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François-Joseph Lapointe fait danser son microbiote

Selfie du microbiote de François-Joseph Lapointe, après 350 poignées de main durant la performance «1000 Handshakes». © F-J Lapointe

La révolution génomique change la perception de notre corps. C’est ce qu’explore le biologiste et chorégraphe canadien François-Joseph Lapointe. Avec un goût immodéré pour les échanges bactériens.

« Je ne suis pas François-Joseph Lapointe. 50% des cellules de mon corps ne sont pas des cellules humaines. 99% des gènes de mon corps ne sont pas des gènes humains. Toutes mes actions affectent qui je suis. Toutes mes rencontres changent qui je suis. Je ne suis plus vraiment humain. Je suis la somme de mon génome et du génome de toutes les bactéries qui vivent sur moi, autour de moi, à l’intérieur de moi. Je suis un superorganisme. »

C’est ainsi que François-Joseph Lapointe s’adressait au public lors de la rencontre Laser organisée ce printemps par l’association Leonardo-Olats et la diagonale Paris-Saclay chez agnès b. On ne saurait dire si François-Joseph Lapointe n’est plus vraiment humain, c’est en tout cas un artiste et biologiste qui porte la performance sur son propre corps, qu’il s’agisse de serrer la main de mille personnes pour étudier la contamination ou de manger une chauve-souris « dans l’espoir de devenir Batman » et ainsi réaliser un « égoportrait métagénomique ».

Côté sciences, par là où il a commencé sa carrière, ce directeur du laboratoire d’écologie moléculaire et d’évolution à l’université de Montréal travaille sur l’application des méthodes statistiques de la théorie des graphes à la phylogénétique et à la génétique des populations. Côté art, son œuvre repose sur la biologie et les micro-organismes, en s’appuyant sur la chorégraphie, la performance et la création visuelle et graphique.

Pour «1000 Handshakes», François-Joseph Lapointe doit d’abord serrer des mains… © F-J Lapointe
…Avant qu’on prélève un échantillon de sa paume pour vérifier la contamination. © F-J Lapointe

Une communauté d’organismes en nous

François-Joseph Lapointe est un specimen de « paradisciplinarité ». Le chercheur creuse côté artistique les possibilités en performance relationnelle de la métagénomique, ou génomique environnementale, une science dérivée de la génomique.

Le séquençage du génome humain a duré pas moins de treize ans (de 1990 à 2003). Aujourd’hui, grâce à la métagénomique, le séquençage prend une semaine. Cette technique permet d’identifier les champignons, bactéries, etc., que l’on trouve dans l’environnement, et permet d’étudier la communauté d’organismes que nous avons en nous.

La métagénomique a conduit au projet microbiote humain (Human Microbiome Project ou HMP en anglais) qui a notamment révélé en 2012 que nous étions composés à 99% de gènes de bactéries et que différentes parties du corps sont associées à différents micro-organismes. Suite aux découvertes du projet du microbiote humain, il y a maintenant une explosion en métagénomique. On dénombre des projets de microbiotes intestinal, cutané, facial, ombilical, dentaire, vaginal, mammaire, séminal, conjugal, néonatal, alimentaire, fécal, canin, félin, floral, domestique, téléphonique et même intersidéral (ISS)…

«Je touche donc je suis»

Comment utiliser ces nouveaux outils pour en faire de l’art ? François-Joseph Lapointe cherche depuis quelques années à modifier son microbiote afin de réaliser des « égoportraits métagénomiques » ou « microbiome selfies ». Dans la performance relationnelle 1000 Handshakes, initiée au musée de la Médecine de Copenhague en 2014, François-Joseph visite la ville en serrant la main au plus grand nombre de gens possible et mesure la dynamique de contamination des bactéries sur la paume de sa main droite. Toutes les cinquante poignées de main, son équipe de chercheurs performers prend un échantillon et l’analyse en laboratoire, permettant de tirer les « égoportraits » indiquant la contamination.

«Microbiome selfie» pour la performance «1000 Handshakes». © F-J Lapointe

Il est ainsi intéressant de constater qu’au bout d’un certain nombre de mains serrées – que Lapointe énumère – les personnes sont récalcitrantes ou songent à se laver les mains ensuite. La performance a depuis été réalisée dans différents événements comme Quantified Self à San Francisco en 2015, le festival berlinois Transmediale 2016, ou Culture as Medium à Baltimore également en 2016.

«1000 Handshakes», performance, musée de la Médecine de Copenhague, 2014:

«Organisme Génétiquement Mouvementé»

Dans sa thèse de doctorat en danse (soutenue en 2012), Lapointe a développé le principe de la « choréogénétique », expliquant notamment les principes directeurs de sa performance Organisme Génétiquement Mouvementé pour la Journée internationale de la danse, à Montréal en 2007. L’objectif de Lapointe dans cette chorégraphie était d’éliminer le chorégraphe pour le remplacer par une molécule d’ADN, de manière à avoir une structuration dite objective de la partition chorégraphique, de danser son ADN. Le public était invité à lui dicter une suite interminable de nucléotides A, T, C, G représentant son ADN, que le danseur associait à quatre mouvements. Cette performance de 3h20 a été adaptée en 2009 pour trente danseurs dans la gare centrale de Montréal et titrée Polymorphosum urbanum.

«Polymorphosum urbanum», performance, gare centrale de Montréal, 2009:

«Devenir Batman»

Poursuivant le travail sur le microbiote, François-Joseph Lapointe a eu l’occasion de faire un séjour en Guinée avec le Muséum d’histoire naturelle de Paris avec l’objectif de prélever le microbiote de la chauve-souris. « Je mange donc je suis », s’est dit Lapointe, convaincu de manger une chauve-souris « dans l’espoir de devenir Batman ». Il songe alors à réaliser le prélèvement de son microbiote oral avant et après l’avoir mangée, ainsi que celui de la chauve-souris avant de la manger. Et cela, malgré la menace Ebola et l’interdiction de manger toutes les viandes de brousse (singe, rat, chauve-souris, porc-épic, etc.). Lapointe a mangé de la chauve-souris et a survécu, constatant sur son égoportrait métagénomique qu’il y avait un peu de chauve-souris en lui.

Microbiome Kamasutra

Parmi ses dernières réalisations, le Microbiome Kamasutra (« Je baise donc je suis ») consiste à « trouver un(e) partenaire sexuel(le), faire signer le formulaire de consentement (très important), pratiquer différentes positions du Kamasutra, récolter des échantillons de microbiote avant, pendant et après, et retourner au laboratoire faire des selfies ». Avec sa femme qui s’est portée volontaire, ils ont pratiqué les combinaisons possibles entre oral, urétral, anal, digital et oral, vaginal, anal, digital. Bien que certaines soient pratiquement impossibles (comme anal-anal), ils ont pu constater les rencontres de leurs microbiotes et en ont tiré des portraits de baisers bactériens.

François-Joseph Lapointe exposant son microbiote à celui des eaux du Gange. © F-J Lapointe

François-Joseph Lapointe travaille actuellement au Sacré Microbiome (« Je crois donc je suis ») qui reflète avec humour les pratiques étranges de certains fidèles, comme lécher la porte sainte de la basilique Saint-Pierre du Vatican, se gargariser d’eau bénite, ou plonger ses pieds dans le fleuve sacré du Gange. Sacré François-Joseph !

François-Joseph Lapointe sera à Copenhague le 13 octobre pour y présenter la performance «Devenir danois» dans le cadre de l’exposition «Mind the Gut»

La prochaine rencontre Laser a lieu le 21 septembre avec les artistes et scientifiques Cécile Beau et Anthony Hildenbrand, Véronique Béland, Benoît Lahoz et Christian Jacquemin, 17, rue Dieu à Paris 10ème, à 19h, entrée libre