Makery

En Inde, un Fabrikarium pour hacker le handicap

Les équipes franco-indiennes au travail au Maker's Asylum. © Carine Claude

Du 10 au 14 février, on était chez Maker’s Asylum à Mumbai pour un hackathon franco-indien avec les Rennais de My Human Kit. Ou l’art de traiter du handicap et de l’innovation frugale dans la joie et la bonne humeur.

Mumbai, envoyée spéciale (texte et photos)

Une chaise roulante qui s’envoie en l’air, des canettes de Red Bull reconverties en signalétique braille, ou encore une prothèse de main façon tapette à moustiques… Le dernier jour du STEAM Fabrikarium, un hackathon franco-indien autour du handicap organisé du 10 au 14 février à Mumbai par le makerspace Maker’s Asylum et l’association rennaise My Human Kit, les 65 participants s’étaient mis en mode démo pour présenter leurs protos low-cost et fonctionnels destinés à faciliter le quotidien des personnes handicapées. Avec une touche de fun. Car ici, toute condescendance est proscrite et les équipes sont mixtes, valides et invalides confondus. Au Maker’s Asylum, on préfère d’ailleurs parler de personnes « differently abled » pour éviter les tentations discriminatoires. « On est là pour casser les règles », jure Allan Rodrigues, président du Maker’s Asylum, en conclusion de STEAM Fabrikarium (manifestation dont Makery est partenaire).

Nicolas Huchet, créateur de la main bionique open source Bionicohand, en train d’ajuster une prothèse pour le motard indien Mahendra Pitav amputé de l’avant-bras gauche.

La ruche sous les ventilos

En tout, une dizaine d’équipes formées d’ingénieurs, de makers, de codeurs, de designers et de personnes handicapées encadrées par des mentors français et indiens s’étaient réparties autour de cinq projets : prothèses de main (Bionico et Shiva), chaises roulantes, voire volantes, impression de braille…

Sur la soixantaine de participants, une quinzaine de personnes handicapées, et leurs accompagnants, découvraient l’univers maker.

« Regardez, ils ont encore travaillé jusqu’au petit matin ! », s’enthousiasme Hugues Aubin, l’un des mentors de l’événement, en montrant les messages de son équipe envoyés au beau milieu de la nuit. Cofondateur du LabFab de Rennes, il coordonne My Human Kit, une association créée pour accompagner le projet de main bionique et open source de Nicolas Huchet.

John Lejeune, l’un des mentors de My Human Kit, et Ritu.
Pour coder et souder, place aux filles pour la prothèse de main Shiva.

Pour Hugues Aubin, les cinq jours de sprint techno-créatif et autant de nuits raccourcies auront été limites pour développer leur proto : construire une Braille Rap, une imprimante 3D modifiée pour écrire en braille. Itération oblige, c’est une fraiseuse numérique qui a finalement été hackée avec une mèche de perceuse inversée servant d’embosseuse pour graver rapidement et à bas coût de la signalétique pour les mal-voyants dans du métal de canettes usagées.

Réglage en finesse de la CNC.

« Ils sont incroyables, les idées fusent dans tous les sens. Le plus compliqué, c’est de les canaliser », constate-t-il. En plein hiver indien à 35°, la chaleur n’aide pas, et le makerspace a des allures de ruche sous ventilos. Pour tester la qualité de l’impression braille DiY, il peut compter sur Rahul, un avocat indien aveugle. D’ailleurs, Hugues Aubin n’a pas hésité à lui mettre les mains dans le cambouis en lui faisant manipuler les différentes pièces de la CNC.

«Je vois!» s’exclame Rahul, les mains dans la CNC pour en comprendre le fonctionnement. «Un moment magique» pour Hugues Aubin.

Carrefour de rencontres

« Ce n’est qu’une étape. Il faut absolument garder trace de toutes les pistes imaginées ici pour les développer plus tard. » Toute l’idée du STEAM Fabrikarium est là : ne pas se contenter d’un one-shot et développer sur le long terme la coopération entre makers indiens et français, handicapés ou non.

L’origine du projet s’est jouée dès 2015 par le hasard des rencontres entre Nicolas Huchet, Vaibhav Chhabra, fondateur du Maker’s Asylum et Sandrine Maximilien, chercheuse à l’Insa (Institut national des sciences appliquées) de Lyon et attachée auprès de l’ambassade de France en Inde en charge des sciences et techniques. Pour eux, construire des projets EdTech interdisciplinaires entre les deux pays s’impose. Rapidement, institutions, partenaires et monde académique entrent dans la boucle, à l’instar du Centre de recherche interdisciplinaire (CRI) et de l’Institut Mines-Télécom.

La communauté du Maker’s Asylum, «l’asile des makers».

Première étape : le lancement de la STEAM School en 2016 (pour Science, Technology, Engineering, Art and Math), une école du faire éphémère organisée au Maker’s Asylum autour de thèmes comme la santé ou l’environnement, en accord avec les objectifs d’innovation sociale fixés par les Nations unies. La même année, My Human Kit teste la V1 de son Fabrikarium spécial handicap chez Airbus. La fusion des deux concepts donnera lieu à cette première édition du STEAM Fabrikarium, placée sous l’égide du programme de coopération culturelle et scientifique Bonjour India piloté par l’Institut français et l’ambassade de France en Inde.

«Make, break, create»: la devise du Maker’s Asylum.

Un fléau indien

L’intérêt des institutions françaises et indiennes n’est pas anodin, car l’enjeu est de taille. Zones de conflit, ruralité, castes… A l’échelle du sous-continent, le handicap est un véritable fléau, tant du point de vue de l’exclusion que de l’accès aux soins des personnes. « Le dernier recensement de 2011 chiffre à 2,2% le nombre de personnes handicapées en Inde, mais c’est sans doute beaucoup plus », affirme Neha Saigal, analyste du National Skill Development Cooperation (NSDC) à Delhi et ex-coordinatrice régionale de Handicap International venue en « observatrice active » au Fabrikarium. Dès 2009, un rapport de la Banque mondiale pointait que 5 à 8% de la population indienne était en situation de handicap, soit 55 à 90 millions de personnes…

Pour réclamer l’attention (et le silence), on lève la main au Maker’s Asylum.

Essaimage de Human Labs en vue

Concrètement, des Human Labs pourraient prochainement voir le jour en Inde, sur le modèle de celui créé à Rennes par My Human Kit. « On n’a pas encore de définition stricte de ce que seront les Human Labs en Inde. Un label ? Un réseau ? explique Vaibhav Chhabra. En tout cas, ce seront des lieux accessibles pour et par les personnes en situation de handicap. »

«Tous différents, mais tous ensemble!»

Nicolas Huchet, My Human Kit

La Flying Wheelchair, pour faire du parapente. Ou coder en mode balançoire.
Ultime réglage de l’électronique et de la batterie de la chaise roulante électrique e-Trotti avec Anool Mahidharia, l’un des mentors.

Dès le lendemain du STEAM Fabrikarium, la Flying Wheelchair, une chaise roulante adaptée pour faire du parapente, a été testée sur un site d’envol au sud de Mumbai. « A notre retour en France, nous allons encore travailler sur la voilure et aller voir la Fédération française de vol libre. L’objectif serait de fabriquer les châssis en Inde, et la partie tissus en France », dit John Lejeune, fabmanager du LabFab de Rennes et membre de My Human Kit.

Quant au proto e-Trotti, une chaise roulante électrique low-cost, elle pourrait à l’avenir être fabriquée grâce à des moteurs de récup des vélos à assistance électrique de la ville de Rennes, explique Yohann Véron, un autre compère de My Human Kit. Et, pourquoi pas, l’organisation d’un Fabrikarium en France pour y faire venir les makers indiens.

Retrouvez ici les portraits de ceux qui ont fait le Fabrikarium

Les prototypes montés lors du STEAM Fabrikarium vont continuer à être documentés sur Hackaday