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Conflit de méthode chez les biohackers

Aaron Traywick s'injectant sur scène le «vaccin» contre l'herpès. © Michael Henderson

Ça s’empoigne dans la communauté DiYbio autour du controversé dirigeant d’une entreprise de biotech, qui prétend proposer des kits d’injection DiY de vaccins et autres traitements de maladies comme le sida ou l’herpès.

Austin, Texas, le 4 février 2018. La convention Bdyhax 2018 s’affiche comme un important rendez-vous de body hacking à tendance transhumaniste. On y parle d’implants de nouveaux organes sexuels vibrants, de thérapies assistées au MDMA ou autres psychédéliques. L’artiste Stelarc est même présent pour montrer son oreille implantée sous la peau de son avant-bras. L’après-midi est consacrée à la santé DiY et donne le ton avec une première du documentaire Transhuman: Biohackers and Immortalists de Ford Fischer qui vante l’éradication de toutes les maladies par le biohacking. Divers projets défilent, Mixael Laufer de Four Thieves Vinegar explique ainsi comment fabriquer ses médicaments à la maison.

Le clou du spectacle est offert par Aaron Traywick, le jeune dirigeant de 28 ans de l’entreprise controversée Ascendance Biomedical, qui doit s’auto-injecter en direct sur les réseaux sociaux ce qu’il présente comme un vaccin contre l’herpès. Traywick, qui n’a aucune formation scientifique ou médicale, présente l’équipe de l’entreprise qui a développé un « vaccin » et un « traitement » contre l’herpès. Andreas Stuermer, ingénieur généticien animateur du Biolab de l’Ars Electronica Center à Linz en Autriche, est présenté comme le « lead scientist » du projet. Traywick baisse ensuite son pantalon et s’injecte dans la cuisse le prétendu vaccin DiY. Au prétexte que les régulations de la Food and Drug Administration (FDA) sur la thérapie génique sont trop strictes et trop lentes, son entreprise se donne pour mission de proposer plus rapidement des « traitements » DiY à bas coût. L’équipe semble convaincue des miracles que peuvent produire la thérapie génique et la technique d’édition génomique CRISPR-Cas9. Au point qu’elle donne l’impression à l’audience de négliger, voire de mépriser ouvertement les règles élémentaires de cohortes et d’essais cliniques rigoureux.

L’injection en direct du traitement DiY anti-herpès, Bdyhax, février 2018 (en anglais):

Coups médiatiques

Traywick n’en est pas à son premier coup. En octobre 2017, il avait également créé le buzz autour d’un autre « traitement », contre le VIH cette fois, rien de moins. Un de ses collaborateurs, Tristan Roberts, atteint du VIH et refusant la trithérapie, s’injectait sous la peau et en direct sur les réseaux sociaux un prétendu traitement de thérapie génique pouvant stimuler la production d’anticorps N6 – une étude des National Institutes of Health (NIH) avait récemment montré que ces derniers neutralisent jusqu’à 98% des souches de VIH –, avec l’espoir de devenir le « patient zéro » d’un traitement révolutionnaire. Néanmoins, un mois plus tard, l’équipe d’Ascendance Biomedical devait redescendre sur Terre. L’injection du remède miracle n’avait pas marché, la présence de souches avait même augmenté.

Un biohacker s’auto-administre un «traitement» anti-sida, octobre 2017 (en anglais):

Josiah Zayner, alias The Odin, autre spécialiste de coups médiatiques (on vous en parlait ici et ), avait lui aussi mené en public et diffusé sur les réseaux sociaux, quelques jours avant Roberts, une auto-injection CRISPR-Cas9 afin de modifier son génome dans l’objectif d’augmenter sa masse musculaire.

Suite à ces deux expériences risquées, l’autorité de sécurité sanitaire américaine publiait en novembre 2017 un communiqué alertant sur l’auto-administration de thérapies géniques. « La FDA est consciente que des produits de thérapie génique destinés à l’auto-administration et des kits Do it Yourself pour produire des thérapies géniques destinées à l’auto-administration sont mis à la disposition du public. La vente de ces produits est contraire à la loi. La FDA est préoccupée par les risques de sécurité que cela implique. Les consommateurs sont avertis de s’assurer que toute thérapie génique qu’ils envisagent ait été approuvée par la FDA ou étudiée sous la surveillance réglementaire appropriée. »

Josiah Zayner et le «DiY Human CRISPR», octobre 2017 (en anglais):

Josiah Zayner s’étonne d’abord sur les réseaux sociaux de la rapidité de réaction de la FDA, puis affirme avoir effectivement procédé à toutes les vérifications et études scientifiques appropriées.

Remède miracle ou charlatanisme?

Le 5 février, dans la nuit qui suit l’injection de Traywick à Austin, Josiah Zayner se fend d’un communiqué critiquant Ascendance Bio : « Penser que n’importe quel scientifique, biohacker ou non, ait pu créer un remède contre une maladie sans test et aucune donnée est aussi ridicule que de croire que le carburant en feu des avions du 11 septembre a pu faire fondre les poutres d’acier du World Trade Center. Ascendance Bio n’a aucune légitimité. Ils n’ont créé aucun traitement. À mon avis, ils ne méritent pas qu’on les appelle biohackers ou scientifiques. (…) Malheureusement, cela a atteint un point où ils trompent les gens et font passer la communauté des biohackers pour un groupe d’escrocs idiots. Ils semblent plus intéressés par attirer l’attention sur eux que de favoriser l’accès (aux soins). Ils revendiquent la transparence, mais n’ont fourni aucune donnée, information, séquence d’ADN ou matériel à des tiers pour effectuer des tests et des vérifications. Enfin, ils enfreignent la règle numéro un du biohacking, qui est de ne jamais mettre la vie d’une autre personne en danger. »

Et Zayner va jusqu’à s’excuser : « En regardant rétrospectivement mes actions passées, qui incluaient malheureusement une injection publique quelque peu ridicule, je souhaite m’excuser si j’ai pu laisser penser que je faisais ces choses par pur caprice quand cela n’était pas le cas. Mon objectif est et a toujours été de rendre la biotechnologie plus accessible et, parfois, de la débarrasser de son jargon habituel ou de ses cérémonies et rituels inutiles pour que les gens puissent comprendre de quoi il retourne. (…) Je consulte toujours d’autres experts médicaux et scientifiques pour voir si je suis passé à côté de quelque chose et encourage toujours les autres à faire de même. La science est parfois plus une question de savoir comment ne pas mal faire les choses que de comment les faire correctement. Pour autant qu’on sache, Ascendance n’a jamais fait d’expériences préliminaires. Ils n’ont jamais fourni de données préliminaires et pourtant prétendent que toutes les thérapies qu’ils expérimentent sont des remèdes. » Et d’ajouter : « C’est de la pseudo-science et du charlatanisme. »

Et l’affaire devient virale

Alors que l’injection du « remède » contre l’herpès devient virale dans la presse et sur les réseaux sociaux, la polémique enfle dans la communauté sur les tenants et les aboutissants scientifiques de l’opération. L’idée du traitement est celle d’Andreas Stuermer, le biohacker et bio-artiste de 25 ans de l’Ars Electronica Center. Le jeune biohacker autrichien s’est déjà fait remarquer dans les groupes de DiYbio par ses déclarations enthousiastes et intempestives réclamant « CRISPR for all » et se plaignant continuellement des restrictions légales dans ce domaine. Stuermer avait approché Ascendance pour tenter de produire un vaccin contre l’herpès, après être tombé sur un article scientifique particulièrement intrigant. Cela semblait assez simple. Pour entrer dans les cellules du corps humain, l’herpès s’appuie sur une protéine, la « glycoprotéine D ». Il suffirait de supprimer la protéine du virus et le virus ne pourrait plus se propager. Le virus désarmé pourrait ainsi devenir la base d’un vaccin, selon Stuermer. Il avait prévu de se l’auto-injecter en public à la conférence de body hacking d’Austin. Mais une semaine avant l’événement, Stuermer n’est plus très sûr de son « vaccin ». La méthode citée par l’article scientifique n’a été testée que chez des souris. Sa fiabilité est sujette à caution dans la mesure où les souris ont des systèmes immunitaires significativement différents de ceux des humains… Et puis, Stuermer commence à avoir des doutes sur les vaccins à ADN et le développement de maladies auto-immunes. Au dernier moment, il change d’avis. C’est avec surprise que la communauté découvre à Austin que Traywick va lui-même s’injecter le vaccin…

Dans un groupe Facebook de DiYbio, Andreas Stuermer expose ses doutes une semaine avant l’injection (capture écran). © DR

Le samedi suivant l’injection, l’affaire tourne à la comédie. Le conflit est ouvert entre les membres du projet, une partie d’entre eux souhaitent récupérer leur matériel, pour une valeur estimée à 50.000$. Mais Traywick s’est arrangé pour faire changer les serrures du lab de Jacksonville en Floride où il est entreposé. La situation tourne à la bagarre. Traywick se barricade même à l’intérieur pendant plusieurs heures. Il contraint le développeur web de l’entreprise à fermer le site internet de son entreprise pour maintenance, prétendant que la société fournira ultérieurement plus d’arguments scientifiques.

Le lendemain, Tristan Roberts, Andreas Stuermer et la moitié de l’équipe d’Ascendance donnent une conférence de presse improvisée sur Facebook. Ils déclarent se désolidariser de Traywick et expliquent qu’ils ne travailleront plus pour Ascendance, puisque Traywick les aurait poussés à négliger les questions scientifiques pour respecter les dates butoirs posées pour révéler ses fameuses nouvelles thérapies à la presse.

Tristan Roberts déclare même qu’il faut « éliminer » Traywick de la communauté des biohackers avant qu’il ne « fasse du mal à des gens ». Il affirme que ce dernier est un « artiste de l’escroquerie » qui trompe ses investisseurs et est aveuglé par ses ambitions capitalistes. Il explique notamment que Traywick prétendait bientôt tester son traitement anti-sida au Vénézuela…

Tristan Roberts pointe du doigt l’une des questions vraiment problématiques : Traywick parle constamment de « remède », c’est un abus de langage, alors que, dit-il, « l’équipe scientifique est légitime, sa science est légitime ». Et d’ajouter « Nous pouvons faire mieux, nous ferons mieux. »