L’encéphalophone, la petite musique qui vient du cerveau
Publié le 18 avril 2017 par Nicolas Barrial
Un neuroscientifique de l’université de Washington a conçu un instrument qui se joue avec le cerveau. On a demandé à un spécialiste de la captation électroencéphalographique (EEG) son avis sur ce projet aux visées thérapeutiques encore floues.
En octobre 2016 à Seattle, le festival art et technologie 9e2 offrait un étrange concert. Le public avait rendez-vous dans la gare historique de King Street, connue pour sa programmation jazz. Sur la scène, un quartet entourait un homme relaxé dans un fauteuil, coiffé d’un bonnet d’où s’échappaient des câbles. L’homme en question, le neuroscientifique Thomas Deuel, s’apprêtait à faire la démonstration d’un instrument qui se joue avec la pensée.
Encephalophone, extrait d’un concert à Seattle, octobre 2016:
Un lab «neurologie et musique» au DXARTS
L’instrument de la famille des encéphalophones est né en 2016 au DXARTS, un centre en arts numériques et médias expérimentaux de l’université de Washington, que Thomas Deuel, neuroscientifique suédois passionné d’études musicales, a rejoint à sa création en 2001. Le projet du chercheur : fonder un lab pour étudier le cerveau du musicien lorsqu’il joue.
En 2016, avec le concours d’un compositeur et d’un ingénieur, Thomas Deuel crée l’encéphalophone, qui convertit l’activité électrique du cerveau en musique via des électrodes (électroencéphalographie, EEG) et un synthétiseur. L’encéphalophone peut ainsi produire le son de différents instruments et, avec un peu de pratique, le sujet est en mesure de moduler la musique par la concentration.
Au-delà de la pratique instrumentale par le cerveau, Thomas Deuel estime que la maîtrise des motifs cérébraux pourrait devenir un outil de rééducation des victimes d’AVC ou des personnes atteintes de la maladie de Charcot. Deux indices à cette hypothèse. Lorsque des musiciens jouent, le niveau d’ondes d’alpha qu’ils émettent est très haut. Ces mêmes ondes ont prouvé leurs bienfaits sur les symptômes de la dépression et de l’épilepsie. Et lorsqu’un individu, même handicapé, pense à bouger un bras, on retrouve trace de cette activité dans son cerveau.
Thomas Deuel a pu tester l’encéphalophone avec Margaret Haney, une directrice de chorale qui a perdu son aptitude à la musique (amusie) suite à une infection virale du cerveau. Cependant Margaret Haney était sous traitement et il est impossible d’établir la part de l’encéphalophone dans son rétablissement partiel. Seuls des essais cliniques autorisés par l’université pourraient apporter des réponses. En attendant, Thomas Deuel s’entraîne, car l’encéphalophone, comme tout instrument, demande à être maîtrisé.
L’avis d’un spécialiste d’EEG
Gille de Bast, designer d’expériences et collaborateur de Makery, est grand consommateur d’EEG pour ses projets, qu’il s’agisse de pratiquer le foot par la pensée ou de faire léviter des objets (comme des saucissons) par la concentration avec la lévitation électrostatique.
Premier constat du spécialiste : l’encéphalophone de Thomas Deuel n’a rien d’unique, son origine remonterait même au début des années 1940 selon la page Wikipédia qui lui est consacrée. Dès 2007, la Canadienne Ariel Garten intervenait en concert avec son système Muse, aujourd’hui plutôt dédié à la méditation. Une marque de vodka a sponsorisé un autre projet musical, Mindtunes, pour personnes handicapées moteur, en 2013.
«A Track Created Only by the Mind», Mindtunes (en anglais):
Comme « l’activité électrique du cerveau est très faible, explique Gille de Bast, elle doit être amplifiée et filtrée pour arriver la plus claire possible sur le logiciel qui va la traduire. » L’encéphalophone de l’université de Washington utilise Matlab pour traiter les données (filtrage, fréquence et analyse du signal) tandis que la musique est créée avec le logiciel Max MSP via des commandes Open Sound Control.
Gille de Bast, qui a conduit des recherches en 2016 pour un trio de musiciens EEG, explique que « cela commence par des notes dissonantes, puis les personnes entrent en relation avec la musique qu’ils créent. Ils semblent développer leur propre style de musique mentale ». Si ce projet porté par un neuroscientifique est intéressant, le recours à un casque « grand public » limite selon lui la concordance entre note et motif cérébral (ondes Mu ou Alpha). Un simple mouvement de bras peut même modifier la note que l’on souhaitait émettre.
En savoir plus sur l’encéphalophone de Thomas Deuel