Makery

A Londres, la musique du futur sonne aussi maker

Faire du vélo et du synthé avec le maker punk Look Mum No Computer. © Elsa Ferreira

Du 2 au 5 novembre se tenait à Londres We Are Robots, première édition d’un festival sur la musique et ses innovations à venir. Où l’on a retrouvé le gratin des makers musiciens.

Londres, de notre correspondante (texte et photos)

Pour les adeptes d’instruments DiY, c’est une bonne nouvelle : les festivals de musique et autres réunions de l’industrie ressemblent de plus en plus à un rendez-vous de makers. C’est le cas de We Are Robots, première édition d’un festival sur le futur de la musique et ses innovations, qui se tenait à Londres du 2 au 5 novembre.

Pour se mettre dans l’ambiance (bruitiste et expérimentale), l’entrée du festival se fait par une pièce sombre, au premier étage de la Old Truman Brewery, ancienne brasserie de l’est londonien, où siège dans un coin l’installation Post-Truth and Beauty de Tim Murray-Browne et Aphra Shemza. Le visiteur est invité à pénétrer dans un cercle d’enceintes et changer sa position pour influencer le son et les lumières. « A mesure que le visiteur change de perspective, différentes parties du monde lui sont révélées », explique Murray-Browne. Une réponse sonore et artistique au contexte politique de l’époque.

«Post-Truth and Beauty», mise en bouche de We Are Robots.

On passe ensuite par un terrain de jeu géant créé par l’artiste sonore japonais Yuri Suzuki, où le déplacement des objets gonflables (cubes et balles géants, punching ball) déclenche des boucles musicales.

Le terrain de jeu musical de Yuri Suzuki.

Réunion des anciens

Il est temps de passer aux choses sérieuses. Les conférences sur le futur de l’industrie musicale donneront, entre autres, d’intéressants face-à-face entre artistes et créateurs d’intelligences artificielles capables de composer des morceaux. « C’est notre boulot que fait l’IA », opposera ainsi The Flight, un groupe spécialisé dans la musique pour jeu vidéo à la représentante de Jukedeck alors qu’elle explique comment ses programmes génèrent des musiques d’illustration à partir de mots-clé d’ambiance.

Le reste du festival est une plongée dans l’univers des nouveaux luthiers électroniques, du plus DiY au plus professionnel. Festival dans le festival, le Hackoustic Village présente la plus grande scène de makers musiciens que le collectif que nous avions rencontrés en novembre dernier ait jamais organisée. Depuis quatre ans, Hackoustic promeut le travail d’artistes DiY à travers des soirées et des curations pour des événements extérieurs. Pour We Are Robots, ils ont regroupé dans cette sombre salle d’expo une trentaine d’artistes.

Réunion des alumni avec Stewart Easton et ses belles broderies sonores vues à la Tate, le Curio de Tim Yates, musicien et fondateur d’Hackoustic, ou encore Life Support de Luis Zayas, une installation musicale dont le son cristallin est créé par les gouttes de solution saline qui tombent sur des bandes en laiton connectées à Bela, un système temps réel open source pour le traitement des données audio spécifiquement conçu pour les fabricants d’instruments DiY (et dont le fondateur est également présent au village Hackoustic).

«Curio» de Tim Yates est inspiré d’un cabinet de curiosité. Son clavier en cuivre permet d’activer toutes sortes de bruitages (boîtes de sardines, perles…).

On prend des nouvelles de Sam Battle, aka Look Mum No Computer, dont la troisième version du vélo synthé est plus léchée que jamais. « Les joies des commissions artistiques », justifie-t-il. Il présente aujourd’hui son synthé 100 Oscillators Synth, qui tente de répondre à la question : « à partir de combien d’oscillateurs y a-t-il trop d’oscillateurs ? » Verdict : si un synthé normal en comporte un ou deux, cent n’est toujours pas de trop pour le maker le plus punk de Londres (voir la démo ci-dessous). « Je vais peut-être essayer d’en mettre mille. »

«Hundred oscillator mega drone synth», Look Mum No Computer, novembre 2017 (en anglais):

Lévitation acoustique

On rencontre aussi de nouveaux venus. Brendan O’Connor présente son programme interactif Igniting the Universe, sorte de bande-son de la naissance de l’univers. Grâce à une horloge dont il fait tourner les aiguilles, l’utilisateur peut ralentir et explorer la seconde de musique qui correspond à la première seconde du big-bang et dont l’évolution en millièmes de secondes correspond à différents âges de l’univers (l’ère des quarks, l’ère hadronique, l’ère leptonique ou le rayonnement électromagnétique du fond diffus cosmologique dont on vous parlait ici).

Pour redescendre sur terre, on se penche sur les expériences DiY de Diego Baresch et Axel Huerre, deux Français doctorants à l’Imperial College London, et leurs installations simples et ludiques. Spécialistes de la modulation sonore et des ultrasons, ces chercheurs présentent un lévitateur acoustique qui, grâce à des ondes sonores haute fréquence (que le tympan ne perçoit donc pas), fait voler un minuscule morceau de papier. Cette installation bon marché (moins de 100£, soit 113€) s’adresse au grand public mais dans une version plus haute technologie, elle aurait des applications bien utiles, précise Axel Huerre, comme en biomédecine, où elle permettrait de déplacer des objets sans les toucher. Autre installation DiY grand public de leur cru, un résonateur pour visualiser le son : une bouteille sciée, un film de savon, une enceinte et un morceau, c’est parti pour faire danser les ondes sonores.

Un dernier tour dans la caverne de Charles Matthews, musicien électronique chez Drake Music, association pour la technologie et la fabrique d’instruments à destination des personnes en situation de handicap. Pour une expérience « la plus honnête possible », Matthews a emmené tous ses fils, outils et autres bazars de maker et propose une exploration multisensorielle grâce à une torche en papier mâché électronique qui interagit avec les ondes lumineuses et sonores des objets alentour.

Du Moog au synthé open source

Les makers 0x0x0 fabriquent des synthés modulaires aux références esthétiques érotiques et pornographiques comme ci-dessus…

Les créations DiY des artistes réunis par Hackoustic sont certes expérimentales mais la lutherie électronique grand public a de beaux jours devant elle. La preuve en est le carton plein réalisé par Music Hackspace avec son atelier de fabrication de synthés. Ou la présence dans le hall d’exposition du fabriquant de synthétiseurs open source londonien Rebel Technology, qui s’affiche au côté des acteurs historiques Moog ou Serato.

Le fabricant de logiciel Ableton a lui aussi fait appel à son maker, Mark Towers, qui, pour We Are Robots, a créé toute une panoplie d’instruments de musique DiY, à base de vieux jeux d’arcade, d’antiques manettes Nintendo (voir ici comment fabriquer votre sampler Nintendo) ou de Lego Mindstorms. La musique électronique sort bel et bien de l’ordinateur. Et c’est tant mieux.

Le site du festival We Are Robots et la programmation du Hackoustic Village