Quand la hi-tech vole au secours du patrimoine
Publié le 30 mai 2017 par Cherise Fong
De la reproduction 3D à la découpe laser, enquête sur la façon dont le patrimoine se pique d’innovations numériques pour se refaire une santé.
Le patrimoine de l’humanité, ce ne sont pas que des vieilles pierres en péril. Les nouvelles technologies ont depuis longtemps permis aux sites archéologiques de retrouver une nouvelle jeunesse, les œuvres d’art historiques les plus inaccessibles sont désormais reproduites en 3D, on visite des temples interdits en VR et les musées font appel au financement participatif pour trouver de nouvelles ressources. Panorama à 360° de la hi-tech au secours du patrimoine.
Drones et modélisations 3D
En France, la start-up parisienne Iconem s’est fait une spécialité de venir en aide aux architectes et conservateurs du patrimoine en péril, notamment en Syrie (mais aussi en Afghanistan, en Irak, en Italie, en Haïti), grâce à la photographie aérienne par drone. Des algorithmes de retraitement visuel 3D travaillent ensuite les images du terrain pour des reproductions 3D enrichies par les carnets, croquis et archives.
C’est notamment le cas de la Grande Mosquée des Omeyyades à Damas, construite au VIIIème siècle et menacée par la guerre en Syrie. Iconem l’a reconstituée en 3D et le ministère de la Culture français a mis en place un site d’information avec maquettes 3D, sur lequel les internautes sont conviés à participer, soit en faisant un microdon pour la protection du patrimoine du Proche-Orient, soit en « partageant leurs photos sur les sites menacés et attaqués » pour aider à la « conception de modèles 3D de sites aujourd’hui détruits ».
La Grande Mosquée des Omeyyades de Damas, Syrie (Iconem, 2016):
Partout dans le monde, des entreprises hi-tech se mettent au service du patrimoine, comme en Grande-Bretagne l’entreprise Heritage Technology, ou en Espagne, le studio madrilène Factum Arte, qui produit des copies des grandes œuvres d’art plus vraies que nature… Une manière de les rendre plus accessibles au public, et donc potentiellement plus émouvantes, estime son artiste fondateur Adam Lowe.
Le projet international ScanPyramids, conçu et coordonné par l’institut français Heritage Innovation Preservation depuis 2015 (on vous en parlait ici), utilise, en plus de la photogrammétrie par drones et d’une dizaine de lasers qui scannent les fameux monuments de Dahchour et Gizeh en Egypte, la thermographie à l’infrarouge et une radiographie à base de muons, ces particules lourdes de rayons cosmiques dont les positions indiquent les écarts de densité. L’université de Nagoya au Japon contribue à la mission grâce à cette technique préalablement utilisée pour sonder la centrale de Fukushima.
Les premières découvertes de la mission ScanPyramids (oct. 2016):
Plus vraies que nature
La muséographie a elle aussi bénéficié des dernières avancées numériques. Ainsi de la grotte Chauvet, dont le fac-similé réalisé à partir d’un modèle de la cavité préhistorique originale en 16 milliards de points, est ouvert depuis 2015. Au Japon, le site historique de Gunkanjima rendu célèbre par l’Unesco et par James Bond au large de Nagasaki, a son propre musée virtuel hébergé dans un bâtiment dédié face à l’« île cuirassé ». On peut y visiter l’ancienne île minière grâce à des images haute-définition capturées par un drone superposées au rendu 3D de l’île, et opérer une descente virtuelle verticale dans le puits de mine de plus de 1km.
Immersion et réalisme des réalisations sont deux ingrédients indispensables à un patrimoine augmenté réussi. Dans la capitale culturelle de l’archipel japonais, Kyoto, après Bits of Kyoto Gardens, qui présentait en 2016 des films immersifs réalisés en collaboration avec le département d’architecture d’ETH Zürich, reconstitution des espaces physiques de jardins et bâtiments anciens enregistrés et scannés en 3D, c’est la réalité virtuelle (VR) version HTC Vive qui prend le relais grâce à la société Kyoto VR. Préserver et démocratiser l’accès au patrimoine kyotoïte, notamment les maisons traditionnelles en bois en voie de disparition, les machiya, c’est l’attrait principal que met en avant Kyoto VR, cofondée par deux Américains en juin 2016, l’entrepreneur Atticus Sims et le réalisateur de cinéma Alessandro de Bellegarde.
Comment Kyoto VR modélise le patrimoine:
Ouverture au public (par ici la monnaie)
Dernière veine techno des musées et conservateurs du patrimoine, l’appel aux dons et à la participation citoyenne. A Paris jusqu’au 15 juillet 2017, le musée du Quai Branly lance sa première campagne de mécénat participatif pour financer la réfection du jardin suspendu à deux pas de la Tour Eiffel. Son double virtuel est un mur végétal qui verdit au fur et à mesure que la campagne fait le plein.
Plus originale est la technique du prêtre bouddhiste Gyosen Asakura. Ce cinquantenaire a eu l’idée de raviver sa passion de jeunesse, la musique techno, au service de son temple situé dans la ville de Fukui, à l’ouest du Japon, en faisant lui-même le DJ. Depuis 2016, en mai et en octobre, c’est la fête (ou le service) au temple Sho-onji : projections vidéo en mapping 3D, éclairage psychédélique, récitation à la fois rythmée et monotone des sutras. Sa campagne de financement participatif lui a permis de réunir 398000¥ (environ 3200€), soit 98000¥ de plus que son but initial.
Plus expérimental, la petite ville de Hirosaki au nord de l’archipel, invite les gens à faire des dons en bitcoin, en partenariat avec Coincheck, pour l’entretien des 2600 cerisiers et de la muraille qui entourent son château. Début mai, une centaine de personnes avaient contribué pour environ 2000€ (selon le Japan Times, il en coûte chaque année 900000€ d’entretien et réparations).
A l’autre bout de l’archipel, dans le Kyushu, le château de Kumamoto qui avait été gravement endommagé par le dernier tremblement de terre en 2016, a trouvé une autre solution, à base de découpe laser. Toutes les ventes de la reproduction miniature en carton du château sont utilisées pour réparer le château grandeur nature.
La campagne pour construire son château de Kumamoto miniature: