L’artiste-chercheur Benjamin Pothier a participé en février 2017 à une expédition géologique et glaciologique dans le désert chilien, dans des conditions analogues à Mars. Journal de bord pour Makery.
Le Français Benjamin Pothier, artiste-chercheur à l’université de Plymouth en Angleterre, a le goût des missions d’exploration dans des conditions extrêmes. Engagé dans un doctorat sur les tribus des zones du cercle arctique et subarctique au Planetary Collegium de Roy Ascott, il a entre autres navigué sur un bateau jusqu’à 20° du pôle Nord au Svalbard, séjourné pendant la nuit polaire dans une station de recherche en Laponie, préparé une expédition sur le camp de base de l’Everest pour l’artiste astronaute Sarah Jane Pell, ou encore accompagné en mai-juin 2016 la glaciologue Ulyana Horodyskyj pour étudier la fonte du Ngozumpa, le plus long glacier de l’Himalaya, situé à 5500m à la frontière du Tibet et du Népal. Cette expérience lui a valu d’être sélectionné pour l’expédition M.A.A.R.S (Mars Atacama Research & Simulation) Analog dans le désert d’Atacama au Chili. Première partie de son journal de bord pour Makery.
Une équipe internationale dans le désert
« C’est notre première nuit en bivouac dans le désert d’Atacama. Nous avons d’abord passé deux nuits dans la ville minière de Copiapó pour les dernières préparations logistiques, après un long périple vers le nord depuis Santiago du Chili. L’entrée dans le désert a été impressionnante. Au fur et à mesure que nos trois 4X4, chargés en réserves d’eau, de nourriture et de carburant pour quinze jours, s’éloignaient de Copiapó par la ruta del desierto, nous avons pu observer comment les habitations humaines et l’architecture périurbaine de la ville laissaient la place à un paysage de montagnes et de rares cabanes. Pendant que je regardais ces constructions précaires à l’entrée du désert, la plupart en bois, certaines troglodytes, nos guides argentins tentaient de faire comprendre une blague locale dont la chute disait en substance : “Viens, je fais une fête ce week-end, j’ai une maison de campagne dans l’Atacama.”
« L’équipe internationale de neuf personnes est à la fois diversifiée et homogène. Elle s’engage pour deux semaines de vie commune et en quasi-autonomie dans le désert le plus aride au monde. On y retrouve Ulyana Horodyskyj, l’Américaine géologue que j’ai accompagnée au Népal et qui cette fois est candidate astronaute d’un programme commercial. Ulyana a commandé en 2016 la mission Hera, une expérience analogue d’isolement et de simulation de la Nasa. Casey Stedman, autre Américain candidat astronaute du même programme, est pilote de l’Air Force et a participé, comme Cyprien Verseux, à une mission analogue de Mars à Hawaï. Il revient tout juste d’Irak. L’équipe est complétée par Jason Reimuller et Chris Lundeen, directeur et chef logisticien de ce programme d’entraînement commercial, de nos deux guides de montagne argentins, d’Etsuko Shimabukuro, une Japonaise sélectionnée pour le programme sans retour Mars One qui se prépare à partir sur Mars dans les dix années à venir, de Thomas Edunk, un alpiniste chevronné américain, et de moi-même, artiste-chercheur réalisateur et explorateur français.
«Ce plateau désertique et volcanique est véritablement un endroit “hors de ce monde”.»
Benjamin Pothier
« Tous ensemble, nous participons à une expédition organisée conjointement par les initiatives de science citoyenne Science in the Wild et Possum, un programme d’entraînement d’astronautes. Le but principal est la découverte et la connaissance d’un environnement similaire à la Lune et à Mars pour candidats astronautes. Le désert d’Atacama présente une des plus faibles activités organiques de la Terre et c’est la région que la Nasa a choisie pour tester ses rovers martiens (Curiosity, comme le prochain). Alors que j’essayais de trouver la meilleure manière de porter le masque chirurgical que j’avais apporté pour me protéger de la poussière pendant le périple, assis à l’arrière du 4×4 avec tous mes équipements de prise de vue, je me disais que ce plateau désertique et volcanique est véritablement un endroit “hors de ce monde”.
Explorateurs et candidats astronautes
« Si je suis là, c’est un peu grâce à Ulyana Horodyskyj, la chercheuse en glaciologie et candidate astronaute que j’ai déjà accompagnée dans l’Himalaya. J’apprends aussi à connaître les autres membres de l’équipe. Casey Stedman, le deuxième candidat astronaute, semble doté d’une gentillesse inébranlable et d’un calme imperturbable. Jason Reimuller et Chris Lundeen, les logisticiens du programme Possum, montrent très vite grand professionnalisme et esprit potache. Etsuko Shimabukuro a une certaine classe et son maintien est presque immémorial. Thomas Edunk est doté d’un bon franc-parler. Il vient d’accompagner Ulyana lors d’une ascension en Argentine et a décidé d’allonger son périple de quelques semaines. Je découvre aussi que Leandro et Sebastian, nos deux guides, sont fans de heavy metal.
« Cette première journée est le moment de nous adapter à cet environnement assez hostile : nous devons nous protéger du sable, de la poussière, de la chaleur mais également des rayonnements UV. La quantité de rayonnements UV reçus augmente d’environ 10% tous les 700m. A 1500m, le rayonnement est 20% plus important qu’au niveau de la mer, et nous prévoyons d’aller jusqu’à 6893m. Très rapidement nous devrons faire face à la haute, puis très haute, altitude. Notre périple prévoit en effet pour certains une ascension de l’Ojos del Salado, le plus haut volcan en activité au monde qui culmine à 6893m. Je suis bien content d’avoir acheté avant de partir un Camelback de 2 litres qui me permettra de m’hydrater correctement et facilement pendant les treks. Comme le remarque Casey : “J’ai fait de l’alpinisme et travaillé dans le désert, mais c’est la première fois que je dois emporter tous mes équipements en même temps.” Pour ma part, j’abandonne rapidement le masque chirurgical en tissu pour le port de la cagoule et d’une casquette.
Mal des montagnes
« En plus des difficultés propres au désert (poussière et sable, températures extrêmes à -5°C la nuit minimum et jusqu’à 40°C et plus la journée), nous allons être exposés à de la très haute altitude. Comme je l’avais fait pour ma préparation au trek du camp de base de l’Everest et pour mon expédition dans l’Himalaya népalais en 2016, j’ai préparé en amont l’expédition avec, en plus de l’entraînement physique, une visite médicale auprès d’un médecin français expert du mal des montagnes et de la performance en très haute altitude. J’ai notamment effectué un test à l’effort en hypoxie (quantité d’oxygène insuffisante pour l’effort demandé), ce qui m’a amené à faire virtuellement du vélo au sommet du mont Blanc…
« Hier nous étions à Copiapó qui se trouve à 390m d’altitude et ce soir, nous allons bivouaquer à 3000m.
Glace noire
« Aujourd’hui nous débutons les tests de terrain (géologie, météorologie, astrobiologie et hydrologie). Comme nous l’indique Ulyana, dans le cadre d’une exploration martienne, une grande partie des tests serait réalisée au retour dans la station/habitat. Ulyana prévoit de rapporter des échantillons de neige et de glace de l’Ojos del Salado pour continuer son étude de la “black ice”, ce phénomène qui rend les glaciers et montagnes plus noirs du fait des dépôts de particules lourdes dans l’atmosphère et accélère la fonte de leurs réserves d’eau à cause de la réfraction de la lumière du soleil.
« Les candidats astronautes sont là avec plusieurs objectifs : s’endurcir physiquement, s’adapter à la très haute altitude, avoir une connaissance de première main d’un environnement géologique proche de ceux qu’ils pourront trouver sur Mars ou la Lune, être formés à l’étude des échantillons de sol, et s’appuyer sur cette expérience de terrain pour contribuer au design des prochaines combinaisons d’astronautes. Encore une nuit ici et nous continuons notre périple.
A suivre, la deuxième partie du journal de bord de Benjamin Pothier sur l’expédition Mars Analog à plus de 5000m