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A l’école Boulle, joies et limites d’un fablab en école d’art

Thomas Thibault, en pleine explication sur l'impression 3D. © Henna Burney

Monter un fablab dans une école d’art et de design? A Paris, l’école Boulle a fait ce pari dès 2014. Thomas Thibault, diplômé 2013, fabmanager en 2015, aujourd’hui simple accompagnateur, raconte l’expérience.

En 2015, le fablab de l’école Boulle a ouvert dans sa première version appelée l’Atelier numérique. © Henna Burney

En 2014, l’école Boulle a été la première école de design et métiers d’art parisienne à créer un fablab. Trois ans plus tard, que devient ce projet?

Le B:lab a bien évolué ! Toute la partie matérielle (stocks, horaires d’ouverture) est gérée par l’école pour plus de facilité et la partie immatérielle (formations, conférences, ateliers) est à l’initiative d’une communauté d’étudiants. Pour en arriver là, il a fallu expérimenter différents modèles. Le B:lab est accessible aux étudiants de l’école Boulle mais aussi à ceux des trois autres écoles partenaires du master 2 (Estienne, Duperré, Ensaama).

Il n’est pas ouvert au public et aux entreprises : ça posait trop de problèmes logistiques. Le challenge est déjà d’être ouvert sur sa communauté-cible, les étudiants en art et design. L’objet d’une école, c’est d’apprendre, se former. D’ailleurs on ne devrait peut-être pas l’appeler fablab (rires) ! On pourrait peut-être le comparer à un ciné-club, un club de sciences ou de robotique mais qui serait plus ouvert.

L’école a débloqué un budget pour le matériel, mais finalement toutes les machines qui coûtent cher étaient déjà dans les ateliers des sections. L’espace du B:lab a accueilli des imprimantes 3D, du matériel électronique, un scanner 3D. Aujourd’hui, l’enjeu est surtout que le fablab ne devienne pas un lieu de consommation, mais bien un espace de partage de connaissances. C’est là le piège… L’école a une vision très “machine” du fablab, sans en percevoir les dimensions communautaires, le fait de parler des licences libres, etc. Au printemps dernier, deux conférences ont été organisées, l’une sur la culture maker, l’autre sur la culture code, mais on peine à pérenniser la communauté d’étudiants.

Atelier d’initiation à Arduino pour les apprentis créateurs. © Henna Burney

Comment l’idée de créer un fablab à Boulle a-t-elle émergé?

L’école Boulle est déjà un genre de fablab, au sens où il y a des tas de machines, des ateliers très équipés, et beaucoup de savoir-faire que les étudiants s’approprient. En 2012-2013, il y avait des machines de fabrication numérique dans plein d’ateliers, mais qui appartenaient à une section, étaient sous la responsabilité d’un enseignant qui savait s’en servir et où tout était relativement séparé. Les troisièmes années de design produit ont réalisé un travail de cartographie des machines numériques dans l’école. Ce qui a permis de découvrir qu’on avait treize découpeuses laser au total et une imprimante 3D dans l’atelier bijouterie, inconnue des étudiants ! Ensuite, il a fallu référencer les savoirs : qui sait faire quoi sur quelle machine et qui sait faire quoi sans machine. On a découvert que notre professeur d’infographie était fan d’électronique et maîtrisait la programmation, une compétence dont beaucoup d’étudiants avaient besoin.

A l’origine, le projet, un tiers-lieu où la fabrication numérique était un prétexte, consistait à faire converger les savoirs numériques au sein de l’école. Le challenge était d’avoir un atelier partagé entre les sections métiers d’art et design. Le contexte à Boulle est assez singulier. L’école porte le poids de son histoire. C’est délicat de prendre de nouvelles orientations, mais pourtant nécessaire car la question numérique fait partie de la formation des futurs diplômés.

Les enseignants du diplôme supérieur d’arts appliqués en design ont mis en place une réflexion avec leurs étudiants qui a donné lieu à la création d’une entité d’abord appelée le Bureau numérique. Un site internet a été conçu pour récupérer des tutoriels ; une conférence a été organisée pendant Futur en Seine 2013 pour lancer le truc. L’agence Faber Novel a même accompagné les prémices du projet.

Exploration de l’outil découpeuse laser. © Henna Burney

Quel a été ton rôle en tant qu’étudiant tout juste diplômé de l’école?

A la suite de mon diplôme, je suis parti cinq mois en Erasmus au medialab de la Aalto University à Helsinki, une expérience très inspirante car ce lieu propose un apprentissage pratique et théorique à la convergence entre art, design et techno. J’avais besoin de compétences techniques et l’envie d’en apprendre plus sur le milieu des fablabs. A mon retour, j’ai fait un stage au Fabshop, qui organisait à l’époque les Maker Faire en France, ce qui m’a permis de maîtriser l’impression 3D. En parallèle, je suivais l’avancement du Bureau numérique, je proposais une liste de matériels et il a été convenu avec l’école que mon année de post-diplôme soit dédiée à la question du partage de connaissances dans le milieu de l’éducation via le projet de création du fablab.

Les étudiants venaient de créer une association, l’Atelier numérique, avec l’envie de s’autofinancer. Il y a eu des réflexions sur les cotisations des étudiants membres, sur le sponsoring et des partenariats entreprises, qui ont vite été freinées par l’administration. L’école Boulle possède son identité et la relation avec l’extérieur était assez délicate à gérer. Ça dépassait les étudiants.

J’ai pris la casquette de fabmanager avec l’idée d’apporter cette culture à l’école et de transmettre les compétences que j’avais acquises. En 2015, je suis passé dans chaque classe expliquer le projet pour constituer un groupe d’étudiants. En même temps, il fallait organiser l’espace du fablab, et surtout faire le lien avec l’administration.

L’Atelier numérique de l’école Boulle, prémices du B:lab (2015):

Comment le projet a-t-il été reçu par l’école?

Au départ très bien ! Nous avions la chance d’avoir un directeur très ouvert et à l’écoute, curieux sur le sujet, qui nous donnait des conseils et des limites. Il nous faisait confiance et ça nous a responsabilisés. Les chefs de travaux nous donnaient des règles en terme d’exécution. Parfois, il ne fallait pas attendre l’accord… Au bout de deux mois, j’ai fini par passer le balai moi-même ! Et puis on était aux limites de la légalité pour gérer des problèmes de sécurité et d’accès. On souhaitait tester des choses inédites à l’école en termes d’organisation financière. Les consommables plastiques étaient notamment payés grâce à une tirelire alors qu’on aurait dû faire une facture.

Exercice sur l’imprimante 3D: dessiner et imprimer des objets jonctions. © Henna Burney

Quelles ont été les principales difficultés?

Le plus gros du travail, c’était la création d’une communauté avec des étudiants qui partent tous les deux ans (à Boulle, les cursus sont courts) ou qui font des stages, sont très pris par leur année de diplôme, etc. On a organisé des événements pour fédérer : un marché de Noël (dont les recettes ont permis notre participation à la Maker Faire en 2015), des conférences, des ateliers et des formations. On faisait visiter le lieu, remplir une fiche (ce que les étudiants pouvaient donner et ce qu’ils voulaient apprendre). J’ai plus été community manager et knowledge manager que fabmanager car les élèves savent fabriquer. Par contre il fallait gérer leurs savoirs, les partager entre pairs et créer un système de don contre don, organiser des formations, planifier, motiver, partager sur les réseaux sociaux, afficher et mettre en valeur les formateurs. Faire sentir la dynamique.

Les badges et tampons pour identifier les étudiants et leurs compétences. © Henna Burney

Au début tout passait par moi car l’administration avait besoin d’un porte-parole mais très vite, j’ai réfléchi à la passation et à décentraliser. J’ai formé des étudiants, plutôt des jeunes qui allaient rester suffisamment longtemps. Il a fallu mettre en place des badges, des kits d’accès auprès de l’administration par exemple. Et beaucoup communiquer avec elle !

En septembre 2015, la direction de l’école a changé et on a vécu une sorte d’année blanche. Il a fallu réexpliquer le projet, largement remis en question. La priorité de l’école était de démêler des nœuds financiers et administratifs. La relation était devenue délicate car le potentiel de l’Atelier numérique n’était plus perçu. Il y a eu de nombreux blocages liés à la gestion. Les parents d’élèves qui ont vite compris l’intérêt d’un tel espace de partage ont été un précieux soutien. C’est à ce moment-là qu’on a changé le nom en B:lab pour démarrer sur de nouvelles bases.

Il y a quelques semaines, cours du soir en programmation au B:lab. © B:lab

A l’initiative du projet, tu es devenu en 2015 le fabmanager du fablab dont tu es aujourd’hui simple accompagnateur. Quelle est selon toi la recette pour monter un fablab dans une école comme Boulle?

Il faut un budget matériel certes, mais surtout un budget pour recruter un facilitateur. L’école a du mal à le percevoir. En trois mois, on a formé 100 étudiants sur Arduino par exemple, ça demande du temps et ça devrait pouvoir être valorisé. Pas forcément en rémunération, mais ça pourrait avoir un impact sur le contenu du cursus scolaire. Peut-être faudrait-il mettre en place un contrat semi-pro ou étudiant ? Si c’est un enseignant qui s’en occupe, ça change tout de suite le schéma de la relation et l’envie de contribuer. Ce qui marchait bien en 2015, c’est que la responsabilité était partagée entre étudiants. Un facilitateur doit créer l’étincelle, animer des temps forts, communiquer, fédérer et se charger du lien avec l’administration. Ça, c’est vraiment indispensable !

En termes de communauté, il faut réfléchir aussi à valoriser les petites contributions. Sur Wikipédia, on peut commencer par corriger une faute d’orthographe avant de rédiger un article. Les étudiants travaillent en dehors des cours et sont très occupés, il faut qu’ils trouvent leur place. Et comme ils sont amenés à quitter l’école, il faut aussi réfléchir à la mise en place d’un kit de passation, qui contienne une sorte de mode d’emploi de gestion des clés, des sous, d’accès à la charte graphique, etc.

Il est aussi primordial de visualiser la participation. Ce sont des principes de démocratie : afficher les intérêts, valoriser les étudiants impliqués, motiver ceux qui ne le sont pas encore. J’ai fait beaucoup de datavisualisations façon bilan d’entreprise… qui permettaient de faire savoir par exemple que 20% des étudiants étaient inscrits à la mailing liste. Du coup, ceux qui ne l’étaient pas se demandaient : “Mince, pourquoi j’y suis pas ?”

Et bien sûr, il est important que le lieu soit accueillant. C’est aussi bête qu’installer un canapé, une bibliothèque… imaginer un agencement qui soit un lieu de travail sans être une salle de classe pour que les gens se rencontrent.

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