Makery

Résistance hacktive à l’Internet Freedom Festival 2017

L'Internet Freedom Festival se tenait dans l'espace «mutant d'innovation et de création» Las Naves, près du port, à Valence, en Espagne. © Benjamin Cadon

Benjamin Cadon (Labomedia) était à l’Internet Freedom Festival, convergence internationale des luttes hacktivistes à Valence, en Espagne, du 6 au 10 mars. Pour Makery, il restitue les tendances 2017 en matière de défense des libertés numériques.

Valence (Espagne), correspondance

Plus de 1200 personnes venues de 114 pays se sont retrouvées pour la troisième édition de l’Internet Freedom Festival à Valence en Espagne, du 6 au 10 mars, pour partager expériences, techniques et outils contribuant à une plus grande liberté d’expression et d’information, un meilleur respect des différences et du principe d’égalité. Avec une belle place aux questions de genre et d’inégalités homme-femme, aussi bien côté participants que côté sujets issus des « pays du Sud ». Tour d’horizon des quelque 200 activités qui se sont déroulées à Las Naves, un espace de coworking dans le combatif quartier du Cabanyal, près du port. Mot d’ordre accepté par tous : no photo !

Les statistiques de l’Internet Freedom Festival édition 2017. © CC

Dans la boîte à outils contre la surveillance

Bon nombre de projets permettant de se prémunir de la surveillance ou de contourner la censure faisaient l’objet d’ateliers à l’IFF, comme la toute fraîche initiative Autocrypt qui permet au commun des mortels de chiffrer très facilement ses mails et de les rendre ainsi illisibles à des yeux indiscrets.

Le projet Leap présentait les dernières avancées de Bitmask, un outil qui facilite l’usage d’un VPN (réseau privé entre son ordinateur et un serveur comme celui de la plateforme RiseUP dédiée aux activistes), et propose une nouvelle solution de courriels également chiffrés. Dans le registre des systèmes d’exploitation utiles aux activistes, la distribution amnésique Tails évolue pour plus d’accessibilité et pour préserver au mieux la vie privée et l’anonymat des utilisateurs en faisant transiter les connexions réseau via le réseau Tor. Qube OS facilite le fait de cloisonner ses différentes identités numériques à l’intérieur d’autant de machines virtuelles pour ne pas mettre tous ses octets dans le même panier.

Mon ombre numérique et moi

L’atelier de Tactical Tech autour du projet Mon ombre et moi consistait à savoir divulguer et expliquer des concepts autour de la défense de la vie privée de façon simple et didactique. Un projet pensé pour vous aider à comprendre et contrôler vos traces numériques, savoir de quelle manière vous êtes pistés par l’industrie des données (les data brokers). Sur le site, on trouve de quoi se former mais aussi de quoi convaincre ses proches de prendre en considération ces questions, la défense de la vie privée n’étant pas une pratique individuelle mais collective et coopérative.

La version française de «Mon ombre et moi» de Tactical Tech (capture écran). © Tactical Tech

Une approche holistique de la sécurité

Dans un contexte de surveillance généralisée, le militantisme devient de plus en plus risqué, particulièrement dans des pays où des régimes répressifs sévissent mais aussi à l’échelle mondiale du fait de l’action néfaste d’individus ou de groupes plus ou moins formels. Il faut donc s’outiller et élaborer des modèles de risques qui prennent en compte le contexte des personnes qui les subissent et peuvent être révisés dans le temps. L’aspect holistique découle d’une triple approche promue par un groupe international de security trainers qui viennent de sortir un guide sur le sujet : considérer la sécurité « dure » (à commencer par son intégrité physique et celle de ses appareils), la protection contre les menaces au bien-être psychosocial, et enfin la sécurité informatique des pratiques numériques personnelles de production de contenus et de communication.

Les trois dimensions de la sécurité holistique: numérique, psychosociale et physique (capture écran). © CC

Contre les violences de genre

La participation des femmes, personnes trans et autres identités de genre est passée de 48% à 52% cette année à l’IFF. Une situation peu commune en partie due à la volonté des organisateurs de rendre visible le travail opéré par les cyberféministes dans la défense des droits humains et des libertés du Net. Pour l’activiste Spideralex, « la multiplication des risques et attaques utilisant les technologies d’information et communication pour contrôler, surveiller et censurer les femmes et les LGBTIQ sur Internet s’est aussi traduite dans une effervescence des réseaux travaillant vers la dénonciation de ces nouvelles formes de violence ainsi que la création de processus pour assurer leur sécurité en ligne et hors ligne ».

Pour parvenir à cette forte présence, en amont du festival, une charte de bonnes pratiques et de soins et la possibilité de dénoncer des situations de sexisme et de harcèlement avaient donné le ton. L’IFF a aussi appliqué le principe de parité pour les « IFF fellowships » (les personnes qui sélectionnent les propositions) et les bourses de voyage. D’autres activités du festival ont gravité autour des « alliés » permettant à tout un chacun d’améliorer sa capacité à créer des espaces sûrs et inclusifs dans les milieux technologiques.

Le 8 mars des cyberfemmes

L’IFF a célébré le 8 mars la Journée internationale des droits des femmes en montrant leurs contributions au développement des technologies et à la défense des libertés sur Internet. Citons l’Association for Progressive Communication qui coordonne depuis dix ans les campagnes Take Back the Tech contre les violences de genre utilisant des TIC. Ses membres ont aussi testé leur programme de formation pour la plateforme Feminist Technology Exchange, développée en coopération avec des collectifs féministes comme Luchadoras au Mexique, qui développent des programmes de TV online, des ateliers d’autodéfense et de storytelling.

« Concernant les initiatives qui se dédient à contrecarrer les attaques de trolls machistes, explique Spideralex, Alerta Machitroll de la fondation colombienne Karisma vient de lancer un programme humoristique en dix étapes pour que les trolls puissent se transformer. Le Gender and Technology Institute de l’ONG Tactical Tech et le Commlabs de l’Astraea Lesbian Foundation for Justice sont orientés vers les femmes activistes ou les communautés LGBTIQ dans les continents asiatique, africain et latino-américain et cherchent à les former sur la défense de la vie privée, la sécurité digitale et holistique ainsi que sur une utilisation plus tactique des TIC pour faire avancer leurs luttes et réduire les risques qu’elles affrontent. »

«Décalogue pour contenir le machitroll en toi», Alerte Machitroll, fondation Karisma:

Théâtre multimédia contre la corruption

Il y avait aussi des activités culturelles à l’IFF, comme la pièce Deviens un banquier, mise en scène par Simona Levi et Xnet. Ce collectif qui a notamment lancé le Free Culture Forum a dynamisé les processus créatifs et participatifs pour que les citoyens puissent dénoncer la corruption et mettre en prison les responsables de la crise financière au cours du mouvement espagnol du 15M (le mouvement des Indignés). Xnet avait lancé en 2012 un crowdfunding pour amener Rodrigo Rato devant les tribunaux espagnols, cet ancien directeur du FMI devenu à son retour en Espagne, directeur de la Caja de Madrid, banque affublée de missions de service public (à l’instar de nos Caisses d’épargne) et responsable à elle seule d’une grosse partie des pertes nationales consécutives à la crise financière de 2008. Le collectif a ensuite ouvert une plateforme de « leaks » destinée aux lanceurs d’alertes pour collecter des preuves et reçu 8000 e-mails échangés au sein du directoire de la banque, détaillant tous les abus de biens sociaux et détournements d’argent public. Une nouvelle action en justice a condamné en première instance certains à de la prison ferme. La pièce de théâtre mêlait animations vidéos didactiques et dialogues issus des mails pour retracer ce scandale public qui ne semble malheureusement pas spécifique à l’Espagne.

Dans la pièce «Deviens un banquier», tout ce qu’ils voulaient vous cacher. © Xnet

Le site de l’Internet Freedom Festival

Benjamin Cadon est membre fondateur du collectif orléanais Labomedia et s’est fait aider pour ce compte-rendu par Alex Haché du collectif international Tactical Tech