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Le BioCamp de Tokyo côté jardin

Un des jardins éphémères composés lors du BioCamp à Tokyo. © Cherise Fong

Du 10 au 17 février, une vingtaine d’artistes et de scientifiques internationaux triés sur le volet sont réunis dans un atelier BioCamp à Tokyo pour explorer les «jardins de la biotechnique». Visite.

Tokyo, de notre correspondante (texte et photos)

Lundi 12 février après-midi, au 5ème étage des Red Bull Studios à Shibuya, une vingtaine de personnes sont réunies autour de quatre grandes tables, de plusieurs tas de pierres et de différents spécimens de flore locale. A charge pour eux de placer ces éléments avec intention et sensibilité sur chaque table afin de créer un jardin éphémère.

C’est l’atelier conceptuel introductif au BioCamp: Gardens as « Biotechnik », une semaine de découverte et d’initiation pratique à la biotechnologie DiY organisée et financée du 10 au 17 février 2018 par le BioClub de Tokyo et le Japan Foundation Asia Center dans le cadre du festival MeCA (Media Culture in Asia).

Les biocampeurs partagent leurs photos prises à l’extérieur d’éléments de jardin.

« Dans ce genre de workshop, ce que vous faites est important, bien sûr, mais ce qui compte le plus, c’est avec qui vous le faites », explique Georg Tremmel, bio-artiste et cofondateur du BioClub. Parmi plus de 70 dossiers internationaux, 20 personnes ont été choisies pour participer au BioCamp – artistes et scientifiques de formations diverses –, dont la moitié originaires du Sud-Est asiatique. S’ils n’ont pas tous des connaissances en biologie, tous s’y intéressent.

Graines de possibles

L’idée des organisateurs : privilégier la diversité des disciplines et la parité des genres, les exposer à une « confusion totale » de techniques DiYbio, les répartir en quatre groupes hétéroclites, les encadrer d’experts en biotech, puis voir les projets qui en ressortent. « On essaie d’être le plus ambigu possible, afin que les participants puissent projeter leurs propres idées et intérêts, continue Georg Tremmel. J’espère qu’on pourra ainsi cartographier un espace de possibilités à explorer, et établir les bases de projets artistiques à développer par la suite. »

La semaine aura été riche en expériences partagées, en commençant par la fabrication de tempeh et autres délices obtenus par fermentation, selon la méthode mise au point par le collectif indonésien Lifepatch, représenté à Tokyo par Andreas Siagian et Nur Akbar Arofatullah. Dimanche, tout a commencé par une visite exclusive de la serre impériale au sein du parc Shinjuku Gyoen. Le programme s’est poursuivi avec des ateliers pratiques et conférences publiques animés par le pionnier américain du DiYbio Joe Davis, la bio-artiste et chercheuse anglaise Ionat Zurr, le média-artiste autrichien Günter Seyfried et l’incontournable ancien directeur de la Paillasse Thomas Landrain… sans oublier le biohackadémicien japonais et manager du fablab Hamamatsu, Masato Takemura, qui donne un cours de dégustation de vers de farine, dans la série HTEAA (How To Eat Almost Anything).

Chacune pose sa pierre dans la construction collaborative du jardin.

Ce lundi après-midi, c’est le jardinier universitaire (et traducteur japonais du Jardin en mouvement de Gilles Clément) Tomoki Yamauchi qui anime un atelier sur la notion du jardin : d’abord en comparant leurs versions japonaise et française, ensuite en passant en revue des photos d’éléments de jardins potentiels prises par les participants, et finalement en les invitant à composer sur place leur propre jardin éphémère, selon la sensibilité, l’esthétique et la philosophie qui existent entre nature et culture urbaine, entre objet inanimé et écosystème vivant, entre soi et les autres.

Chiaki Ishizuka, bio-artiste et directrice du BioClub, prend à cœur la métaphore du jardin comme lieu de rencontre et de réflexion : « Nous avons conçu le BioCamp comme une jardinière où l’on cultive des idées, explique-t-elle. Ce programme de huit jours propose un cadre dans lequel les participants peuvent s’épanouir ensemble. Comme des plantes qu’on nourrit avec de l’eau et du sol fertile, il faut qu’on les inspire avec des ateliers de fermentation, de microfluides, CRISPR, etc., tout en les guidant à l’aide d’experts. Mais les ateliers techniques seuls ne sont pas intéressants. Le plus important, c’est de réfléchir à pourquoi c’est intéressant d’ouvrir la biotechnologie aux non-scientifiques. »

Toujours en référence au jardin, Chiaki Ishizuka évoque la sensibilité typiquement japonaise pour la vitalité des objets inanimés… avant d’y opposer le principe dans la communauté scientifique de traiter des êtres vivants (souris d’expérimentation et autres bêtes malheureuses) comme des objets inanimés. « La biotechnologie est très proche de notre vie, il faut qu’on réfléchisse bien à comment s’en servir », ajoute-t-elle.

Trois participants du BioCamp présentent leurs réflexions autour du jardin au public.

Sachiko Hirosue, biologiste, chercheuse universitaire et collaboratrice régulière du réseau Hackteria en Suisse (où elle travaille depuis plusieurs années), ainsi que de Lifepatch en Indonésie et (Art)ScienceBLR en Inde, souligne elle aussi la nécessité de cultiver la relation entre science et société. « Le premier intérêt de la science ouverte, c’est déjà de pouvoir contester les techniques et les traitements dans un environnement sûr, sans la relation patriarcale entre médecin et patient, dit-elle. Même le bio-art est un mot intéressant et difficile. Toujours au stade de l’enfance, il évoque une fascination pour les techniques qui sont en train de reproduire la dynamique de puissance qui existe dans le domaine scientifique, qui favorise ceux qui ont accès ou connaissent ces technologies. J’espère que la science ouverte et le DiYbio donneront lieu à plus de conversations pour explorer des voies alternatives, d’autres façons de voir et de penser la médecine et les maladies. »

Dans les lieux de rencontre et d’échange du BioCamp, l’ambiance est chaleureuse, les affinités se forment entre participants tous azimuts. Nay Win Kyaw, jeune conservateur de tortues en Birmanie, s’est intéressé au BioCamp après avoir participé aux Etats-Unis au Bio Summit du MIT en septembre 2017.

Nay Win Kyaw de Birmanie dans un coin de son jardin éphémère.

Cet ancien étudiant en sylviculture et écologie, qui ne cesse d’explorer la relation entre plantes et animaux, s’est fixé au moins un objectif pour la fin de son séjour japonais : apprendre à cultiver son propre jardin.