ligne s’ajoutent des temps d’ateliers animés en présentiel dans des espaces de fabrication numérique. Au cours du Fablab Festival 2017 à Toulouse, Baptiste Gaultier et Denis Moalic avaient animé une rencontre avec les représentants des fablabs africains et posé les premières pierres de ce qui allait devenir ce programme d’une semaine.
L’enjeu de notre semaine à Dakar, du 29 janvier au 2 février, était de former quinze (actuels ou futurs) fabmanagers africains francophones pour qu’ils encadrent et accueillent ce programme hybride de plusieurs semaines dans leurs fablabs. La formation, financée par l’ambassade de France au Sénégal, était accueillie dans les locaux de l’Ecole supérieure polytechnique de Dakar (ESP). Plusieurs fablabs existants étaient représentés : Defko Ak Niep et le fablab de l’ESP pour ce qui est des Dakarois, Blolab au Bénin, Sahel Fablab en Mauritanie, Minodoo au Togo. Il y avait également des porteurs de projets de fablabs, principalement dans des structures universitaires mais aussi dans le réseau des jokkolabs.
Chaque participant avait suivi le premier module du Mooc, soit l’équivalent de quatre semaines de cours en ligne, et devait produire une station météo (altitude, humidité, température). Nous avons été confrontés à la problématique de l’accès aux ressources matérielles, commune aux labs d’Afrique de l’Ouest (tout au moins), aux différences des propriétés intrinsèques des matériaux disponibles (bois), ainsi qu’aux caprices d’Internet et des plateformes informatiques. Mais, d’adaptation en adaptation, chacun a fini la semaine avec une station fonctionnelle.
Profitant d’un moment où la contrainte technique était majeure, nous avons pu rebondir sur un besoin et/ou une envie visiblement largement partagés, et poser les bases de la création d’un réseau des fablabs d’Afrique de l’Ouest, qui s’inscrivait dans la lignée de leur atelier au Fablab Festival 2017. Je suis très heureuse et honorée d’avoir pu contribuer à faciliter cette initiative et j’ai surtout hâte de voir comment cette dynamique va évoluer et prendre forme. Elle devrait répondre à des enjeux fondamentaux, notamment faciliter l’accès au matériel pour chacun des fablabs membres et leur permettre de porter une voix commune sur certains sujets et dossiers.
Au-delà de ce projet qui a émergé dans la semaine, je me suis chargée de deux sujets : l’inscription des fablabs dans une perspective historique, incluant les dynamiques actuelles et à venir, et la question des business modèles des fablabs, en mettant l’accent sur les interactions avec les entreprises et des études de cas autour des fablabs présents.
Depuis quelques années, je m’intéresse au déploiement de nouveaux formats pédagogiques qui se créent via les outils numériques. Ce qui me plaît particulièrement, c’est la tentative d’articuler le meilleur des différents formats : l’accessibilité et la liberté que permettent les contenus en ligne sans renoncer à (et en l’occurrence en réintroduisant) la force de la matérialité, de la convivialité et du collectif que l’on trouve dans un espace de formation physique. Particulièrement lorsqu’il s’agit de produire des objets…
C’est ce que nous avions également cherché à mettre en place à l’université de Toulouse avec le projet Matris (Mooc appliqué aux technologies, transfert et innovations) à la rentrée 2015 en faisant collaborer autour de cours communs des étudiants de différents masters (gestion de projet du numérique et droit du numérique). Nous avions également opté pour un format hybride de cours en ligne, de formation technique et de projets collectifs.
Les cours en ligne étaient assurés par des enseignants chercheurs intervenants dans les masters concernés mais également extérieurs pour apporter une autre complémentarité. La formation technique était assurée en présentiel par les fabmanagers d’Artilect, le fablab de Toulouse. Quant aux projets collectifs, ils étaient organisés et menés de manière autonome par les étudiants.
EyeBip premier prototype présenté par les étudiants du programme MATRIS dvp au @FabLab_Toulouse – @UT1Capitole @UTJeanJaures pic.twitter.com/gOTYkITvDw
— Garnier Constance (@StanceGarnier) January 18, 2017
Ces expérimentations en sont à leurs premiers pas, et comme tout jeune parent, je les trouve fascinants. Je dois dire que j’ai beaucoup appris pendant cette semaine au contact de tous les participants, mais aussi en dehors de la formation !
J’ai pu visiter Defko Ak Niep, le fablab de Kër Thiossane, qui a bien évolué depuis sa création en 2014. Sa communauté compte une cinquantaine de membres. Defko Ak Niep soutient de nombreux projets dans Dakar et en milieu rural, accompagne les initiatives de création de fablabs au Sénégal dans des structures universitaires ou indépendantes, et est aujourd’hui à un point charnière de son questionnement sur son modèle économique. Il est toujours mû par un souci d’action sociale, culturelle et mettant la question des communs au centre de la réflexion.
J’ai revu Maxime Eric Mendy qui était venu au Fablab Festival 2017 et qui a actuellement un projet de création de fablab dans Dakar. On espère aussi le revoir cette année à Toulouse !
Mais j’ai aussi pu visiter les belles îles de Ngor et Gorée… être éblouie, émerveillée, calme, faire des rencontres simples, rire… apprendre quelques mots de wolof (dieureudieuf Idrissa), manger du thiof (la morue du Sénégal) et des oursins pour la première fois !
Dans un tout autre registre, j’ai connu des moments intenses de réflexion, d’apprentissage, de questionnements sur le passé colonialiste de mon pays et son/notre/mon attitude actuelle. Notamment avec la visite de la Maison des esclaves… Sensations renforcées par la concomitance de la visite d’Emmanuel Macron au Sénégal. Mes pensées à ces sujets continuent de mûrir… penser invite au voyage et le voyage invite à penser…
Constance Garnier, doctorante en sciences de gestion à Télécom ParisTech, prépare une thèse sur l’impact des fablabs sur le management de l’innovation en entreprise. De 2015 à 2017, elle a coorganisé pour Artilect le Fablab Festival de Toulouse