La troisième édition du festival nantais de la bidouille créative se tenait cette année… à Angers, en ouverture de la Connected Week et avant le World Electronics Forum.
Angers, envoyé spécial
Le festival D, rendez-vous nantais des bricoleurs, bidouilleurs électroniques et adeptes de la fabrication numérique, remontait cette année la Loire de quelques encablures pour une incursion en territoire angevin. Habitué du Lieu Unique, le festival conçu par l’association Ping investissait les 21 et 22 octobre la large halle du Quai, le centre des arts vivants de la cité angevine. Pari réussi : 5.800 personnes ont participé aux deux jours de la manifestation (dont Makery est partenaire) qui proposait démonstrations de makers et créateurs, conférences et ateliers, performances artistiques et sonores.
Angers sur la carte mondiale de l’électronique
Ce qui est certain, c’est que la ville d’Angers veut se positionner comme leader français dans le domaine de l’Internet des objets. En 2015, François Hollande et Emmanuel Macron y inauguraient la Cité de l’objet connecté. Dans la foulée, la ville décrochait son label French Tech. Et cette année, elle était choisie pour accueillir le 22ème World Electronics Forum (WEF), le rassemblement mondial des fédérations de l’industrie de l’électronique et des grandes entreprises du numérique. Une marque de reconnaissance après le WEF 2016 à Singapour.
Pour montrer la dynamique de son territoire aux professionnels internationaux du WEF mais également partager avec le plus large public les possibilités ouvertes par l’IoT (Internet of Things, qu’on prononce localement « aïoti », comme aïoli) et le numérique en général, la ville s’est décidée à organiser sa première Connected Week, du 21 au 28 octobre, explique Constance Nebbula, conseillère au numérique de la ville. Bar camps pour start-ups, rencontres dans les domaines de la santé ou de l’agriculture connectées, forum Libération, animations sur les places publiques, en bibliothèque ou dans les maisons de quartier… la Connected Week multiplie les programmes à destination des Angevins.
C’est au festival D que revenait l’honneur d’inaugurer la semaine. Le festival, dont le nom tire son inspiration de Système D, le journal illustré du débrouillard, créé en 1924, n’est ni une Maker Faire ni un salon du bricolage. Il donne la part belle aux artistes et aux bricoleurs ludiques, aux adeptes du tricot numérique et de la sérigraphie, aux concepteurs d’instruments de musique ou de graveuses de disques vinyle, aux développeurs de jeux non conventionnels et aux étudiants en robotique, aux concepteurs ironiques de techniques pour planter vos ordinateurs comme aux poètes bricoleurs de machines inutiles.
De l’Espace culture multimédia au fablab
On notera l’effort du festival D pour replacer la culture actuelle des makers et fablabs dans un contexte historique, en proposant une série de conférences expliquant l’origine des lieux de fabrication numérique français, remontant jusqu’au tournant des années 1990 et 2000.
Alain Giffard, philosophe, énarque, pionnier des études de l’hypertexte, donnait le ton. L’ex-conseiller numérique de Catherine Trautmann puis de Catherine Tasca, ministres successives de la Culture et de la Communication du gouvernement Lionel Jospin (1997-2002) au moment de l’explosion du Web, a été à l’origine du portail Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, et l’initiateur des Espaces culture multimédia (ECM) et des Espaces publics numériques (EPN). S’adressant aux élus républicains d’Angers convertis au macronisme, il rappelle : « Ce n’est pas moi qui ai fait tous ces ECM, ce sont les dizaines d’emplois aidés qui ont porté la création de ces lieux ». Citant nommément Benjamin Cadon de Labomedia à Orléans, ou Julien Bellanger de Ping à Nantes, structures qui ont en effet démarré comme ECM il y a plus de dix ans, avant de se tourner vers la culture fablab, après la disparition du label ECM (et des subventions associées) sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
De l’origine du Fab Lab
Jean-Baptiste Labrune, anthropologue du design diplômé du MIT Media Lab à la fin des années 2000, a été étudiant du cours « How to Make (almost) Anything » de Neil Gershenfeld il y a une dizaine d’années. Il développait dans sa conférence les débuts du concept de fablab, expliquant : « Non, ce n’est pas Neil Gershenfeld qui a inventé le mot “Fab Lab”, mais Bakhtiar Mikhak, fondateur et directeur du Grassroots Invention Group au MIT » au tournant de 2000. Nommé directeur du programme de développement social du tout nouveau Center for Bits and Atoms (soutenu en 2001 par la National Science Foundation), il lança et mena les débuts du programme Fab Lab. Jean-Baptiste Labrune présente un texte fondateur de 2002 signé Mikhak, Gershenfeld et leurs étudiants, où le terme de Fab Lab apparaît pour la première fois, et qui raconte comment « le concept de Fab Lab fut introduit à l’été 2001 dans le contexte du Learning Independence Network (LIN) au Costa Rica, le premier site du projet Grassroots Invention Group ». Le texte précise que « le Costa Rica Institute of Technology fut sélectionné comme premier site Fab Lab international à l’été 2002. » Le Fablab Vigyan Ashram que Neil Gershenfeld présente aujourd’hui comme Fab-0, fut choisi comme « site du second Fab Lab international et premier en Inde », poursuit le texte.
Jean-Baptiste Labrune rappelait le rôle joué pour l’émergence du fablab du programme Digital Nations lancé par Nicholas Negroponte, alors directeur du MIT Media Lab, avec le soutien de Jose Maria Figueres, ancien président du Costa Rica et nouveau directeur général du Forum économique mondial de Davos, ainsi que des programmes Things That Think et Thinkcycle.
Les conférences Development by Design organisées par Digital Nations en 2001 à Boston et en 2002 à Bangalore, à l’école d’art, design et technologies Srishti (déjà évoquée dans Makery et dont nous vous reparlerons prochainement) ont joué un rôle déterminant. On retrouve en effet dans l’équipe du programme Digital Nations Bakhtiar Mikhak et Neil Gershenfeld, qui venait de publier When Things Starts to Think et commençait à intégrer des machines industrielles à commande numérique dans son programme au MIT. Tandis que Bakhtiar Mikhak focalisait sur les applications DiY, notamment en santé (diagnostic choléra, fabrication de montures de lunettes, etc.). Le concept de fablab émerge donc de la rencontre de ces deux programmes.
Tous les publics
L’histoire, c’est bien, mais la pratique, c’est encore mieux… Le festival D s’ouvrait au grand public. En famille, on découvre techniques DiY, jeux et bidouilles les plus variés. Florilège.
Le projet Ressenti sonore de l’asociation My Human Kit a pour objectif d’offrir aux sourds et malentendants la possibilité de ressentir les sons, la musique, en utilisant d’autres sens.
Habitué du festival D, Antoine Chevrier, président de l’association Labomedia à Orléans, présentait ses éoliennes faites de récupération et à l’ingéniosité frugale.
L’association Sew & Laine de Bègles-Bordeaux qui a fondé le fablab textile La Textilerie en 2011 présentait son tricodeur, une machine à tricoter familiale hackée pour permettre de reproduire n’importe quel visuel, texte, ou image en tricot.
Le Nantais Clément Duret présentait le Sillon’R, un graveur de disque vinyle qui permettrait aux artistes, groupes de musique et aux labels indépendants de produire leurs disques en petite série de manière indépendante. Le projet est développé en open source pour travailler en collaboration et aider d’autres personnes à créer leur propre machine.
Quentin Canovas, Jérémy Cella et Louis Rigal de l’école d’ingénieurs Istia d’Angers, présentaient les contrôleurs qu’ils ont développés pour leur version du robot open source InMoov.
Entre installation et performance, les artistes Mattieu Delaunay et Romain Desjonquères avec le Chabada ont invité le public à entrer au centre d’un cercle d’instruments à cordes créés par les artistes et pilotés par des machines. Et ça s’appelle Silence.
«Silence», Mattieu Delaunay et Romain Desjonquères:
Machines poétiques
L’installation a également été au centre de la conférence performée de samedi après-midi, où deux textes de la chercheuse Sophie Fétro, l’un tiré d’Objectiver, ouvrage collectif sur l’impact des nouveaux outils de la production numérique dans le design publié cet automne par la Cité du design, l’autre issu du catalogue de l’exposition au centre Pompidou Imprimer le Monde, étaient passés au tamis d’une machine. Ladite machine, conçue par des étudiants des beaux-arts et ingénieurs d’Angers, composait un texte à partir d’un algorithme de suggestion de mots (notamment) utilisé pour les smartphones. Au final poétique et drôle, le texte a été performé par des élèves du Conservatoire d’Angers.
Le festival s’est prolongé samedi par une soirée festive au Quai avec des performances sonores de F*** Google 1er et Yan Hart-Lemonnier, fondateur du label Ego Twister. Dimanche, une nouvelle journée de démos attendait les Angevins pour la trentaine de projets présentés dans la halle du Quai.
Le site du festival D
La Connected Week et le World Electronics Forum se prolongent jusqu’au 28 octobre
Réécouter la conférence-performance du festival D