L’auto-examen médical en zone grise
Publié le 19 septembre 2017 par Nicolas Barrial
Alors que les outils du «quantified self» se développent rapidement, regard sur quelques protos et projets en open santé qui questionnent le futur de l’auto-examen.
L’open science, ce n’est pas que pour les laborantins. Aujourd’hui, des bracelets et objets connectés pour suivre ses performances physiques, contrôler son diabète ou sa tension, à l’électronique à bas coût pour la captation de données corporelles, l’interfaçage corps-machine transforme le regard sur l’exercice de la santé. En soulevant de nombreux débats éthiques.
Je m’ausculte en DiY
L’automesure des données corporelles, ou « quantified self », peut présenter de nombreux avantages. Comme dans le cas de la prise de tension. Alors que selon la société internationale de l’hypertension (ISH), l’hypertension artérielle tue 94 millions de personnes dans le monde chaque année, prendre sa tension soi-même permet de rapprocher les prises d’information et d’être plus libre dans ses déplacements, en utilisant des versions électroniques du tensiomètre à poire qu’utilisent nos chers médecins.
Une étude publiée en mars 2016 dans le journal scientifique Hypertension révèle que la présence du corps médical augmenterait la tension lors du contrôle, le fameux syndrome de la « blouse blanche ». Un argument pour privilégier les pratiques maison. De là à fabriquer l’appareil soi-même, il n’y a qu’un pas… Si le bricolage est déconseillé dès lors qu’on souffre d’une pathologie, faire soi-même ses biosenseurs est néanmoins possible : capteurs, cartes électroniques, logiciels et base de données sont accessibles sur le marché aux adeptes de la fabrication Do it Yourself.
Demain, les capteurs et leur électronique pourraient n’être que des timbres à coller sur la peau. L’ingénieur Muhammad Mustafa Hussain de l’université King Abdullah (KAUST) en Arabie saoudite, planche ainsi sur une Paper Watch. La « montre papier » ne permet pas de lire l’heure mais propose un bracelet imprimé en 3D qui maintient sur la peau des capteurs flexibles construits à partir d’une feuille d’aluminium, d’une éponge et de composants électroniques en silicone. L’objectif est de réduire le prix d’achat de l’appareillage et d’augmenter l’interchangeabilité des capteurs.
Ces gadgets tout-en-un évoquent parfois le tricordeur, cet outil d’analyse portatif utilisé par le médecin de la série Star Trek. Basil et George Harris, les concepteurs de DxtER, un appareil lauréat cette année du (richement doté) prix d’innovation de la fondation américaine Xprize, affirment s’en être inspirés. Ils précisent cependant que leur invention est plus avancée que le tricordeur de la série de science-fiction et affirment avoir développé 34 algorithmes de diagnostic pour repérer des pathologies telles que la tuberculose, le diabète, la leucémie, les apnées du sommeil, etc. Les 2.500.000$ à la clé du Xprize devraient permettre aux deux frères de développer leur dispositif.
Je mets mes ondes alpha sur écoute
La démocratisation de la mesure de l’activité électrique du corps inspire hackers, développeurs de kits éducatifs et artistes-chercheurs. La plateforme open source openBCI (pour Brain Computer Interface) propose tout un panel de capteurs permettant de mesurer et d’enregistrer l’activité électrique du cerveau (électroencéphalographie, EEG), des muscles (électromyographie, EMG) ou du cœur (électrocardiographie, ECG). Des makers portugais commercialisent quant à eux BITalino, un kit de carte électronique doté d’un EMG pour suivre l’activation des muscles, d’un EDA (électrodermie) pour mesurer les niveaux de sudation, d’un capteur lumineux pour révéler la pulsation sanguine et d’un ECG pour suivre les battements du cœur et mesurer le stress. Ils alertent cependant sur le fait que leur matériel ne relève pas du dispositif aux normes médicales et ne peut en aucun cas être utilisé pour de l’orientation diagnostic.
Les possibilités offertes par l’interfaçage de l’électroencéphalographie pour créer des actions à distance ouvrent aux analogies avec le vieux mythe de la psychokinèse et inspirent certains artistes-chercheurs. Gille de Bast, avec qui Makery collabore régulièrement, en explore les possibilités et fait la démonstration ludique de nos capacités cérébrales. Ludique pour aussi démontrer que ces outils puissants posent quelques questions éthiques. La designer néerlandaise Anouk Wipprecht (dont on vous parlait ici) planche quant à elle sur des robes qui expriment des émotions directement pêchées dans le cerveau à l’aide de l’EEG.
«To chip or not to chip»
Pendant de nombreuses années, la démocratisation de la technologie des implants a défié la chronique. On se souvient par exemple du bruit fait le premier auto-implant de puce de radio-identification (RFID) réalisé en 1998 par le chercheur britannique Kevin Warwick ou de la campagne de communication menée dans les années 2000 par la compagnie Verichip. Et aujourd’hui, qu’ils soient adeptes du transhumanisme, performers ou activistes, les body hackers passent allègrement la barrière du corps et s’implantent ou se greffent des appareils à leurs risques et périls. Les Britanniques de Cyborg Nest ont ainsi développé un piercing sous-cutané qui vous indique le nord par vibrations. Certains s’adonnent à des implants parties (pour ensuite coder eux-mêmes les implants à leur convenance).
Plus sérieusement, les implants ont cependant un réel intérêt pour la médecine, et notamment la chirurgie cardiaque. Et les implants sont de plus en plus miniatures, comme le Reveal LINQ ICM mis au point en 2014 par la société américaine Medtronic, un implant plus petit qu’une pile de 1,5V à l’usage des personnes souffrant d’arythmie. Depuis, le Reveal LINQ ICM s’est doté d’un nouveau logiciel qui fait appel à l’intelligence artificielle et réduit la marge d’erreur de 95%.
A mesure que les appareils rapetissent, leur besoin en énergie (pour les questions de pérennité de l’alimentation) aussi. A l’image de la « poussière neurale », une puce pour mesurer l’activité nerveuse, dans un muscle par exemple, développée en 2016 à l’université de Berkeley.
Je fais médecine, option «électronique»
L’open santé ouvre aussi à une montée en compétences dans le champ de l’exercice de la médecine. Le projet d’écho-stéthoscopie open source Echopen, par exemple, qui permettrait de faciliter l’orientation diagnostic, dont Makery vous a déjà parlé, a fait des progrès significatifs ces derniers mois. « Nous venons d’atteindre le niveau de qualité que nous attendions. Selon notre radiologue en chef, nous avons dépassé la qualité d’une machine échographique des années 1990 », expliquent les porteurs du projet, qui ambitionnent un dispositif médical à moins de 500€ et visent les normes CE et FDA. Ils entrent maintenant dans la phase de design intégratif de la sonde et la miniaturisation des composants, mais doivent aussi aborder très sérieusement le grand chantier éthique que soulèvera la démocratisation de ce dispositif médical, une véritable révolution comparable à l’invention du stéthoscope par Laënnec.
Car quel impact aura par exemple la sonde Echopen dans des pays où l’avortement est pratiqué illégalement ? « Il faut distinguer le développement d’un dispositif médical favorisant l’accès au soin de la question des mésusages qui existent déjà avec l’échographie », nous répondent-ils, évoquant par exemple les cliniques illégales qui se procurent déjà des échographes sur les sites de vente d’occasion sur Internet ou les pratiques de sélection du sexe des bébés avant la naissance dans certains pays. « L’écho-sthéthoscopie nécessite au moins 48h de formation et s’adressent aux professionnels de santé ». Chacun son métier.