Graphène, le matériau du futur qui se fait désirer
Publié le 2 mai 2017 par Nicolas Barrial
Aussi épais qu’un atome, plus résistant que l’acier, et le meilleur conducteur connu, le graphène est une révolution. Mais les brevets s’empilent, les protos aussi, et on s’impatiente de le voir arriver dans notre quotidien.
Le graphène, ou plutôt la feuille de graphène, est composée d’atomes de carbone organisés en nids d’abeilles. Une régularité qui en font un cristal si fin qu’on le dit bidimensionnel ou 2D. La feuille de graphène est un million de fois plus fine qu’un cheveu, soit l’épaisseur d’un atome. Très flexible, le graphène n’en est pas moins deux cents fois plus résistant que l’acier. Mais c’est sa conductibilité qui laisse pantois. C’est simple, les électrons y circulent comme s’ils n’avaient pas de masse, soit soixante-dix fois plus vite que dans le silicium.
Rien qu’on ne puisse résoudre avec du ruban adhésif
La structure cristal du graphène a été théorisée depuis longtemps, mais ce n’est qu’en 2004, à l’université de Manchester, que deux physiciens d’origine russe, Andre Geim et Konstantin Novoselov, ont obtenu une feuille de graphène en exfoliant du graphite (la pointe de nos crayons à papier) avec… du ruban adhésif. Ce qui leur vaudra un prix Nobel en 2010.
Le graphène est perçu comme un dopant pour la technologie : transistors plus petits, écrans plus souples, Internet cent fois plus rapide qu’avec la fibre, avions et véhicules plus légers, batteries longue durée, cellules photovoltaïques à charge rapide, etc.
Entre 2011 et 2013, près de 1500 brevets ont été déposés, chinois pour les trois quarts. Piquée au vif, la Commission européenne a lancé en 2015 le projet Graphene Flagship. Doté d’un milliard d’euros sur dix ans, il réunit 23 pays, dont la Grande-Bretagne d’avant Brexit qui offre à l’université de Manchester un National Graphene Institute à 63 millions de livres (75 millions d’euros).
La recherche sur le graphène à l’université de Manchester (en anglais):
Le 3 avril dernier, des chercheurs de l’université de Manchester, justement, publiaient leurs recherches dans la revue Nature Nanotechnology pour présenter le potentiel du graphène dans la désalinisation de l’eau de mer. Il s’agissait en l’occurrence d’oxyde de graphite, plus simple à obtenir que le graphène, mais qui présente des impuretés et défauts structurels. En effet, les laboratoires isolent péniblement par exfoliation un demi-gramme de graphène pur par heure.
100€ le gramme
L’industrie a toutefois accéléré le processus grâce au dépôt chimique en phase vapeur (ou CVD), où la décomposition d’un gaz carboné sur métal chauffé laisse une couche de graphène en dépôt. Bien qu’une étude annonce une production de 3800 tonnes en 2027, seulement 60 tonnes ont trouvé preneur en 2015, soit 25% de la production mondiale. Le prix de 100€ le gramme environ n’est pas en cause, ce sont les débouchés qui se font attendre.
Mais une demande forte pourrait aussi avoir des effets pervers : le graphite naturel est abondant et les économies d’échelle réalisées sur la production pourraient faire plonger rapidement le prix du graphène. Les investisseurs, frileux, obligent les entreprises à se diversifier. Le temps, par exemple, que la recherche tempère la conductivité inarrêtable du graphène. En effet, le silicium, que le graphène est censé remplacer, conserve un avantage : c’est un semi-conducteur qui stoppe l’électricité en dessous d’un certain seuil, soit la définition d’un transistor.
La conductivité du graphène, expliquée par le site Tout est quantique:
Peu de produits et beaucoup de protos
On trouve tout de même déjà quelques produits à base de graphène sur le marché, comme une encre conductrice, un sac et sa batterie flexible pour portable, des écouteurs à l’électronique en graphène ou encore des raquettes de tennis. Les batteries graphène sont désormais courantes pour alimenter les drones.
Pour le reste, on patiente avec des protos de plus en plus concrets, comme ces objets imprimés à base de graphène, dix fois plus résistants que l’acier, présentés par le MIT le 6 janvier dernier.
Démonstration par le MIT de l’impression 3D à base de graphène (en anglais):
En mars dernier, des prothèses rechargeables à l’énergie solaire grâce à leur peau en graphène faisaient la fierté de l’université de Glasgow. Un an plus tôt, on vous parlait de l’aérogel de graphène, cette matière imprimable plus légère que l’air découverte par les universités du Kansas et de l’état de New York à Buffalo. En août 2016, des chercheurs néerlandais évoquent des « pixels mécaniques » dans une publication scientifique : une symphonie de couleurs obtenue par pression sur du graphène recouvert d’oxyde de silicone.
Les industriels ne sont pas en reste. En septembre 2016, échaudé par les affaires de batteries explosives, Apple déposait un brevet de dissipateur thermique en graphène.
Et les fablabs dans tout ça?
Trop cher pour l’expérimentation collective, le graphène ? Si le prix des feuilles de graphène reste élevé, la poudre d’oxyde de graphite, qui permet de fabriquer par exemple du papier ou de l’encre conductrice, est plus abordable. A moins d’isoler le graphène soi-même, comme dans ce projet (en cours) déposé à l’Electrolab de Nanterre et intitulé « Reproduire la synthèse de couches minces de graphène par exfoliation laser d’oxyde de graphite en utilisant un graveur DVD type LightScribe ». Un prix Nobel en perspective ?
En savoir plus sur le projet européen Graphene Flagship