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Thomas Landrain n’est plus président de la Paillasse

La Paillasse, 750m2 au cœur de Paris, accueille chaque année 300 événements, comme ici la 2ème Fashion Tech Week en 2015. © Makery

Trois mois que cela couvait. Le médiatique cofondateur du biohacklab parisien a démissionné, remplacé par Hacene Lahreche. Un changement de direction qui signe la fin de l’époque «bac à sable» des labs.

Difficile de faire plus discret… Thomas Landrain, l’emblématique président cofondateur de la Paillasse, le biohacklab parisien, a démissionné. C’est le « mot du président » affiché sur le nouveau site de la Paillasse et signé Hacene Lahreche, qui l’annonce : « Je lui succède à la présidence. » Huit ans que Thomas Landrain portait sa vision coopérative d’une science ouverte et d’un laboratoire citoyen, depuis les débuts dans un squat de banlieue jusqu’au déménagement de l’association à Paris intra-muros il y a trois ans. Trois mois déjà que l’affaire couve (et que Makery enquête…), mais la Paillasse comme Thomas Landrain ont joué la montre pour présenter une version apaisée de la transition.

Thomas Landrain (ici en 2016 au Fablab Festival) présidait la Paillasse depuis 2009. © Makery
Le nouveau président de la Paillasse, Hacene Lahreche. © DR

Pour Hacene Lahreche, « Thomas avait une voix unique mais chaque contributeur à la Paillasse est une figure forte, et il est toujours administrateur ». Même son de cloche du côté de Marc Fournier, actuel trésorier et autre cofondateur de la Paillasse : « J’ai travaillé pendant des années avec Thomas et sans lui, ce qu’est devenu la Paillasse n’aurait pas existé. Aujourd’hui, il est nécessaire que l’image de la communauté ressorte. » Thomas Landrain avance deux raisons à sa démission : « La première, c’est que la Paillasse arrive à fonctionner sans moi et que je ne suis pas un manager, mais plutôt un porteur de projets d’extension, de R&D et de prospective, et la deuxième, c’est que j’avais en tête de réaliser une vision qui dépasse le cadre de la Paillasse de reconnexion des espaces scientifiques. »

En février 2017, Romain Tourte, résident de la Paillasse (projet Tamata Ocean), anime un atelier pour enfants. © Makery

La fin de l’innocence des labs

Si le changement de direction est assumé de part et d’autre, il n’en est pas moins un signal fort de la fin d’une époque, celle du « bac à sable » des labs, comme le dit Thomas Landrain. La fin d’une ère d’innocence et d’émergence de ces tiers-lieux qui ont défriché de nouveaux modèles d’innovation ouverte, de coopération dans la technologie, les communautés et la science et sont aujourd’hui plus ou moins tous confrontés aux changements d’échelle. De la microcommunauté de pionniers bénévoles à l’espace de coworking ou à l’incubateur, de l’association à la start-up, de la preuve de concept (POC) au prototype jusqu’à la fabrication… les labs sont certes de plus en plus nombreux, mais ils doivent faire face aux contradictions de leur modèle économique émergent. On en veut pour preuve les réactions nombreuses à deux articles publiés récemment sur Makery, le premier sur les nouvelles orientations de la Myne, le biohacklab lyonnais, le deuxième sur le rôle des fablabs dans la transition de territoires en déshérence comme Amiens, avec la chronique de Yann Paulmier de la Machinerie.

Les biohackers du hangar

Pour comprendre la situation, un petit retour en arrière s’impose. Thomas Landrain, biologiste de formation, a cofondé La Paillasse avec une poignée de jeunes scientifiques enthousiastes, adeptes de la science et du matériel ouverts, pour faire participer les jeunes chercheurs chômeurs à des projets ambitieux et lancer une « recherche scientifique alternative ». En 2009, la Paillasse réunit une poignée de passionnés dans les locaux du /tmp/lab, pionnier des hacklabs français alors installé dans un hangar à Vitry-sur-Seine. En 2014, c’est le « saut quantique » (dixit Thomas Landrain à Makery en 2016), avec le déménagement au 226 rue Saint-Denis à Paris, sur 750m2 (dont une bonne partie en sous-sol), un loyer de 25000€ et le passage obligé à la professionnalisation. Après des années de « financement Pôle emploi », comme le dit l’un des historiques, la Paillasse emploie une dizaine de salariés depuis fin 2016.

Porte-parole du DiYbio

C’est l’époque où Thomas Landrain arpente la planète pour défendre sa vision du DiYbio, du MIT aux fabconfs et autres TED conférences. 

En 2014, au côté du père des fablabs Neil Gershenfeld :

En 2016, à la conférence du MIT The Future of People :

En 2016 toujours, en Californie pour Biohack the Planet :

Landrain est un peu l’arbre DiYbio qui cache la forêt de la communauté de la Paillasse. Les tensions en interne se font sentir. « J’ai parfois été traité d’autocrate parce qu’il a fallu prendre des décisions, reconnaît Thomas Landrain, mais il fallait cracher du fric, rémunérer des salariés, être excellent…» Pour Marc Fournier, « on vit la transition depuis trois ans, quand on est sorti du squat et que notre écosystème très divers a vécu le changement d’échelle, d’un œil pas tout le temps bienveillant ». L’homme pressé de changer la donne est certes « totalement génial » (Hacène Lahrèche), mais sa vision n’embarque pas toutes les sensibilités présentes dans la communauté.

En 2016, la Paillasse lance le challenge Epidemium, un projet de recherche ouverte en ligne sur l’épidémiologie du cancer, sur la base du bénévolat, en partenariat avec le laboratoire Roche. Un labo privé dans un fablab, le loup dans la bergerie ? Même Marc Fournier, qui aujourd’hui défend la phase 2 d’Epidemium qui vient d’être lancée, était « circonspect ». Mais comme l’écosystème des hackerpaces évolue, les entreprises privées et leur regard sur l’open innovation aussi… L’expérience, une preuve de concept pour la Paillasse, est aujourd’hui remise en selle avec une ambition plus grande encore : aller « jusqu’à la publication scientifique », défend Marc Fournier.

Cédric Villani (médaille Fields) et (au micro) Bernard Nordlinger, spécialiste en chirurgie digestive, faisaient partie du jury d’Epidemium en 2016. © CC-by-2.0 Studio Poussin

Les axes 2017 de la Paillasse

Le nouveau président, Hacene Lahreche, a lui aussi un profil scientifique (il a signé une thèse en physique et microélectronique). Arrivé à la Paillasse en tant que bénévole en septembre 2014, il a travaillé « sur le montage de projets collectifs complexes et réuni pendant toute cette période 1 million d’euros de subventions, budgets participatifs, ressources de coworking… ». A la question de l’éventuel changement d’orientation de la Paillasse, il répond : « On a ajouté au projet de labo public et culturel libriste la notion d’entrepreneuriat. »

Le changement dans la continuité ? La Paillasse compte bien poursuivre sa politique d’open résidence, premier des trois axes de développement du lab parisien. Une quinzaine de résidents, en échange d’un espace gratuit pour développer leurs projets, aussi bien scientifiques que graphiques ou technologiques, participent cinq jours par mois à des projets collaboratifs au sein du lab. Après la première édition, lancée sous la présidence de Thomas Landrain, un deuxième appel à projets sera lancé à la rentrée.

Deuxième axe, la science participative, qui s’incarne dans le challenge Epidemium. La première saison avait réuni pendant six mois seize équipes (300 personnes, un tiers d’étudiants et deux tiers de pros) pour baliser les métadonnées du cancer. Pour sa deuxième saison, ouverte le 6 juin, « les équipes se mettent en place doucement, nous avons identifié une dizaine de projets que nous voyons régulièrement lors des meetups que nous organisons », explique Olivier de Fresnoye, en charge de l’organisation. Le challenge ouvert jusqu’en décembre s’attaque cette fois au développement d’un outil prédictif sur la progression du cancer dans le temps et l’espace. Plus d’un millier de personnes se sont manifestées sur Meetup et « 130 personnes ont créé leur compte sur notre nouvelle plateforme », ajoute Olivier de Fresnoye.

Le troisième et tout nouvel axe de développement de la Paillasse nouvelle direction, c’est « l’entrepreneuriat étudiant inclusif », dit Hacene Lahreche. Le projet Reboot, pour « réinitialiser le campus » selon le président, sera lancé en octobre. Il associe cinq établissements d’enseignement supérieur franciliens (deux écoles d’ingénieurs, l’Ensiie et Télécom SudParis, les Arts déco (Ensad), l’université d’Evry (UEVE) et l’école de commerce de l’Institut Mines-Télécom Télécom Ecole de Management) et cinq « lieux inspirants » (c’est ainsi qu’ils sont décrits dans le premier communiqué de presse), dont la Paillasse, avec les incubateurs C19 et IMT Etoile, Creative Valley et le biocluster Cancer Campus). L’idée ? Soutenir et encourager des « projets portés par des jeunes avec une visée entrepreneuriale sur les sciences et technologies open source », explique Hacene Lahreche.

En attendant cette nouvelle mue, la Paillasse « est dans la continuité de la vision du MIT pour abaisser les barrières entre les corps de métiers scientifiques, assure Marc Fournier. On garde 300 événements par an (la Paillasse privatise et coopère à tout un tas de manifestations, ndlr), on continue d’être un lieu très occupé pour héberger les communautés de chercheurs (des neurosciences à l’ingénierie artificielle), à soutenir open source et open sciences. » Et puisque le changement s’opère dans la continuité, Thomas Landrain garde un pied dans la place. Son nouveau projet, une ONG internationale qu’il s’apprête à lancer fin juillet avec Olivier de Fresnoye et Mehdi Benchoufi, tous deux coordinateurs d’Epidemium, Marc Santolini, chercheur au Network Science Institute de Boston et Leo Blondel, thésard en biologie computationelle à Harvard, s’intitule JoGL (Just One Giant Lab).

Cette plateforme dont l’idée a germé au sein de la Paillasse, est partenaire d’Epidemium saison 2 – le site Epidemium s’appuie sur une infrastructure JoGL. Cet « institut de recherche en mode ouvert et distribué reprend le fonctionnement des communautés de hackers pour de l’intérêt général », explique Thomas Landrain. Et répond à l’obsession de l’ex-président de la Paillasse : « Ce n’est plus possible aujourd’hui de laisser aux dix millions de chercheurs dans le monde la totale responsabilité de faire avancer la science, il s’agit de créer une nation de chercheurs à différents niveaux pour faire avancer le schmilblick. »

En savoir plus sur la Paillasse, le challenge Epidemium et sur JoGL (mise en ligne du site jogl.io fin juillet)