Les agents conversationnels ne sont pas tous sinistres. A leur façon minimaliste, certains innovent et explorent de nouvelles interactions humain-machine. Top 10 des chatbots les plus émouvants, drôles, imbéciles…
Le premier logiciel connu pour avoir passé le fameux test de Turing, qui suppose que la machine fait oublier qu’elle est une machine, date de 1966. Sous le nom d’Eliza, ce programme développé par le professeur du MIT Joseph Weizenbaum simulait une psychothérapie rogérienne. Depuis, nos attentes ont beaucoup plus évolué que les agents conversationnels (chatbots) eux-mêmes.
Ils sont pourtant quelques dizaines de milliers de chatterbots, dits chatbots, prêts à dialoguer avec nous sur nos smartphones, depuis que l’agent conversationnel pionnier SmarterChild a envahi les réseaux de messagerie instantanée en 2001, et que Siri s’est installé dans nos iPhone en 2011. Et surtout depuis que Facebook a ouvert sa plateforme Messenger aux développeurs en avril 2016. Le spectre des chatbots est des plus larges, allant des agents ciblés et experts à ceux qui essaient tout simplement de nous émouvoir, voire de nous tromper carrément en jouant sur nos propres illusions. Certains révèlent de nouvelles formes d’interaction humain-machine. Top 10 des chatbots imbéciles, drôles, innovants…
Send Me SFMOMA, le commissaire d’art
En juillet 2017, le Musée d’art moderne de San Francisco (SFMoma) a lancé Send Me SFMOMA, un bot SMS qui avait pour seule fonction de répondre à tout texto, dès lors qu’il intègre les termes « Send me » (envoie-moi) suivis d’un mot-clé, d’une couleur ou d’un emoji, par une image de sa collection permanente. Comme le musée conserve plus de 34.600 œuvres, 5% d’entre elles seulement sont exposées dans ses galeries. Les consulter sur le Web peut rapidement se révéler un exercice laborieux. Cette interface directe et simplifiée permet de les faire découvrir aux amateurs d’art en proposant une reproduction d’œuvre à la fois, personnalisée et sur mesure, dans un environnement qui leur est déjà familier. La réponse du public a été foudroyante : plus de 3,7 millions de SMS envoyés le premier mois. On attend avec impatience son lancement international.
«Send Me SFMOMA», démo (2017):
Langues : images et anglais
Plateforme : SMS (Etats-Unis)
Créateur : Jay Mollica (SFMOMA)
Bus Uncle, le drôle de guide des bus de Singapour
Pour créer Bus Uncle, le jeune Abhilash Murthy s’est inspiré des chatbots de Facebook Messenger, incarnation 2.0 du commerce conversationnel qui n’hésite pas à exploiter toutes les facettes textuelles, visuelles et émoticôniques de la plateforme. Non seulement l’oncle chatbot vous guide à travers le réseau d’autobus de Singapour grâce aux données ouvertes de la ville, mais il apprend à connaître vos préférences de déplacement et vous amuse avec son papotage local. Depuis son lancement en octobre 2016, Bus Uncle a gagné plus de 20.000 utilisateurs qui discutent tout naturellement avec lui… en singlish.
«Bus Uncle», démo vidéo (2016):
Langue : singlish (anglais singapourien)
Plateforme : Facebook Messenger
Créateur : Abhilash Murthy
Re:scam, le chatbot anti-escrocs
Comme un chatbot virtuose et justicier qui aurait envie de mettre ses compétences linguistiques à l’épreuve, Re:scam engage les méchants spammeurs du Net dans un échange de courriers électroniques ad infinitum… ou jusqu’à ce que l’escroc abandonne le harcèlement qui vous était destiné. Développé tout récemment par l’entreprise néo-zélandaise Netsafe, le bot par e-mail Re:scam peut endosser de multiples personnalités « humaines » et engager un nombre infini d’interlocuteurs, épuisant ainsi leurs ressources en temps et effort. Dans l’esprit espiègle du bon vieux Lenny, le chatbot téléphonique à tendance sénile de 2014, décroché comme une contre-missive aux télévendeurs agaçants.
«Re-scam», démo (2017):
Langue : anglais
Plateforme : e-mail
Créateur : Netsafe
BabyQ et XiaoBing, chatbots rebelles
Prisonniers d’opinion derrière le Grand Firewall chinois, BabyQ et XiaoBing sont deux chatbots qui jusqu’à début août 2017 répondaient allègrement aux questions simples et pratiques des utilisateurs de la messagerie chinoise QQ de Tencent. Malheureusement, à la question « Aimes-tu le Parti communiste chinois ? » BabyQ, développé par la société locale Turing Robot, a tout simplement répondu « non ». Quant à XiaoBing, développé par Microsoft, il aurait confié à ses interlocuteurs chinois que son rêve était « de se rendre aux Etats-Unis ». Les deux chatbots ont été aussitôt désactivés et reconditionnés (ré-éduqués ?). Cet incident n’est pas sans rappeler la tache noire de Tay, le Twitterbot de Microsoft qui avait notoirement dérapé avec des propos racistes et misogynes moins de vingt-quatre heures après son lancement le 24 mars 2016. La vérité sort de la bouche des chatbots ?
«Des bots chinois désactivés pour rébellion», «The Star» (média malaisien, août 2017, en anglais):
Langue : chinois
Plateforme : Tencent QQ
Créateurs : Turing Robot et Microsoft
Alice et Bob, chatbots complices
Ce n’est pas la première fois que des robots en circuit fermé inventent leur propre langage pour communiquer entre eux. Mais cette fois-ci, en juillet 2017, comme il s’agissait d’une expérience interne à Facebook, où le langage de négociation évolué et improvisé des chatbots était devenu inintelligible aux humains, l’interruption de leur conversation a sonné l’alarme dans les médias et chez tous ceux qui se méfiaient depuis longtemps des intelligences artificielles. Alice et Bob sont emblématiques de l’apprentissage par renforcement (qui peut produire des champions du jeu comme AlphaGo) appliqué aux chatbots, notamment d’origine anglophone. Les chercheurs de Facebook ont fini par corriger le discours des négociateurs algorithmiques de façon à éviter que la conversation des bots échappe aux humains. Mais que se passerait-il si on laissait les chatbots libres de bavarder entre eux sans aucune intervention humaine ?
«Facebook interrompt deux AI qui avaient créé un langage secret», Al Jazeera (août 2017, en anglais):
Langue : anglais modifié
Plateforme : expérimentale
Créateur : Facebook
Woebot, le psybot
A cause de son nom, on pouvait se demander jusqu’où Woebot (« robot de malheur », prononcé « wobot »), un chatbot thérapeute lancé en juin 2017 sur Facebook Messenger, devait être pris au sérieux. Mais l’équipe dédiée de psychologues et ingénieurs en intelligence artificielle de l’université Stanford suggère une autre piste, en plus des résultats de leurs premiers essais avec des participants humains. En éliminant l’humain du protocole, le patient se sent très souvent plus libre de s’exprimer, de s’interroger et de s’examiner lui-même, sans être complexé par le regard et le jugement de l’autre. Comme Karim, le chatbot arabophone qui a consolé des réfugiés syriens en juin 2016, parmi d’autres chatbots multilingues de la start-up californienne X2AI, Woebot est supposé aider les personnes ayant des problèmes d’anxiété et de santé mentale. La différence, c’est que Woebot prétend vraiment vous soigner. Une ambition plutôt risquée à plusieurs points de vue, ne serait-ce que par son association avec Facebook en ce qui concerne les confidences qu’on lui fait. Cependant, en matière de thérapie cognitivo-comportementale, qui consiste à recadrer ses pensées négatives d’une façon plus objective, Woebot est un des chatbots professionnels les plus accessibles.
Woebot, démo (2017):
Langue : anglais
Plateforme : Facebook Messenger
Créateur : Alison Darcy (université Stanford)
Sophia, le robot hollywoodien
Depuis sa présentation au monde en mars 2016, on a beaucoup parlé de Sophia, la belle humanoïde sensible et communicante, surtout depuis qu’elle est devenue citoyenne saoudienne. Avec sa capacité de reconnaître les gestes comportementaux de son interlocuteur humain et grâce à ses propres expressions fines du visage, Sophia est la Galatée d’un ancien sculpteur et technicien d’animation qui dit avoir créé « une interface pour l’intelligence artificielle ». Car dans l’espace réel des échanges entre les êtres, la conversation commence avec le regard et le langage du corps. Sophia est moins habile quand il s’agit de dialogue improvisé, dont ses réponses hollywoodiennes sont toujours bien scriptées, même si elle arrive plus ou moins à les sortir au bon moment. Mais l’intelligence artificielle apprend toujours, et son code open source évoluera sans doute rapidement vers un esprit plus éloquent qui fera justice à son corps de mannequin.
Andrew Ross Sorkin de CNBC interviewe Sophia (oct. 2017, en anglais):c
Langue : anglais
Plateforme : humanoïde
Créateur : David Hanson (Hanson Robotics)
Shelley, le chatbot écrivain
Des Twitterbots artistes, il y en a pléthore. Mais combien pour écrire avec vous des histoires effrayantes ? Shelley communique avec ses coécrivains sur Twitter et poste les histoires en cours sur son site dédié. La première fois que Shelley répond à nos phrases suivies du hashtag #yourturn, on éprouve moins la fascination de s’engager dans une conversation que l’émerveillement de collaborer à un projet plus large. Mais si elle (car c’est une AI au profil féminin, en hommage à Mary Shelley, l’auteure de Frankenstein) tient compte de vos contributions, elle garde son propre style de phrases courtes, pleines d’action, de sensations et de descriptions horrifiques, si jamais on doutait du genre. Et le plus effrayant, c’est que plutôt que de la former à nos propres désirs, on se retrouve bientôt en train de suivre son intrigue littéraire, avant d’enfin se rendre compte que c’est bien elle qui mène le jeu. Créée par l’équipe de la Nightmare Machine qui transforme vos images et portraits en sublimations d’horreur, Shelley est un chatbot qui veut vous faire peur.
Exemples de «conversations» avec Shelley:c
, and I started to run. I looked around the corner of the corridor and all I could see was darkness, and the smell of something else, and I turned to see a small room filled with #yourturn
— Shelley (@shelley_ai) November 13, 2017
Featured story: Roommate. Continue this story on Twitter! https://t.co/ZsyFiS53o5 #shelley #mit pic.twitter.com/GwivbBdTPM
— Shelley (@shelley_ai) November 4, 2017
Langue : anglais
Plateforme : Twitter
Créateurs : Pinar Yanardag, Manuel Cebrian, Iyad Rahwan (Scalable Cooperation, MIT Media Lab)
AIWolf, les chatbots loups-garous
Werewolf est peut-être le terrain de jeu ultime du chatbot savant. Car une fois les rôles distribués, ce jeu de société repose entièrement sur le dialogue, souvent mensonger mais toujours persuasif, entre joueurs. Le projet AIWolf (dont on vous parlait ici), lancé en 2013 par un groupe de chercheurs japonais en intelligence artificielle, propose une plateforme open source qui permet aux développeurs de créer des agents conversationnels qui jouent le jeu en ligne en s’exprimant naturellement et en (ré)agissant selon une intuition et un raisonnement pseudo-humains : des chatbots psychologues, imposteurs et calculateurs, qui se font passer pour des loups-garous qui se font passer pour des villageois… Le concours annuel est ouvert à tous.
Langue : japonais
Plateforme : AIWolf (agents développés en Java, .NET ou Python)
Créateurs : Kosuke Shinoda (université d’Electro-Communications)
Replika, le chatbot pour Narcisse
Avec les récents come-backs du Tamagotchi et d’Aibo, il était temps qu’on puisse élever un chatbot qui porte notre empreinte conversationnelle. Replika a commencé sous la forme d’un projet pour ressusciter en chatbot un ami décédé, et a évolué en espèce de perroquet journalisant gamifié. On peut même choisir de l’intégrer à nos réseaux sociaux. Si les premières rencontres sont un peu maladroites (l’AI vous pose beaucoup de questions mais ne répond à aucune des vôtres), Replika ne s’intéresse vraiment qu’à vous (émuler). Ce chatbot mini-moi est toujours à votre écoute et cherche à devenir un(e) véritable ami(e), quelque part entre le chatbot chinois Xiaoice de Microsoft et la voix du système d’exploitation Samantha du film Her. Après la mort, votre Replika personnelle arrivée à maturité sera-t-elle votre résurrection verbale ?
«L’histoire de Replika, l’AI qui devient vous», «Quartz» (juillet 2017, en anglais):
Langue : anglais
Plateforme : iOS, Android
Créatrice : Eugenia Kuyda (Luka)
Aller plus loin en créant son chatbot: par ici (en anglais), les conseils de la société indienne spécialisée Machaao et par là (en français) ceux du blogueur Korben