L'association mise sur l'efficacité du code et l'attrait de la fabrication numérique pour remobiliser les jeunes décrocheurs. © Carine Claude
Ils sont une dizaine de «décrocheurs scolaires» à avoir entamé début juin une formation au code et à la fabrication numérique dans les deux fablabs de CoDev en banlieue parisienne. Reportage.
Par une après-midi caniculaire de la fin du mois de juin, une demi-douzaine de jeunes garçons de 16 à 25 ans passent une tête au fablab Lab Briq sociale dans le Bas-Montreuil. Ils reviennent d’une mission un peu particulière : l’équipe du lab les a envoyés faire un tour à la médiathèque de la ville pour y former des élèves de primaire à Scratch, le langage du MIT pour apprendre à coder dès le plus jeune âge. En toute autonomie, ils ont encadré les ateliers, pris en charge les enfants et transmis ce qu’eux-mêmes avaient appris encore récemment sur Scratch, sous l’œil discret de Simon Droux, formateur au code du fablab. Pourtant, ils font partie de la cohorte des décrocheurs scolaires, ces milliers d’élèves qui abandonnent chaque année les bancs de l’école sans qualification ni diplôme : 98000 rien qu’en 2016.
« En devenant médiateur d’un savoir, d’une expertise, ces jeunes comprennent qu’ils ont appris quelque chose d’utile au fablab, ce qui est très valorisant pour eux, explique Vivien Roussel, le fabmanager. La vraie problématique, quand une personne ne croit plus en elle, est qu’elle perd sa capacité à se projeter et cette incapacité produit le fameux “Je n’ai pas d’avenir, je ne réussirai rien”. »
Partant du principe que l’innovation sociale passe par l’inclusion numérique – et l’insertion des jeunes par la motivation – l’association CoDev (les « Compagnons du dev ») qui porte le fablab mise sur l’efficacité du code et l’attrait de la fabrication numérique pour remobiliser ces jeunes décrocheurs. « Mon souhait était de faire de cette association une vitrine de recherche pour piloter des actions amenant les populations à risque d’exclusion sociale et numérique vers de meilleures compétences », dit sa directrice, Stéphanie Vincent.
Hébergée à sa création en 2013 par l’école de code Simplon, l’association a depuis essaimé en Seine-Saint-Denis et dans le Val-d’Oise avec deux antennes au format fablab éducatif : la Fabrique Numérique de Gonesse et Lab Briq sociale à Montreuil.
«Il y a eu trois fractures: la fracture de l’accès, la fracture des usages et la fracture de la maîtrise de la fabrication.»
Stéphanie Vincent, directrice de l’association CoDev
Lauréate du label Grande école du numérique, la formation proposée par les fablabs de Montreuil et Gonesse accueille la nouvelle promo de jeunes décrocheurs depuis le mois de juin. Son nouveau programme (gratuit) de formation au code et à la fabrication numérique permet d’aborder les fondamentaux du travail en fablab : programmation, graphisme, modélisation 2D et 3D, électronique et objets connectés, fabrication de prototypes et utilisation des machines à commande numérique.
Pendant cinq mois et demi, une dizaine de jeunes entre 16 et 25 ans suivront ce parcours complet conçu comme un tremplin vers d’autres formations, pas nécessairement numériques d’ailleurs, ou vers un premier emploi même longtemps après. « Il n’y a jamais de garantie de résultat. Il s’agit d’un investissement à long terme et ce n’est pas au bout de quatre ou cinq mois que l’on peut mesurer l’impact d’une formation », ajoute Anthony Jahn, étudiant en EdTech au Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), en stage d’observation au fablab.
Trouver la bonne jauge
Pour l’équipe, il s’agit dans un premier temps d’encourager la persévérance et la concentration pour les faire tenir sur la durée. « Il y a une vraie problématique autour de la motivation des jeunes et de leur croyance à pouvoir aller au bout d’une tâche ou d’un projet car ils n’en voient pas l’utilité ou la finalité. Comme un enfant qui ne voit pas l’intérêt de faire des maths, constate Stéphanie Vincent. Sachant que l’une des problématiques principales pour eux reste l’argent… »
«Pour apprendre à apprendre, il faut déjà des bases. Il faut structurer sa pensée et son travail. C’est pourquoi on essaie de les faire travailler en groupe sur des compétences socle.»
Vivien Roussel, fabmanager
D’où l’importance du parcours pédagogique et de la cohésion de groupe, pour trouver les outils et formats adaptés à ce public. « J’ai du mal à croire à tous les formats de type design thinking, affirme Vivien Roussel, par ailleurs en train de boucler son diplôme d’ingénieur pédagogique au CRI. Je conteste l’a priori cognitif qui consiste à croire qu’on est tous câblés de la même manière, qu’on va tous comprendre et conceptualiser de la même manière. Ça s’apprend. Et c’est un travail très long. »
Les sites de Lab Briq sociale et de la Fabrique numérique à Gonesse