Makery

Recherche makeuses désespérément…

Deux opératrices de l'ENIAC, le premier ordinateur américain, dans les années 1940. © Domaine public CC 1.0

Pas si simple de féminiser la tech… On a tenté de comprendre le peu de résonance de l’appel à projets Makeuses porté par la fondation Simplon.

Quand le fablab Simplon a contacté Makery pour relayer son appel à projets Makeuses (nous étions déjà partenaires du projet en 2016 et avions relayé dès décembre 2017 l’appel sur nos réseaux sociaux…), en confessant qu’ils avaient reçu moins d’une dizaine de candidatures, on a tiqué. Et promis de creuser pour comprendre pourquoi ce concours assez ouvert et plutôt bien doté n’accrochait pas (à cinq jours de la clôture des inscriptions, 23 dossiers seulement ont été reçus).

Si l’on voit fleurir les hackathons qui engagent sur 48h et gracieusement des flopées de codeurs et prototypeurs à participer à leurs marathons de développement, les appels à projets pour makers dotés de prix sonnants et trébuchants ne sont pas légion. Encore moins ceux dédiés aux makeuses… Celui de la fondation Simplon propose trois prix de 7.000€ chacun (dont 4.000€ d’apport financier et 3.000€ en matériel via la mise à disposition du fablab de Simplon dans le 20ème à Paris), financés par les fondations SNCF, ManpowerGroup et Orange RSE. Le dossier à remplir en ligne (jusqu’au 18 février) ne paraît pas insurmontable, étant des plus minimalistes : il suffit d’être une « femme souhaitant mettre la tech au service d’un projet à impact social » ou d’être un « porteur.euse de projet souhaitant œuvrer en faveur de la féminisation du secteur de la tech par des actions et projets dédiés ».

« Je me suis posé la question de savoir si on utilisait les mauvais canaux de communication, si on n’avait peut-être pas suffisamment fait d’action directe dans les fablabs auprès de ceux et celles qui fabriquent, dit Camille Meier, responsable du pôle grands projets chez Simplon. Est-ce qu’il y a de l’autocensure chez les femmes qui auraient vu passer l’appel et auraient un sentiment de non-légitimité, je ne sais pas… »

Premier constat : aucune des femmes makeuses, codeuses, artistes bidouilleuses et autres responsables de labs que nous avons contactées ne se sont autocensurées ! La plupart ont vu passer l’appel, certaines l’ont relayé dans leur réseau, d’autres ont repoussé à plus tard leur éventuelle candidature (« l’effet deadline » qu’avait aussi avancé Camille Meier pour expliquer le peu de succès de l’appel à projets). Une majorité de celles qui nous ont répondu ont cependant critiqué la formulation « maladroite » de l’appel.

Un appel un peu trop flou

Albertine Meunier, artiste hackeuse (qu’on ne vous présente plus), ouvre les hostilités : « A vrai dire, je le trouve très très mal formulé… Pourquoi une makeuse devrait-elle faire quelque chose autour de l’insertion sociale et/ou professionnelle, de l’éducation, de la solidarité, bref un truc utile, empathique et généreux… un truc pour ce que l’on pense que peuvent faire des femmes, quoi ! » Pour Constance Garnier, historique du mouvement maker français (elle est membre active d’Artilect, le fablab de Toulouse, où elle a notamment coorganisé le Fablab Festival de 2015 à 2017), « il y a de toute évidence une volonté de soutenir les femmes avec bienveillance » dans cet appel « mais c’est effectivement maladroit d’avoir mis le focus sur “impact social”. Qu’est-ce qui n’en a pas ? A la limite aurait été précisé “impact social dans votre ville”, “lié à l’éducation”, “lié à des problématiques de handicap”, “à la mobilité”, “intergénérationnel”… Féminiser le monde de la tech ne veut pas forcément dire amener de la douceur et du social dans un monde d’ours mercantiles ! » Anne Laforet, artiste bidouilleuse, « n’aurait pas pensé répondre car la formulation est vraiment très orientée “tech”, une adresse plus large aurait peut-être été plus bénéfique ».

Cette maladresse, ou plutôt ce « flou » dans l’appel Makeuses a sans aucun doute empêché quelques candidatures. Catherine Lenoble, qui porte le projet au long cours de Ludobox (dont elle rend compte dans Makery) a tout simplement pensé qu’elle était hors des clous (l’appel à projets était initialement réservé aux moins de 32 ans) : « J’ai 35 ans, c’est mort. » L’artiste Chloé Desmoineaux s’est décidée à déposer une double candidature avec Isabelle Arvers pour leur projet « Art Games Demos orienté queer et féminisme inclusif », après en avoir discuté avec la bande de filles convoquées par Makery en ligne et de visu – on a profité du festival Open Source Body pour élargir le panel… Fanny Prudhomme, qui présentait au même festival son kit DiY d’éducation sexuelle présentant les organes féminins, n’aura sans doute pas le temps de répondre à l’appel, trop concentrée sur l’avancée de son projet des Parleuses. Adélaïde Albouy-Kissi, du Lab du Pensio au Puy-en-Velay, elle, en avait entendu parler et « compte bien y répondre ». Elle s’inquiète néanmoins : « Mon gros souci est que j’habite à 500km de Paris et je ne vois pas bien comment saisir l’opportunité de la mise à disposition du fablab à Paris. »

Le grand zap

Au-delà de la formulation, certaines ont tout simplement zappé l’appel. C’est le cas de Peggy Ravin, que l’on avait croisée à Toulouse où elle portait le projet du premier fablab en Martinique, Up & Space Martinique : « Nous n’avons jamais été informés de l’existence de cet appel à projets, alors que nous sommes intéressés et que nous avons un partenariat avec Simplon.co ! » Même son de cloche auprès de Caroline Rondel présidente du Graoulab, fablab à Metz, qui n’avait pas vu passer l’appel et suppose que « comme il y a déjà peu de femmes dans la technique, il y a peu de réponses à ces concours ».

Pourtant, d’après nos statistiques, l’appel que nous avions relayé sur nos réseaux sociaux a été vu par quelque 11.000 personnes (et 188 l’ont commenté et relayé…) – c’est évidemment sans compter les efforts menés par Simplon de son côté…

Le site Women Rock Science revendique la place des femmes dans l’histoire de la science, comme ici celles qui ont contribué à l’histoire de l’informatique. © DR

Au-delà de l’appel à projets (pertinent ou pas, maladroit ou pas…), c’est bien la présence des femmes dans le numérique qui pose question. La féminisation de la tech ne serait-elle qu’un vœu pieux ? Si le numérique est en forte croissance côté emploi, les femmes ne représentent que 27% des employés dans ce secteur, rappelle la start-up Social Builder. On s’explique encore difficilement pourquoi la proportion des femmes dans le domaine informatique a baissé continuellement depuis les années 1980. Social Builder avait mis les pieds dans le plat inclusif à l’automne 2017 avec son enquête sur le sexisme dans les formations tech. Non seulement il n’y a pas assez de femmes dans le numérique, mais en plus celles qui s’y forment sont victimes de sexisme… 7 femmes sur 10 déclaraient avoir été « l’objet d’agissements sexistes pendant leur formation, allant des blagues aux remarques sexistes sur leurs compétences, jusqu’au harcèlement sexiste, voire sexuel » et « 86% des étudiantes disent avoir été témoins d’agissements sexistes pendant leur formation contre 58% chez les étudiants ».

Un déficit incurable?

L’univers techno est-il désespérément masculiniste ? En 2016, Makery s’était fait l’écho d’une étude de l’université de Sheffield pour comprendre les raisons de la faible représentation des femmes dans les hackerspaces et makerspaces. Si l’étude était circonscrite à la Grande-Bretagne, elle montrait cependant que les femmes sont simplement « moins intéressées » par les lieux de fabrication numérique, qui sont « trop intimidants » et où il n’est « pas facile d’entrer ». Et les fablabs n’ont pas toujours la bonne attitude… Constance Garnier témoigne : « Il nous est arrivé aussi de chercher (et de réussir) à attirer les femmes en proposant des activités très genrées (fabriquer des bijoux, des lampes, personnaliser sa déco, etc.). Difficile de ne pas être maladroit. »

Simplon a entamé en janvier une formation au numérique pour 24 femmes. © Frédéric Bieth

Le déficit de femmes dans l’univers techno n’est pourtant pas une fatalité. Simplon a notamment mis en place fin 2016 sa première formation exclusivement dédiée aux femmes. « Les entreprises maintenant nous disent “on a besoin que vous formiez des femmes” », raconte Camille Meier qui explique qu’elles « cherchent à injecter de la mixité dans les équipes informatiques, car celle-ci est source de performance ». En effet, une enquête réalisée par le cabinet Global Contact en 2016 démontre que les équipes mixtes dans les entreprises innovantes (science, technologie, innovation) sont 16% plus performantes que les non mixtes.

Bref, tout le monde s’accorde à dire que la parité serait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais les bonnes intentions affichées pour féminiser la tech sont pour l’instant trop peu suivies d’effets… On en veut pour (dernière) preuve le flop de la « grande » consultation pour un numérique inclusif portée par le gouvernement : la plateforme, ouverte jusqu’au 16 février, n’a reçu que 24 contributions ! Aucune ne concerne la parité dans l’accès au numérique…

Candidater à l’appel à projets Makeuses jusqu’au 18 février