Chronique d’une makeuse en matériaux (26)
Publié le 27 novembre 2017 par Caroline Grellier
Reprendre les études, changer ses plans face aux aléas politiques africains… Notre porteuse de projet d’agence en matériaux biosourcés apprend à jongler.
Mon sport préféré devrait être le jonglage, ou l’art d’être étudiante la journée, entrepreneuse le soir et makeuse le week-end (faut bien se faire plaisir aussi, même avec 1h seulement de couture ou de maquette). Je gère plusieurs marmites qui bouillent toutes en même temps : le premier matériau by Termatière, ce composite de sarments de vigne en passe de trouver son marché ; l’activité de conseil de Termatière, mon agence qui concrétise un chiffre d’affaires (youpi !) et… la fac qui m’attend chaque jour.
Retour sur les bancs de la fac
Dur dur ce retour à l’école. Contraintes horaires, devoirs à rendre… Le master 2 design innovation société à l’université de Nîmes me permet néanmoins de prendre du recul sur ma pratique de designer et sur ce que j’ai entrepris avec Termatière. Les deux projets de design social sur lesquels nous travaillons par groupes d’étudiants s’intéressent pour l’un, au parcours de soin dans les maisons de santé, pour l’autre, à l’accompagnement de publics fragiles face à la dématérialisation des procédures administratives. A première vue, rien à voir avec les matériaux locaux et les résidus agricoles… Pourtant, je me sens inspirée par ces projets qui élargissent mon champ de vision quant au développement local des territoires, sujet au cœur du pourquoi et du comment de Termatière.
Matériau ou pas, l’humain se trouve au centre de mes préoccupations, le but étant de lui donner au maximum la parole, de prendre en considération ses difficultés et ses aspirations. Termatière souhaite contribuer au développement local durable du territoire, via les matériaux locaux biosourcés, dans le but de générer avant tout un bénéfice social par la création d’activité économique en optimisant la gestion des déchets.
Presque trois ans que je ne côtoyais plus de designers, au profit d’agriculteurs, agronomes, ingénieurs et scientifiques en tous genres. J’en avais presque oublié mon métier ! Presque. Ce retour à la fac me permet de réaliser le chemin parcouru en tant que designeuse dans un milieu peu investi par les designers. Je ne boude pas mon plaisir de découvrir des méthodologies en design social appliqué à la santé, à l’éducation, visant à mieux intégrer les bénéficiaires dans la conception des solutions qui leur sont destinées, car je me projette de suite sur les terrains de projets de Termatière. Reprendre les études après avoir entrepris est d’une redoutable efficacité en terme d’apprentissage opérationnel. Il me tarde de tester ces outils, ces méthodes, et d’en mesurer l’impact dans la dimension sociale de Termatière.
Anticiper et rebondir
Grâce au statut étudiant-entrepreneur, j’ai la possibilité d’utiliser la période de stage obligatoire du master pour mener à bien mon projet d’entreprise. J’avais donc envisagé de tester au Togo le dernier modèle économique de Termatière avec deux offres de prestations « classiques » (conseil, formation) et la mise en œuvre de projets R&D de terrain, financés par une campagne mécénale. Face au contexte politique togolais relativement instable, j’ai préféré mettre en pause mon projet pilote dans une ville de l’intérieur du pays (particulièrement touchée). Et j’ai opté pour un plan B, au Bénin.
Plan B comme Bénin
J’ai proposé au laboratoire Potemat (Pôle technologique de promotion des matériaux locaux), dépendant de l’école polytechnique de l’université d’Abomey-Calavi, à Cotonou, que j’avais visité en août 2016 et avec qui le feeling était bien passé, de les appuyer dans leur projet de valorisation de tiges de cotonnier. L’équipe, composée de scientifiques, experts dans le domaine des matériaux locaux, a une approche essentiellement technique. Mon rôle va consister à contextualiser, ancrer le projet sur un territoire, identifier des partenaires en amont pour faciliter sa mise en œuvre et valider la pertinence socio-économique des hypothèses de matériaux.
Aussi, je vais m’intéresser de près à l’équipement de Potemat, qui fait preuve d’un esprit maker remarquable : ils ont déjà fabriqué une table de vibration pour tester les briques en terre, conçue à partir d’un moteur de machine à coudre. Le laboratoire m’a fait part de leurs besoins en machines : nous allons donc ensemble réaliser un inventaire de ces besoins et équiper le labo avec les moyens du bord, tels de vrais makers en matériaux !
Départ prévu en février. D’ici là, j’ai des devoirs à finir…
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