Namur met un grand coup de Kikk dans les arts numériques
Publié le 7 novembre 2017 par Carine Claude
Avec 18.000 visiteurs du 2 au 4 novembre à Namur en Belgique, le 7ème Kikk festival réussit à concilier grand public et programmation pointue mixant art, DiY et tech. Recette.
Namur, envoyée spéciale (texte et photos)
Namur, 110.000 habitants, 18.000 festivaliers. Pendant trois jours de festivités électroniques non stop (et gratuites), le Kikk festival aura transformé du 2 au 4 novembre la paisible capitale wallonne en hub international des arts numériques. Déluge de conférences, performances en église, installations hors les murs et même un marché grouillant de makers digne d’une mini Maker Faire…
« C’est la première fois que l’on fait des installations dans l’espace urbain, dit Marie du Chastel, curatrice et coordinatrice du festival. On a vraiment voulu faire un pas vers le grand public en donnant à la programmation un côté plus humain et plus performatif, l’objectif, à terme, étant de produire des œuvres qui resteront dans l’espace public après le festival. » La foule était en effet au rendez-vous, notamment pour les performances spectaculaires du Belge Lawrence Malstaf et ses danseurs emballés sous vide dans l’église désacralisée d’Harscamp.
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QG du festival, le théâtre royal a même dû refuser du monde pour l’accès aux conférences. « Le Kikk festival a grandi très vite. La première édition en 2011 était un événement national, très belge, nous n’avions accueilli que 500 personnes », précise Marie du Chastel, qui court l’année les festivals internationaux pour dénicher les intervenants en phase avec les thématiques déclinées par la programmation. Pour hisser l’événement à ce niveau de visibilité internationale, tout l’écosystème local se mobilise, des collectivités en passant par l’université, les entreprises ou encore le Trakk, à la fois tiers-lieu créatif et fablab, sorte d’émanation permanente du Kikk festival créé en 2014.
Fil rouge de cette 7ème édition, le thème « Invisible Narratives » décortiquait les discours autour de la surveillance et des système invisibles, invitant artistes et conférenciers à révéler les impostures et les filtrages effectués à notre insu par les technologies cachées et les algorithmes. Sur la scène principale se sont ainsi succédé l’auteur cyberpunk Bruce Sterling, la curatrice et blogueuse Régine Debatty, la makeuse-designeuse Camille Bosqué ou encore Phoenix Perry, game designeuse, chercheuse et enseignante à l’université de Londres.
Ça se passe dehors
Côté installations hors les murs, le moulin à musique de l’Allemand Niklas Roy accueillait les visiteurs à l’entrée de l’exposition principale du Kikk avec une version désynchronisée de La lettre à Elise (2017) jouée par des boîtes à sons mues par le vent. Pour ceux qui n’ont pas les oreilles fragiles, l’artiste a documenté en open source l’intégralité de son installation pour pouvoir la reproduire chez soi avec un outillage minimum.
Avec Implosion Chamber, de Dmitry Gelfand et Evelina Domnitch, on reste dans le son mais cette fois-ci, avec des ondes à haute fréquence propagées dans un cylindre rempli d’eau qui provoquent l’éclatement de petites bulles d’air. Effet chatoyant garanti.
Pour sa part, le collectif berlinois Quadrature colle au plus près de la thématique du festival et de ses récits cachés avec l’installation Position of the Unknown, cinquante-deux petites machines qui traquent le cheminement de satellites artificiels et autres artefacts volants dont l’existence n’a pas été démontrée. Bienvenue dans l’univers des X Files. A l’opposé de ce minimalisme, Wave Interference (2012), la sculpture cinétique du Canadien Robyn Moody, fait onduler ses néons au rythme d’un piano mécanique.
Les kids aussi avaient droit à leur expo, avec « Little Kikk » regroupant une demi-douzaine d’œuvres interactives et ludiques à l’école Notre-Dame de Namur. Sans surprise, ce sont surtout les adultes qui ont joué avec. Mas que la Cara transforme les visages en les interprétant avec des formes graphiques abstraites, des couleurs. Efficace et pour cause : son auteur est l’Américain Zach Lieberman, cofondateur du logiciel créatif Open Frameworks et figure d’avant-garde du média art.
Kaleidoscope, le caisson lumineux de l’artiste intermédia Karina Smigla-Bobinski, fait flotter des couleurs qui s’animent et se fondent dès que l’on touche sa surface. En fond, le brouhaha de L’arbre à cerveaux rameute les enfants. Fabriquée par les frères Florent et Romain Bodart entre un fablab et un atelier de lutherie, cette installation musicale percussive est constituée de douze marteaux frappant divers objets sonores et d’un contrôleur en bois pour moduler les séquences.
Makers à l’honneur
Côté makers, le Kikk festival s’était donné des allures de vitrine pro avec sa halle de démonstration et de vente exposant aussi bien des prototypes bidouillés dans les fablabs et les hackerspaces locaux que des projets de start-ups déjà bien aboutis, entre deux délégations institutionnelles.
« Notre public vient du monde entier, dit Marie du Chastel. Des visiteurs issus de la communication, du code créatif, du développement interactif, du monde de l’entreprise… Ils avaient besoin d’un espace de networking et de business, avec une programmation de tables rondes et de conférences pour les professionnels. »
« Il règne une belle émulation ici, s’enthousiasme Kat Closon, chargée de projet du fablab Trakk Namur et du Kikk festival en présentant la cinquantaine de projets en exposition. Avec cette nouvelle dimension plus professionnelle du Kikk Market, les gens vont pouvoir vendre leur prototype s’il est déjà assez avancé ». A l’image de Maximom, un boîtier minimaliste qui permet de jouer des sons en 8-bits développé au fablab Trakk. Ses créateurs sont venus tester la réaction du public avant d’envisager une commercialisation.
Pendant trois jours, des milliers de visiteurs ont ainsi pu tester voitures autonomes, projets en réalité virtuelle, mais surtout prototypes musicaux, certains labellisés Wallifornia MusicTech, un programme rassemblant des acteurs du secteur de la musique et de l’innovation parmi lesquels le festival de Liège Les Ardentes, le Kikk et le théâtre de Liège. « Beaucoup de projets sortent en music tech, y compris au fablab, mais ils sont souvent mal accompagnés et nous souhaitions les mettre en avant avec ce nouveau programme lancé en décembre dernier », explique Kat Closon.
Fondé il y a trois ans par le Kikk, le BEP (bureau économique de la province de Namur), l’université et la ressourcerie de Namur, le fablab Trakk a fédéré une communauté solide avec ses 200 membres selon Kat Closon, initalement chercheuse en neuropsychopharmacologie tombée par hasard dans les fablabs après sa thèse. Désormais un peu à l’étroit dans ses locaux de l’université, il devrait déménager dans un centre sportif l’an prochain et tripler sa superficie. « Nous sommes financés par les fonds européens Feder, précise-t-elle. Il y a une dizaine de fablabs en Wallonie, au départ, chacun avait besoin de sonder sa communauté et son territoire et maintenant que le réseau est ancré et qu’il n’y a pas de concurrence entre les fablabs, l’idée est de développer des projets en commun en s’appuyant sur les spécificités de chacun. »
Le site du Kikk festival