A la Haute école d’art et de design de Genève, Patrick Donaldson a développé un prototype de «design assisté par évolution». Pour libérer le design et le designer. Explications.
« I am God, and so are you. » Tel est le titre de la recherche conduite dans le cadre de son master à la Haute école d’art et de design (Head) de Genève par Patrick Donaldson. Pour nous transformer en « dieux » du design, le média designer de 25 ans a imaginé d’introduire des algorithmes génétiques dans le monde du design avec un prototype baptisé DAE, pour Design assisté par évolution.
Doit-on comprendre votre projet Design assisté par évolution (DAE) comme une application qui intégrerait dans le code des données comparables aux gènes d’un organisme vivant?
Dans le monde naturel, les organismes sont composés de deux parties distinctes qui s’influencent : le génotype, qui contient toute l’information génétique, et le phénotype, qui regroupe toutes les caractéristiques visuelles et comportementales d’un organisme. Ces organismes se retrouvent ensuite en compétition pour passer leurs gènes à la génération suivante. Au moment de ce passage, les gènes des parents sont recombinés et mutent de manière aléatoire. Cette nouvelle génération est à son tour mise à l’épreuve et ainsi de suite.
Dans mon projet, les contenus créatifs sont construits de la même manière : un génotype virtuel et un phénotype virtuel. Le génotype virtuel décrit des variables : dans le cas de la typographie, cela peut être une hauteur de x ou l’existence d’empattements et leur taille. Ces informations sont ensuite traitées par un algorithme défini par le designer pour générer le phénotype virtuel et prendre des formes multiples (typographie, sons, formes 3D, etc.). Contrairement au monde naturel où les phénotypes sont testés via leurs interactions avec d’autres organismes et l’environnement, les contenus générés sont notés par le designer, qui choisit quels phénotypes sont bons ou mauvais selon sa culture et ses préférences esthétiques. L’ordinateur prend en compte ce choix et donne naissance à la nouvelle génération. Le designer prend en quelque sorte le rôle de la nature, en dirigeant l’évolution de l’espèce virtuelle.
Comme dans tout processus biologique, il y a donc une place laissée à d’éventuelles mutations imprévisibles?
Oui, c’est là tout l’intérêt. Avec cette imprévisibilité, le designer finit par avoir un échange avec la machine où cette dernière, en proposant de nouvelles mutations, peut même inspirer l’utilisateur et donner de nouvelles idées. A chaque génération, les mutations peuvent prendre n’importe quelle direction. Mais en prenant en compte la sélection du designer à chaque étape, certaines mutations seront rejetées. Il est bien sûr aussi possible d’augmenter la probabilité de mutations dans les paramètres de l’évolution en cours.
Quels types de contenus cette application peut-elle traiter?
L’outil est en fait un moteur évolutionnaire. De la même manière que des logiciels tels que Unity ou Unreal (des moteurs de jeu 3D, ndlr) sont des moteurs de simulation physique, il sert simplement à changer aléatoirement des valeurs et à prendre en compte des choix pour ensuite gérer la population d’organismes virtuels. Il laisse donc le designer libre de choisir les variables à utiliser et dans quel but, que ce soit pour produire des typographies, des sons, des objets physiques…
L’avantage d’une telle approche est sa personnalisation. Un designer pourrait créer un logotype qui s’adapte à son contexte, tel que son support papier. Une peinture générée de cette manière évoluerait au cours du temps et ne proposerait jamais deux fois la même chose. Une telle approche assistée par la puissance informatique permet d’augmenter le designer afin qu’il puisse s’attaquer à des projets beaucoup plus vastes qui ne pourraient jamais être explorés manuellement. La seule limite est l’imagination du designer.
Avez-vous déjà réalisé des choses concrètes à partir de cet outil?
Oui, certains contenus ont déjà été créés avec l’application. Ce sont des explorations. Pour mon projet de master, j’ai mis en place trois exemples pour montrer le potentiel de l’outil. Un en typographie, un en sonorisation et un en objets physiques, réalisés avec une imprimante 3D. Mais en choisissant un autre projet, par exemple une lumière qui fonctionnerait avec des LEDs et serait dirigée par un Arduino, on pourrait imaginer un procédé d’évolution des variables envoyées à l’Arduino pour contrôler ces lumières. Il faudrait pousser un peu plus loin pour créer des bracelets, une chanson ou une fonte complète.
En introduction à votre recherche, vous écrivez avoir «naïvement pensé que vous trouveriez une méthode révolutionnaire qui changerait le processus du design pour toujours». Que pensez-vous des débats sur l’omnipotence de la machine dans le contexte de l’intelligence artificielle?
Personne n’avait encore essayé d’appliquer les algorithmes génétiques au monde du design. Et vu l’impact que cela avait eu en ingénierie, j’espérais créer des contenus qui perdurent sans l’intervention d’un designer. La machine – du moins pour l’instant – n’est pas en mesure de faire des choix esthétiques ou de savoir si tel ou tel design est meilleur qu’un autre. Les designs eux-mêmes ne peuvent donc pas évoluer sans l’intervention d’un designer.
Aller vers des outils plus actifs, et non pas passifs comme la plupart de ceux qui sont à disposition des designers aujourd’hui, reste pertinent. Comme je ne voulais pas quitter le champ des algorithmes génétiques, j’ai décidé de chercher le moyen d’encapsuler ce système dans un outil qui pourrait être mis à disposition du designer. Celui-ci propose des solutions et le designer fait évoluer son idée avec lui. Mais l’outil ne vise en aucun cas à remplacer le designer.
Aujourd’hui, quels sont vos projets?
Le Design assisté par évolution a été sélectionné pour concourir au prix de l’innovation de la HES-SO et le prix d’excellence de la fondation Hans Wilsdorf. Je reviens tout juste du Festival du nouveau cinéma de Montréal où Yoann Douillet, Vincent de Vevey, Laurent Monnet et moi avons été invités à présenter Ximoan, une expérience collaborative en réalité virtuelle inspirée de la mythologie aztèque. Et je développe aussi un jeu sérieux, Massive, a game of four forces, sur la subatomique et la physique des particules.
En savoir plus sur le projet DAE de Patrick Donaldson, qui dit envisager «pour le futur» de mettre à disposition son prototype sur GitHub