A 500, on a construit une ville en terre au festival Bellastock
Publié le 24 juillet 2017 par Caroline Grellier
Bâtir une ville éphémère en terre crue en moins de 48h avec 500 paires de bras. Tel était le défi posé par l’association d’architecture expérimentale Bellastock pour son festival.
L’association Bellastock organise et anime depuis 2006 chaque année en Ile-de-France un festival de construction collective pour explorer comme dans un labo à échelle réelle des problématiques liées au devenir de l’espace métropolitain. Pour l’édition 2017, du 13 au 16 juillet sur le thème de « La ville des terres », CRAterre, Amàco et Bellastock se sont associés afin d’engager une réflexion sur le réemploi des 50 millions de tonnes de terres de déblais produites par les chantiers du Grand Paris dans les années à venir.
Une façon de faire la démonstration des potentiels à fort impact socio-économique et écologique de la construction en terre crue et de sensibiliser au fait que cette terre n’est pas un déchet mais bel et bien un matériau de premier choix pour la construction. Ce béton environnemental peut répondre aux projets inscrits dans une démarche bas carbone. L’enjeu ? Prouver l’existence d’un marché économique pour la terre.
Le défi posé aux 500 inscrits (étudiants en archi, mais aussi amateurs de chantiers collectifs, designers, jeunes architectes…) consistait à construire et habiter une ville éphémère en deux jours, puis l’ouvrir au public et la détruire au quatrième et dernier jour. J’ai fait partie de l’une des cent équipes sur le terrain.
13 juillet. Construction de notre abri du soir
La sortie Saint-Denis du RER D prend soudainement des allures de colonie de vacances. Je retrouve mon équipe constituée de copains Boullistes (pas des joueurs de pétanque, mais des anciens de l’école Boulle) et d’un copain de copains : Jeanne Guyon, Diane Barbier, Capucine Blanchard et Alexandre Motto. Inutile de demander notre route, nous suivons les sacs à dos sur pattes devant nous, qui transportent pelles, seaux et attirail de camping.
Après 30mn de marche, je découvre le site, tout près de l’écoquartier fluvial de L’Ile-Saint-Denis. Un vaste terrain en cours de chantier, où 14000m3 de terre au total seront excavés. Le site accueille déjà Actlab, le labo manifeste d’expérimentation de Bellastock, qui cultive l’art du réemploi en Seine-Saint-Denis.
A peine arrivés, nous choisissons notre tas de terre et notre palette de 250 blocs de terre comprimé (BTC), ce qui détermine notre « territoire » de 9m2 à investir.
Après un brief matériel, sécurité, organisation, top départ ! L’objectif de cette première journée est de construire notre abri pour y dormir le soir-même. A ce moment-là, je me retrouve avec mon équipe devant ce gros tas de terre, légèrement perplexe sur la faisabilité du chrono.
Qu’importe, sans trop réfléchir, nous assistons aux ateliers mis à disposition afin de nous former rapidement aux différentes techniques de transformation de la terre. Je me jette à l’eau dans la bauge. C’est le cas de le dire, puisqu’il s’agit de créer des boules d’un savant mélange terre + eau, que l’on vient ensuite projeter les unes contre les autres pour former des couches. Au séchage, le mur s’avère être du costaud.
Bon, au début c’était sympa, on s’amusait bien à battre la terre des pieds et à jeter nos boules, mais au bout de quelques heures, on décide de passer aux BTC. En quelques minutes, on choisit notre appareillage de briques et la façade de notre abri se monte en un rien de temps.
Remotivation ! Dans la foulée, on enchaîne avec l’expérimentation d’une autre technique : le pisé. De la terre tassée à l’aide d’un pisoir, que l’on vient déposer par étage dans des banches (en gros, quatre planches de bois qui donnent la forme du mur à créer). Place aux biceps. Deux heures plus tard, nous avons deux petits murs, délimitant ainsi notre maison.
Après l’effort, le réconfort : l’association Disco Soupe prépare l’ensemble de nos repas à partir de fruits et légumes invendus. Dont plus de 600kg de bananes, que nous avons mangées à toutes les sauces, merci !
De retour sur notre chantier, nous échappons à une catastrophe : nos voisins, en charge du mur mitoyen, ont réalisé un appareillage de BTC qui s’effondre sous nos yeux… chez nous. Etant donné que les briques sont empilées sans mortier, il est indispensable de réaliser des murs en angle et de veiller à bien les disposer.
Après ce petit coup de chaud, on s’attelle à la fabrication de notre toiture. Tasseaux de bois récupérés et tôles en polycarbonate sont à notre disposition. Pas de clous, ni vis, ni colle, il faut faire preuve d’imagination avec de la cordelette.
Vers 21h, on coupe les dernières ficelles : challenge relevé, dans la bonne humeur, sans blessé. Je lève les yeux et découvre avec étonnement notre ville, réalisée avec 500 paires de bras. Vue de haut, la ville des terres a des allures de bidonville. Dense, rafistolée mais créative. We did it !
La fatigue se fait sentir, les courbatures arrivent tranquillement. Après le dîner, dodo et pour cette nuit, vu la fraîcheur et le léger traumatisme de chute de BTC, ce sera en tente…
Le timelapse du 1er jour de Bellastock 2017, par Alexis Leclercq:c
14 Juillet. Aménagements collectifs
Réveil dans la bonne humeur grâce à TéléCharette, la radio du festival en charge de nous motiver du matin au soir, en musique et en blagues. Le vent a soulevé quelques toitures mais globalement, notre ville tient debout.
Aujourd’hui, place aux aménagements collectifs : murs, jardins, escaliers, voiries, place publique, on se coordonne avec nos voisins pour que notre quartier ressemble à quelque chose de visitable. En effet, demain samedi, le festival sera ouvert au public.
On rattaque, pelles et seaux à la main, pour un gros boulot de déblayage. L’équipe de bénévoles se lance dans la réalisation d’un jabouzzi, un bac de jacuzzi récupéré dans lequel on teste les bienfaits des bains de boue ; les étudiants en architecture de Marseille honorent leur réputation en construisant un terrain de pétanque, pendant que les Bretons (ou les Lillois, toujours pas compris !) nous régalent avec un stand de crêpes.
Avec mon équipe, on peaufine la construction de notre abri : on renforce notre toiture et on aménage l’intérieur d’une table et de bancs à l’aide de briques, bois et palettes.
15 juillet. Bienvenue à la ville des terres!
Les visiteurs arrivent, en famille, entre copains, étonnés de constater comment cette ville de terre est sortie de terre en moins de 48 heures. Il faut avouer que nous aussi, nous sommes les premiers surpris de cet effort collectif.
L’après-midi, une table ronde réunissant des élus et architectes pose la question de la construction collective de la ville justement.
Ce samedi étant placé sous le signe de la détente, je visite à mon tour notre ville, je me balade sur le site et observe les prouesses techniques déployées par chaque équipe.
En fin de journée, Bellastock prend des allures de festival plus que de chantier. Au programme : concerts et bière artisanale, le tout sous un pont de l’autoroute A86. Un décor improbable et une soirée aux allures de Woodstock, le ton un tantinet hippie est donné.
16 juillet. Démontage
Réveil douloureux : courbatures de trois jours intensifs de chantier ou bien contre-coup de la rumba congolaise de la veille au soir ? Je ne saurais dire. La radio du festival déploie des efforts d’imagination et d’humour pour nous sortir de nos duvets. Avec mon équipe, nous avons dormi chez nous, dans notre abri aux allures d’étable à cause de la paille au sol.
Un café et un coup de soleil plus tard, nous entamons la déconstruction de notre ville. Bon, ça va toujours plus vite dans ce sens-là…
Des chaînes humaines de plus de 50 personnes se forment dans les allées pour remettre sur palettes les BTC, qui, comme la terre, seront réutilisés. La radio me fait rire, avec ses commentaires sportifs sur nos performances de déconstruction façon Jeux olympiques : lancer de tasseau, porté de tôles, petites annonces, l’ambiance est vraiment chouette.
Au final, une organisation au top, beaucoup de connaissances emmagasinées grâce à la pratique, un cadre unique pour expérimenter et s’amuser. Les 500 petites fourmis que nous sommes achèvent leur mission avec sur toutes les bouches « je reviendrai ».