Derniers jours pour voir l’expo «Surfer un arbre» de Nicolas Floc’h à Brest, sur l’expérience collective de la fabrication de surfs. L’occasion de revenir sur l’année très maritime de l’artiste breton.
Canal Saint-Martin, à Paris, le 7 décembre, à l’occasion des rencontres art & science Laser, l’artiste Nicolas Floc’h captive son audience en retraçant une année prolifique et très maritime. Après avoir « surfé un arbre » avec un collectif d’artistes dans le Finistère fin 2016, l’artiste a embarqué en mars-avril sur la goélette Tara Expéditions pour la campagne d’études des récifs coraliens en mer de Chine et le long des côtes du Japon. Cet automne, deux expositions à Brest et Rennes présentaient le résultat de ses explorations.
Typologie des récifs artificiels
Au Frac Bretagne du 15 septembre au 26 novembre, l’exposition Glaz présentait 40 sculptures et 25 photos noir et blanc de Structures productives, ces récifs artificiels qui constituent des habitats pour la faune et la flore sous-marines au Japon. Ces « satoumis », comme les nomme la tradition, ont été imaginés par les Japonais dès le XVIIème siècle pour améliorer la prolifération des poissons, mais leur production a été véritablement industrialisée massivement à partir des années 1950 pour augmenter les réserves halieutiques. Fortement inspiré par l’architecture de ces villes sous-marines pour poissons, Nicolas Floc’h en constitue depuis plusieurs années une base de données documentaire par la sculpture, en élaborant un véritable répertoire typologique.
À bord de Tara Pacific
Embarqué sur la goélette Tara, Nicolas Floc’h raconte son expédition. Il a partagé la vie à bord des marins et scientifiques, a participé à des plongées et pu constater la mort des récifs coraliens due à l’acidification des océans induite par le réchauffement climatique, mais aussi s’apercevoir que les massifs de coraux apparaissent toujours plus au nord le long de la côte japonaise du fait du réchauffement. Nicolas Floc’h, qui partage les inquiétudes des scientifiques, montre ses tirages d’artiste en nuances de gris, des situations de plongée au cours desquelles il a pu photographier des paysages coraliens ravagés ou au contraire luxuriants ainsi que les grands sites de satoumis. « Au Japon, on compte 20.000 métropoles qui reposent par 10 à 80m de fond. Les plus grandes tours de ces villes atteignent 35m de haut », explique-t-il.
La couleur de la mer
L’exposition à Rennes tire son titre d’une autre recherche que l’artiste mène : Glaz désigne en breton une couleur indéfinissable, entre le vert et le bleu, utilisée pour définir les différentes teintes que peut prendre la mer. Nicolas Floc’h a recouvert les murs de la galerie sud du Frac d’un pigment bleu issu d’un phytoplancton, une cyanobactérie. Ces algues sont responsables de la Grande Oxydation et de la désacidification des océans qui a permis l’émergence de l’atmosphère et l’apparition de la vie sur Terre. D’un côté de la salle, un aquarium bioréacteur diffuse une couleur verte, « un bouillon de culture de micro-algues qui en tant que plancton est vert mais dont le pigment extrait est bleu ». En face du bioréacteur cyanobactérien, une vaste installation en néons représente le gyre de l’Atlantique nord de circulation des courants marins.
L’installation fait écho à la critique de l’impact humain sur les écosystèmes marins et du « capitalisme bleu-vert » tel qu’a pu le définir l’anthropologue du MIT Stefan Helmreich lorsqu’il étudiait il y a une dizaine d’années les promesses de l’accélération entrepreneuriale en biotechnologies marines pour son livre Alien Ocean : Anthropological Voyages in Microbial Seas. Pour Helmreich, si le « capitalisme bleu-vert » s’appuie sur une référence à la cyanobactérie vert-bleu et à l’imaginaire du bleu représentant la « liberté d’un océan ouvert » et du vert la « croyance dans le développement écologique durable et la fécondité biologique », il cache en réalité des désirs de profits illimités dans les secteurs des biotechnologies, de la génétique, de la géo-ingénierie des océans et des bio-carburants. Un secteur économique que l’on qualifie aujourd’hui en Bretagne de « bio-économie bleue ».
Nicolas Floc’h poursuivra en 2018 sa recherche autour des cyanobactéries et de la couleur bleu-vert de la mer à la Station marine de Wimereux près de Boulogne-sur-Mer dans le cadre du programme « Les travailleurs de la mer » mené avec des spécialistes en écologie planctonique de l’université de Lille 1 et l’agence artistique Art Connexion.
Surfer un arbre
On peut encore visiter la seconde exposition de Nicolas Floc’h, au Centre d’art contemporain Passerelle à Brest, jusqu’au 30 décembre. Elle revient sur le projet Surfer un arbre qu’il mène avec une communauté d’artistes surfers depuis un an. « L’idée était de partager un arbre, le cœur d’un cèdre rouge de 5m de long et 60cm de diamètre, pour fabriquer des alaïas, les planches de surf traditionnelles hawaiiennes, explique Nicolas Floc’h. J’ai invité Xavier Moulin, qui est non seulement professeur à l’école d’art de Brest mais aussi shaper d’alaïas, à en fabriquer. » Nicolas Floc’h, lui, enseigne à l’antenne des beaux-arts de Rennes, et le courant est passé entre les deux artistes.
L’atelier de découpe a été réalisé dans les bâtiments de Passerelle à Brest en septembre 2016. « Xavier Moulin a l’habitude de fabriquer ce type de planches, c’est donc lui qui a encadré le groupe pour la transformation de l’arbre. Quarante-deux planches ont été réalisées dans les locaux du centre d’art, on a mis un peu le bordel à Passerelle ! » A l’issue de la semaine de découpe, les participants sont allés… surfer sur la plage de La Palue à Crozon dans le Finistère. Histoire de tester les alaïas bien sûr.
«Après cette expérience, chaque artiste a conservé l’une des planches, et c’est devenu le point de départ de futurs projets artistiques. La pratique de peinture à la wax de couleurs sur surf a par exemple influencé le travail d’artiste de Jérôme Robbe. L’ensemble est devenu une exposition collective autour du surf.»
Nicolas Floc’h
Nicolas Floc’h, qui a filmé tout le processus Surfer un arbre et réalisé des entretiens, présente le tout à Brest. Et « depuis, on se retrouve régulièrement pour surfer ou pour exposer, comme cela a été le cas à Passerelle, explique-t-il. Nous ne sommes pas du tout dans un rapport de compétition, il y a des surfers de tous niveaux comme des étudiants en art et d’autres qui sont des artistes plus confirmés. C’est cette dimension réelle que j’aime beaucoup, ce rapport de partage. »
«Surfer un arbre», jusqu’au 30 décembre au centre d’art Passerelle à Brest