Etre ou ne pas être robotisé? Joris Mathieu, qui présentait «Artefact» à la biennale Experimenta de Grenoble, explique comment l’imprimante 3D et les machines influencent son spectacle.
Quand les imprimantes 3D produisent sur scène les figurines du décor… Dans le cadre de la biennale arts sciences Experimenta de Grenoble (du 1er au 10 février), le metteur en scène Joris Mathieu déploie dans Artefact un dispositif scénographique virtuel où les habituelles pratiques technologiques de sa compagnie Haut et Court (théâtre optique avec projection d’hologrammes, expérience immersive et déambulatoire) s’articulent à une série d’imprimantes 3D.
«Artefact» (2017), Joris Mathieu, Haut et Court, présentation:
Ce choix artistique évoque de manière cynique le processus de remplacement du comédien du futur : la partie audio de la pièce pétrie de références littéraires est énoncée par une intelligence artificielle à la voix suave. Mais ce ballet d’imprimantes 3D sur trois plateaux successifs relève aussi d’une logique très work in progress directement inspirée par l’esthétique fablab.
L’imprimante 3D, maquette de théâtre
« L’intégration d’imprimantes 3D est le point d’origine d’Artefact, reconnaît Joris Mathieu. C’est en visitant un fablab il y a maintenant six ans que l’idée m’est venue. En me retrouvant pour la première fois devant cette “machine”, il y a eu pour moi une sorte d’évidence analogique entre cet objet et l’espace théâtral. Moi qui suis passionné par la scénographie, j’ai eu la sensation de me retrouver devant une maquette de théâtre. Il y avait d’abord un cadre de scène (la structure de l’imprimante), un plateau sur lequel un bras venait faire apparaître progressivement quelque chose, et bien sûr mon regard concentré sur cette scène où allait se dérouler un événement. J’ai immédiatement imaginé que je me trouvais devant une sorte de castelet, un théâtre miniature, et qu’il serait possible de combiner cette machine capable d’imprimer ses propres décors avec la technique (d’illusion d’optique, ndlr) du Pepper’s ghost qui permettrait à des acteurs “virtuels” de les habiter. C’est ainsi qu’est venue l’idée d’un artefact théâtral, d’une machine qui continuerait à produire du théâtre en l’absence de présence humaine. »
En complément des imprimantes 3D, Joris Mathieu, qui dirige depuis janvier 2015 le théâtre Nouvelle génération CDN de Lyon, introduit d’autres machines dans sa distribution, notamment un bras robotique dont l’efficacité bien supérieure à la nôtre en terme de rapport « vitesse-précision-force » guide notre regard. Et sa capacité mimétique/empathique apporte une tonalité complémentaire à celle des imprimantes 3D. « Devant ces machines, nous les humains-spectateurs, nous retrouvons dans un état de contemplation “hypnotique” », dit Joris Mathieu. Le rapport au temps convoqué par les imprimantes 3D est un temps long. Nous sommes capables de rester longtemps face à cet objet en train de fabriquer d’autres objets. L’imprimante nous “endort”. »
Les imprimantes 3D participeraient donc elles aussi à la fabrication de cette société technologique, dystopique et déshumanisée dont le théâtre de Joris Mathieu nous donne un inquiétant aperçu ? « Difficile de savoir ce qui est le plus anxiogène, s’interroge Joris Mathieu lui-même. Ce sentiment d’inertie qui nous gagne devant un monde en construction et dans lequel nous ne serions que spectateurs ou le spectacle d’une machine qui nous “ressemble” mais qui est dotée d’une force et d’une rapidité d’exécution qui nous dépassent. »
Culture maker et imaginaire
La culture maker est pour Joris Mathieu un axe intéressant en termes de rapport homme-machine et d’innovation par l’imaginaire. « Par l’art, par la recherche, par l’innovation, nous sommes depuis la nuit des temps des êtres créatifs, explique-t-il. En ce sens, la culture maker est un des éléments qui nous permet d’exprimer notre créativité. Et le modèle du fablab, qui défend l’idée du lieu de partage et de la communauté, me semble un enjeu majeur. Avec Nicolas Boudier, qui conçoit avec moi les dispositifs scéniques, nous voulions mettre en scène les machines dans un espace qui ressemble à un atelier. Un espace qui témoigne du fait que tout est né d’un travail collaboratif entre un être humain (qui aurait désormais disparu) et des machines. »
Mais cette anticipation n’est pas un blanc-seing donné aux machines. « L’imprimante 3D me semble intéressante dans la mesure où elle nous permet de produire des objets que nous dessinons nous-mêmes, sans fonction ou hors norme, poursuit Joris Mathieu. Si cette machine intègre nos domiciles, mais que nous ne nous en servons que pour éditer des objets manufacturés et dessinés par des groupes qui commercialisent des modèles, j’ai du mal à percevoir l’intérêt. La massification de la production d’objets, l’artefactérisation de notre environnement me pose problème, pas ce qui stimule notre créativité et son expression. »
«Artefact», à voir les 17 et 18 mars dans le cadre des Giboulées au TJP Strasbourg, en avril 2018 dans le cadre du festival Ring à la Manufacture de Nancy, et les 3 et 4 mai au théâtre Jean Lurçat, scène nationale d’Aubusson