Saison numérique, festival des villes, festival des champs
Publié le 6 février 2018 par Carine Claude
Dans le Doubs, le festival Saison numérique propage l’expérimentation DiY et le décloisonnement numérique du 8 janvier au 17 février. Reportage.
Besançon, envoyée spéciale (texte et photos)
Suspendue au beau milieu du hall du conseil général du Doubs à Besançon, une machine à dessiner trace patiemment ses motifs sous un crissement de stylos Bic et de boucles sonores. Conçue par le hackerspace bisontin 3615 Señor, l’installation interactive détonne dans ce bâtiment administratif qui accueille pourtant une partie de la programmation de Saison numérique, un festival dédié aux scènes et expérimentations digitales se déroulant un peu partout dans le Doubs du 8 janvier au 17 février et dont Makery est partenaire. « Pour mes collègues, ça reste un ovni, certains agents hésitent encore à la manipuler malgré nos invitations et notre médiation pour venir tester la machine », constate Philippe Rahon, chef du service culture du département en charge de la programmation du festival.
« Notre mot d’ordre est de dire que les outils électroniques et informatiques sont des outils de création, pas seulement des outils de recherche ou de consommation de contenus », explique Guillaume Bertrand, l’un des fondateurs de Super Señor, collectif de graphistes et d’illustrateurs. Dans leur hackerspace 3615 Señor fondé en 2012 et plutôt orienté artlab, les artistes bidouillent à tour de bras images imprimées, réalité augmentée et plastique sonore en collaboration avec d’autres fablabs de la région comme le fablab du Grand Besançon ou French Makers.
Parmi leurs installations intuitives (mais au fonctionnement assez complexe), la machine à dessiner 3615 Tape conçue dans le cadre du festival a été documentée en open source. Muni de boîtiers usinés en fablab et équipés de caméra, le public cible les motifs imprimés en continu par la machine et déclenche des sons de la vie quotidienne enregistrés au conseil général, des bruits des bureaux en passant par les ateliers de menuiserie du département. « Notre objectif est de tisser un lien avec les utilisateurs, avec une ergonomie la plus simple possible », ajoute Guillaume Bertrand.
Le numérique où on ne l’attend pas
Insolites ou encore ruraux, la deuxième édition du festival Saison numérique a pris ses quartiers dans une vingtaine de lieux répartis sur l’ensemble du département, y compris dans des villages isolés. « Pour nous, c’est important de s’intéresser au public sous toutes ses formes : pour les publics en situation de handicap, en milieu rural pour les personnes éloignées des grands axes, etc », explique Philippe Rahon. Selon lui, impossible de construire la programmation du festival sans faire appel aux artistes et makers locaux : « Il y a des acteurs sur le territoire qui savent faire des choses et notre objectif, en tant que collectivité, est de se distinguer de ce qui se fait ailleurs, de poser quelques jalons en milieu rural et de proposer des choses qui ne sont pas forcément attendues sur le territoire avec des scènes numériques, des expériences en ateliers et des débats de fond sur les questions du numérique. »
Avec son thème de l’édition 2018, « Art et public : quelle relation au numérique ? », le festival s’est donné pour mission de décloisonner le numérique par le biais du DiY et de l’expérimentation et cela via une trentaine de spectacles, ateliers, installations interactives qui visent le public le plus large possible. « Le numérique ne leur dit pas forcément grand-chose, mais une fois qu’ils ont essayé, ils s’en emparent vite et en redemandent », affirme Philippe Rahon. Mais il admet que la dynamique insufflée grâce aux voisins du Territoire de Belfort avec l’espace multimédia Gantner et son défrichage dans le domaine des arts numériques et des nouvelles technologies depuis la fin des années 1990 a beaucoup fait pour la vitalité de la région dans le domaine de la médiation numérique. « A Belfort ou à Montbéliard, les projets viennent de la base et le fonctionnement associatif compte sur la force de son réseau. C’est sans doute lié à l’histoire industrielle de la région avec Alstom, Peugeot… Un bon exemple est celui de la scène de musiques actuelles le Moloco à Montbéliard, où les acteurs locaux ont demandé aux élus porteurs de monter un lieu dédié aux musiques actuelles plutôt que le projet leur soit imposé. Dans le sud du département, on est plus isolés. »
Une bonne partie de la programmation du festival Saison numérique se déroule d’ailleurs dans le pays de Montbéliard avec les performances immersives des Belges de System Failure, le projet holographique L’Autre de la compagnie Mecanika en sortie de résidence ou encore l’installation interactive et sonore Emprise du duo d’artistes Clément et Carine Gérard exposée au Pavillon des sciences.
Essaimage de BrutBox
Pour jouer la carte de la transmission et de la diversité des publics, le festival a laissé champ libre au collectif BrutPop et au hackerspace 3615 Señor pour deux semaines de résidence à la friche artistique de Besançon. L’objectif ? Que les deux compères musiciens de BrutPop, Antoine Capet et David Lemoine (par ailleurs chanteur du groupe Cheveu), forment Guillaume Bertrand et le plasticien sonore Ben Farey à la fabrication de boîtiers BrutBox — des boîtiers sonores à bas coût faciles à réaliser — et à la création d’un instrumentarium DiY afin de conduire en toute autonomie des ateliers avec des publics handicapés et des enfants.
Avec cette nouvelle résidence, le projet BrutBox, né de la collaboration entre BrutPop et plusieurs fablabs français, dont le LFO à Marseille, le 8 fablab de Crest dans la Drôme et plus récemment le Sonic Lab à la Gare des Mines aux portes de Paris, élargit son maillage de collaborations interfablabs. Le 2 février à la médiathèque de Frasne, Guillaume Bertrand et Ben Farey ont ainsi conduit leur tout premier atelier sans les BrutPop avec une douzaine d’enfants, âgés de 4 à 12 ans.
« Nous allons continuer les ateliers jusqu’à la fin du festival. A notre tour, nous formerons les autres membres du hackerspace pour qu’ils puissent conduire des ateliers à d’autres moments de l’année, dit Guillaume Bertrand. L’accueil des enfants a été formidable. Ces boîtiers et ces instruments BrutBox font tomber les barrières de l’inhibition que l’on peut avoir sur le fait de “faire” de la musique. Pour nous, c’est déjà une réussite. »
Le site du festival Saison numérique