Consternation chez les makers. A Grenoble, la Casemate a été dévastée le 21 novembre par un incendie. Un acte politique contre la «nuisance» des fablabs revendiqué anonymement. Réactions et solidarité.
« Incompréhensible », « stupide », « navrant ». L’incendie criminel qui a ravagé le fablab de la Casemate à Grenoble dans la nuit du 20 au 21 novembre suscite l’indignation. Revendiquée le 24 novembre anonymement par un texte sur Indymedia, l’action visait la d estruction complète de la Casemate, le plus ancien centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) français, décrit dans le texte comme « une institution notoirement néfaste par sa diffusion de la culture numérique ».
Les messages de soutiens des fablabs et Makers Français se multiplient aujourd'hui ! Triste histoire à @VilledeGrenoble hier soir ?
Courage à l'equipe de @LaCasemate https://t.co/37JeYCNcYo— RFFLabs (@fablab_fr) November 21, 2017
Contacté par Makery, Neil Gershenfeld, professeur au MIT (directement mis en cause par les auteurs de l’incendie) et père fondateur des fablabs, a immédiatement réagi : « Je suis triste et sous le choc. Et surpris – les fablabs sont tirés par leurs communauté locales qui soutiennent leur viabilité, pas poussés par qui que ce soit. »
«La communauté des fablabs va tendre la main pour aider ceux qui ont été touchés et s’appuyer sur les années d’expérience des labs travaillant en zones de conflit.»
Neil Gershenfeld
On s’organise rapidement
Les makers ont rapidement affiché leur solidarité à titre individuel. Selon Jeany Jean-Baptiste, la directrice de la Casemate, les propositions de relogement du fablab affluent, ainsi que les messages de soutien. Lancé dès le 23 novembre, un appel aux dons a déjà récolté plus de 21.000€ (sur un objectif de 50.000€) de près de 400 donateurs, soit l’équivalent de quatre mois de fonctionnement.
Côté fablabs, après les messages de soutien, on s’organise rapidement pour venir concrètement en aide à la Casemate.
[SOUTIEN] Bon courage aux ami.e.s de La Casemate dans ce terrible événement ! #fablab #solidarité https://t.co/XUp2WIeQJ5
— La Quincaillerie Num (@LaQuincailleNum) November 22, 2017
Ainsi, le 8 fablab de Crest, dans la Drôme, recevra des stagiaires de la Casemate et « recueillera » également des projets en suspens.
Bonjour à tous, nous devions accueillir deux stagiaires de 3e durant le mois de décembre et un stagiaire de 2nde au mois de janvier aux services médiation et communication. Suite à l'incendie de nos locaux nous ne pouvons pas leur fournir un accueil optimum.
— La Casemate (@LaCasemate) November 27, 2017
Le 8 accueille son premier réfugié du Fablab de Grenoble, (récemment incendié par un groupe anarchiste !), Benoit Capponi qui réalise des appareils photo en bois, à fabriquer soi même… Et sinon vous pouvez soutenir la Casemate en suivant ce lien : https://t.co/GVrPIXpmVf pic.twitter.com/fBI4NgjqqF
— 8 fablab Drôme (@8Drome) November 27, 2017
Que faire?
La communauté des fablabs est-elle unanime ? Contactés par Makery qui souhaitait recueillir leur réaction, d’authentiques piliers du mouvement maker en France n’ont pas voulu répondre officiellement. Un signe de la difficulté à faire face à une situation nouvelle ? Les fablabs n’ont pas l’habitude d’être ainsi remis en cause…
Au contraire, le fablab de la Machinerie à Amiens a répondu collectivement et sans ambiguïté : « Nous avons été effarés et très attristés en apprenant la nouvelle. Rien ne peut justifier ce genre d’acte. Cela d’autant plus que les fablabs sont justement des lieux de démocratisation, de mise en débat et d’appropriation par le plus grand nombre des technologies et des enjeux du numérique. Au quotidien, nous prenons soin d’expliquer que le numérique n’est jamais une fin en soi, mais toujours un outil au service d’échange, de lien social, de partage… Cet événement doit être l’occasion pour nous tous d’être solidaires. »
Du côté de Labomedia à Orléans, Benjamin Cadon, qui rappelle que le hackerspace a « travaillé cette année sur la dimension politique du code informatique et de la technique », en produisant notamment « un “manuel appliqué pour maltraiter les ordinateurs” dans le sillage des mouvements luddites en France », dit avoir été « interpellé » par la destruction du fabab de la Casemate. « Sans connaître précisément le projet de la Casemate, il semblerait que l’on y produit des technologies appropriées en contrepoint du cybernétisme et technofétichisme ambiant », ajoute-t-il.
(MAJ du 29/11) C’est la même prudence qu’on retrouve du côté du LOG (Laboratoire Ouvert Grenoblois), le hackerspace local: « Il est évident que nous condamnons cet acte déplorable », écrivent-ils à Makery en précisant qu’ils ont proposé leur aide à la Casemate et aider certains makers à finir leurs projets. « Mais ne souhaitons pas commenter les actes des incendiaires », ajoutent-ils.
Des politiques concernés
C’est du côté des politiques et institutionnels que la condamnation a été la plus unanime, de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au Numérique en passant par Henri Verdier, directeur interministériel du numérique qui dénonce un acte commis par des « activistes imbéciles ».
Tout mon soutien à la communauté de @LaCasemate à Grenoble! FabLab et lieu d’éducation populaire aux sciences et au numérique. Un lieu dévasté par un incendie vraisemblablement criminel. S’opposer au numérique inclusif, c’est s’opposer à la liberté des esprits. https://t.co/d4KFXSEn9B
— Mounir Mahjoubi (@mounir) November 25, 2017
Pour soutenir la Casemate, le FabLab de Grenoble détruit par des activistes imbéciles : https://t.co/K4EqXBky8H
— Henri Verdier (@HenriVerdier) November 27, 2017
Le 27 novembre, le maire de Grenoble a interpellé Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, afin qu’il prenne « toutes les dispositions nécessaires afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes », rappelant l’historique des « activités criminelles d’incendiaires » commises ces derniers mois par des « individus se définissant de la mouvance anarchiste et libertaire. »
«Il règne un climat délétère sur Grenoble»
« Rien n’a pu être sauvé », se désole Jeany Jean-Baptiste, la directrice par intérim de la Casemate, alertée en pleine nuit par la société de télésurveillance du site. « Il y a eu trois départs de feu au niveau des machines du fablab, décrit-elle. Je suis arrivée sur place vers 2h30 du matin, mais il y avait déjà tellement de fumée que même les pompiers n’ont pas pu rentrer. »
Ma dernière photo faite au FabLab #Lacasemate qui a brulé cette nuit. Image d'une maquette en cours. Projet d'étudiants du Cours FabLabJamSession @lacasemate @UGrenobleAlpes: montrer comment on peut nettoyer de l'eau avec le minimum n'importe où. Il reste l'idée et cette photo… pic.twitter.com/XGXocIDWkU
— Joël Chevrier (@J_Chevrier) November 21, 2017
Si les 1.000m2 du premier étage accueillant le fablab et le médialab ont été entièrement détruits, le rez-de-chaussée de cet ancien bunker militaire a résisté. « Nous avons pu réintégrer les locaux dès vendredi, poursuit Jeany Jean-Baptiste. Il ne faut pas oublier que la Casemate, ce n’est pas que le fablab, nous nous relevons les manches pour poursuivre nos autres activités », expliquant que le site rouvrira dès le 1er décembre avec l’exposition jeune public 4 saisons.
Elle dénonce également le climat « délétère » qui règne sur la ville avec la vague d’incendies qui ont touché la gendarmerie, le centre d’action sociale ou encore Enedis, eux aussi revendiqués anonymement sur Indymedia. « Nous sommes des acteurs culturels avant tout. A Grenoble, tout le monde se sent concerné et se demande “A qui le tour ?” »
«Un cap a été franchi»
Même groupe, même mode opératoire. Mais pourquoi un fablab pour cible ? Intitulé « Grenoble technopole apaisée? », le texte anonyme revendiquant l’attaque annonce : « Dans la nuit du 21 novembre nous nous sommes introduits dans la Casemate de Grenoble (plus facile que prévu étant donné que la porte était ouverte (boloss !) et nous l’avons saccagé (quiconque a déjà lancé des ordinateurs à travers une pièce sait de quoi on parle) puis nous l’avons allègrement enflammée. Alors que le télégénique fablab manager s’agite pathétiquement dans les médias nous publions notre communiqué, écho indissociable de notre geste incendiaire contre cette institution notoirement néfaste par sa diffusion de la culture numérique. »
Les auteurs ciblent spécifiquement le fablab : « Les gestionnaires des villes satisfont les start-ups avides de fric et les masses tendanciellement geek en ouvrant des fablabs dans les quartiers branchés. Ces dispositifs en apparence extrêmement hétérogènes visent tous à accélérer l’acceptation et l’usage social des technologies de notre sinistre époque. (…) Et on se fout éperdument que ces fablabs soient issus de l’imaginaire rassis d’un hacker adulé, ce qui n’est pas le cas, ou qu’ils participent de fructueuses collaborations scientifiques dans l’un des temples de la technocratie, le MIT (pour Massassuchets Institute of Technologies) (sic : le MIT est le Massachusetts Institute of Technology, ndlr), ce qui est le cas ; parce qu’ils représentent une nuisance nous sommes venus en détruire un. »
Paradoxalement, les réactions les plus virulentes sont apparues dès la publication du texte sur Indymedia, puis sur Reddit et les réseaux sociaux, au sein même d’autres groupes de sensibilité anarchiste.
Détruire un Fablab pour dénoncer le "totalitarisme technologique", c'est un peu comme détruire une AMAP pour dénoncer l'agriculture industrielle. #casemate #grenoble #idiots https://t.co/L3yyowDgoE
— Mathieu Cunche (@Cunchem) November 26, 2017
« Ne pas être d’accord avec des questions d’ordre politique, c’est une chose, mais incendier un fablab qui prône l’open source et l’open access, c’est affligeant », dit Laurent Chicoineau, qui était le directeur de la Casemate depuis 2002 et a récemment pris ses fonctions au CCSTI Quai des savoirs à Toulouse. « Un cap a été franchi », poursuit-il, racontant avoir souvent été pris à partie par des groupes activistes de la région grenobloise, comme Pièces et main d’œuvre (lire aussi notre texte sur l’historique des luttes antitechnologie). « Vers 2007-2008, avec l’émergence des nanotechnologies, les combats qu’ils menaient étaient très politiques et plutôt dans le débat. Même si le dialogue était difficile et s’exprimait parfois par des comportements inciviques, on était loin d’actes criminels (je me rappelle la fois où des sympathisants anarchistes avaient craché dans les coupes de champagne lors d’une inauguration)… »
«La critique des techniques et des sciences est un véritable enjeu démocratique. C’est facile de dénoncer, encore faut-il proposer des alternatives.»
Laurent Chicoineau, ancien directeur de la Casemate
Concrètement, à la Casemate, la directrice Jeany Jean-Baptiste veut mettre en place très rapidement un fablab temporaire : « On est repartis de plus belle. Depuis une semaine, on a reçu tellement de messages de soutien et de réconfort qu’on se dit qu’on n’a pas le droit de baisser les bras. »
A lire aussi l’histoire des révoltes contre la machine