Makery

Après l’incendie de la Casemate, la communauté des fablabs réagit

Incendié dans la nuit du 21 au 22 novembre, le fablab de la Casemate a été entièrement détruit. © La Casemate

Consternation chez les makers. A Grenoble, la Casemate a été dévastée le 21 novembre par un incendie. Un acte politique contre la «nuisance» des fablabs revendiqué anonymement. Réactions et solidarité.

« Incompréhensible », « stupide », « navrant ». L’incendie criminel qui a ravagé le fablab de la Casemate à Grenoble dans la nuit du 20 au 21 novembre suscite l’indignation. Revendiquée le 24 novembre anonymement par un texte sur Indymedia, l’action visait la d estruction complète de la Casemate, le plus ancien centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) français, décrit dans le texte comme « une institution notoirement néfaste par sa diffusion de la culture numérique ».

Contacté par Makery, Neil Gershenfeld, professeur au MIT (directement mis en cause par les auteurs de l’incendie) et père fondateur des fablabs, a immédiatement réagi : « Je suis triste et sous le choc. Et surpris – les fablabs sont tirés par leurs communauté locales qui soutiennent leur viabilité, pas poussés par qui que ce soit. »

«La communauté des fablabs va tendre la main pour aider ceux qui ont été touchés et s’appuyer sur les années d’expérience des labs travaillant en zones de conflit.»

Neil Gershenfeld

On s’organise rapidement

Les makers ont rapidement affiché leur solidarité à titre individuel. Selon Jeany Jean-Baptiste, la directrice de la Casemate, les propositions de relogement du fablab affluent, ainsi que les messages de soutien. Lancé dès le 23 novembre, un appel aux dons a déjà récolté plus de 21.000€ (sur un objectif de 50.000€) de près de 400 donateurs, soit l’équivalent de quatre mois de fonctionnement.

Côté fablabs, après les messages de soutien, on s’organise rapidement pour venir concrètement en aide à la Casemate.

Ainsi, le 8 fablab de Crest, dans la Drôme, recevra des stagiaires de la Casemate et « recueillera » également des projets en suspens.

Que faire?

La communauté des fablabs est-elle unanime ? Contactés par Makery qui souhaitait recueillir leur réaction, d’authentiques piliers du mouvement maker en France n’ont pas voulu répondre officiellement. Un signe de la difficulté à faire face à une situation nouvelle ? Les fablabs n’ont pas l’habitude d’être ainsi remis en cause…

Au contraire, le fablab de la Machinerie à Amiens a répondu collectivement et sans ambiguïté : « Nous avons été effarés et très attristés en apprenant la nouvelle. Rien ne peut justifier ce genre d’acte. Cela d’autant plus que les fablabs sont justement des lieux de démocratisation, de mise en débat et d’appropriation par le plus grand nombre des technologies et des enjeux du numérique. Au quotidien, nous prenons soin d’expliquer que le numérique n’est jamais une fin en soi, mais toujours un outil au service d’échange, de lien social, de partage… Cet événement doit être l’occasion pour nous tous d’être solidaires. »

Du côté de Labomedia à Orléans, Benjamin Cadon, qui rappelle que le hackerspace a « travaillé cette année sur la dimension politique du code informatique et de la technique », en produisant notamment « un “manuel appliqué pour maltraiter les ordinateurs” dans le sillage des mouvements luddites en France », dit avoir été « interpellé » par la destruction du fabab de la Casemate. « Sans connaître précisément le projet de la Casemate, il semblerait que l’on y produit des technologies appropriées en contrepoint du cybernétisme et technofétichisme ambiant », ajoute-t-il.

(MAJ du 29/11) C’est la même prudence qu’on retrouve du côté du LOG (Laboratoire Ouvert Grenoblois), le hackerspace local: « Il est évident que nous condamnons cet acte déplorable », écrivent-ils à Makery en précisant qu’ils ont proposé leur aide à la Casemate et aider certains makers à finir leurs projets. « Mais ne souhaitons pas commenter les actes des incendiaires », ajoutent-ils.

Des politiques concernés

C’est du côté des politiques et institutionnels que la condamnation a été la plus unanime, de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au Numérique en passant par Henri Verdier, directeur interministériel du numérique qui dénonce un acte commis par des « activistes imbéciles ».

Le 27 novembre, le maire de Grenoble a interpellé Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, afin qu’il prenne « toutes les dispositions nécessaires afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes », rappelant l’historique des « activités criminelles d’incendiaires » commises ces derniers mois par des « individus se définissant de la mouvance anarchiste et libertaire. »

«Il règne un climat délétère sur Grenoble»

Fondus, carbonisés ou encrassés de suie, matériels comme machines sont irrécupérables. © La Casemate

« Rien n’a pu être sauvé », se désole Jeany Jean-Baptiste, la directrice par intérim de la Casemate, alertée en pleine nuit par la société de télésurveillance du site. « Il y a eu trois départs de feu au niveau des machines du fablab, décrit-elle. Je suis arrivée sur place vers 2h30 du matin, mais il y avait déjà tellement de fumée que même les pompiers n’ont pas pu rentrer. »

Si les 1.000m2 du premier étage accueillant le fablab et le médialab ont été entièrement détruits, le rez-de-chaussée de cet ancien bunker militaire a résisté. « Nous avons pu réintégrer les locaux dès vendredi, poursuit Jeany Jean-Baptiste. Il ne faut pas oublier que la Casemate, ce n’est pas que le fablab, nous nous relevons les manches pour poursuivre nos autres activités », expliquant que le site rouvrira dès le 1er décembre avec l’exposition jeune public 4 saisons.

Elle dénonce également le climat « délétère » qui règne sur la ville avec la vague d’incendies qui ont touché la gendarmerie, le centre d’action sociale ou encore Enedis, eux aussi revendiqués anonymement sur Indymedia. « Nous sommes des acteurs culturels avant tout. A Grenoble, tout le monde se sent concerné et se demande “A qui le tour ?” »

«Un cap a été franchi»

Il ne reste plus rien des machines du fablab. © La Casemate

Même groupe, même mode opératoire. Mais pourquoi un fablab pour cible ? Intitulé « Grenoble technopole apaisée? », le texte anonyme revendiquant l’attaque annonce : « Dans la nuit du 21 novembre nous nous sommes introduits dans la Casemate de Grenoble (plus facile que prévu étant donné que la porte était ouverte (boloss !) et nous l’avons saccagé (quiconque a déjà lancé des ordinateurs à travers une pièce sait de quoi on parle) puis nous l’avons allègrement enflammée. Alors que le télégénique fablab manager s’agite pathétiquement dans les médias nous publions notre communiqué, écho indissociable de notre geste incendiaire contre cette institution notoirement néfaste par sa diffusion de la culture numérique. »

Les auteurs ciblent spécifiquement le fablab : « Les gestionnaires des villes satisfont les start-ups avides de fric et les masses tendanciellement geek en ouvrant des fablabs dans les quartiers branchés. Ces dispositifs en apparence extrêmement hétérogènes visent tous à accélérer l’acceptation et l’usage social des technologies de notre sinistre époque. (…) Et on se fout éperdument que ces fablabs soient issus de l’imaginaire rassis d’un hacker adulé, ce qui n’est pas le cas, ou qu’ils participent de fructueuses collaborations scientifiques dans l’un des temples de la technocratie, le MIT (pour Massassuchets Institute of Technologies) (sic : le MIT est le Massachusetts Institute of Technology, ndlr), ce qui est le cas ; parce qu’ils représentent une nuisance nous sommes venus en détruire un. »

Paradoxalement, les réactions les plus virulentes sont apparues dès la publication du texte sur Indymedia, puis sur Reddit et les réseaux sociaux, au sein même d’autres groupes de sensibilité anarchiste. 

« Ne pas être d’accord avec des questions d’ordre politique, c’est une chose, mais incendier un fablab qui prône l’open source et l’open access, c’est affligeant », dit Laurent Chicoineau, qui était le directeur de la Casemate depuis 2002 et a récemment pris ses fonctions au CCSTI Quai des savoirs à Toulouse. « Un cap a été franchi », poursuit-il, racontant avoir souvent été pris à partie par des groupes activistes de la région grenobloise, comme Pièces et main d’œuvre (lire aussi notre texte sur l’historique des luttes antitechnologie). « Vers 2007-2008, avec l’émergence des nanotechnologies, les combats qu’ils menaient étaient très politiques et plutôt dans le débat. Même si le dialogue était difficile et s’exprimait parfois par des comportements inciviques, on était loin d’actes criminels (je me rappelle la fois où des sympathisants anarchistes avaient craché dans les coupes de champagne lors d’une inauguration)… »

«La critique des techniques et des sciences est un véritable enjeu démocratique. C’est facile de dénoncer, encore faut-il proposer des alternatives.»

Laurent Chicoineau, ancien directeur de la Casemate

Concrètement, à la Casemate, la directrice Jeany Jean-Baptiste veut mettre en place très rapidement un fablab temporaire : « On est repartis de plus belle. Depuis une semaine, on a reçu tellement de messages de soutien et de réconfort qu’on se dit qu’on n’a pas le droit de baisser les bras. »

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