David Rochelet, passé par l’Electrolab de Nanterre, a fondé au Cameroun le Doualab. Première chronique de cet ingénieur français convaincu que l’Afrique pourrait devenir le plus grand makerspace du monde.
Douala, correspondance
La vie est faite de choix. Je m’appelle David, j’ai 31 ans et je vis au Cameroun, un pays dans lequel je n’aurais jamais pensé travailler et que je n’aurais même jamais rêvé visiter un jour.
Le premier choix, difficile comme tous les choix, j’ai eu à le faire une fois mon bac S en poche. Mes résultats me prédestinaient tout naturellement à la classe préparatoire pour intégrer une grande école d’ingénieurs. Mais j’ai fait la connaissance d’un professeur de BTS pas comme les autres, passionné, engagé, et surtout habile bricoleur, qui avait conçu une bonne partie des maquettes présentes dans sa salle de TP. Cette rencontre fut décisive : je rendis mon dossier d’admission et m’inscrivis en BTS. Quelques mois plus tard je me retrouvais, par l’intermédiaire de ce même professeur, inscrit à l’aéroclub local de Clermont-Ferrand pour participer à la construction d’un avion, un beau petit Jodel D113 dont le ponçage de la carlingue me prit plusieurs jours.
C’est à cette époque, au milieu des outils, des bruits de l’atelier, des anciens de l’armée parlant technique de 7h à 20h, que je compris que ce qui me plaisait, c’était de faire les choses, de les voir naître de mes mains, pas d’en parler pendant des années sans rien faire.
Ce petit aéroclub, j’y passais deux ans avant de devoir le quitter, tristement, pour m’en aller continuer mes études dans l’Yonne où, bien évidemment, je choisis une école par alternance afin de passer un maximum de temps au contact des machines du Centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Belleville-sur-Loire, cathédrale de la technologie dont j’étudiais chaque recoin avec passion pendant trois ans. Circuit vapeur, génie civil, groupes Diesel, alternateur… tous ces éléments savamment assemblés pour produire le courant électrique m’intriguaient. Lors de mes loisirs, outre le sport, je commençais à devenir plutôt doué avec les ordinateurs, notamment sous Linux.
Mon diplôme d’ingénieur en poche, me voilà dans une autre entreprise en Ile-de-France, mais très souvent en vadrouille dans divers centres de contrôle aérien européens. Les machines m’attiraient, devoir improviser pour que les formations se passent bien en mettant en place des configurations from scratch me plaisait bien plus que les longues séances de rédaction des rapports nécessaires au bon fonctionnement du projet. J’apprenais sur le tas, je découvrais un tas de nouveaux domaines passionnants et petit à petit je me faisais une place dans le monde de la logistique et de l’informatique.
De Linux à Emmabuntüs
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le fondateur du projet Emmabuntüs, lequel vise à créer une distribution Linux pour aider au reconditionnement d’ordinateurs par les bénévoles d’Emmaüs. De là à construire des ordinateurs dans des jerrycans, but du projet Jerry, il n’y eut qu’un pas et ce fut pour moi la découverte des Jerry clans en Afrique, petites communautés de makers recyclant des ordinateurs pour lutter contre la fracture numérique.
A cette période commença également pour moi la grande aventure des hackerspaces avec mon arrivée à l’Electrolab de Nanterre. A l’époque, il s’agissait d’un petit local d’une centaine de mètres carrés que nous aménageâmes à grands coups de week-ends de travaux et de récupération de matériels. J’y passais littéralement ma vie, tout mon temps en dehors du travail. Ce lieu me passionnait, m’attirait, me faisait grandir au fur et à mesure que nous le rendions plus beau. Aujourd’hui, c’est un local de 1500m2 hébergeant 200 membres avec des projets dans une dizaine de domaines différents. Il y a même des start-ups installées.
Et puis au bout de quatre ans, en 2015, suite à un voyage à Liège au Forum de la francophonie, ma décision fut vite prise : après quelques voyages en Mauritanie et à Douala au Cameroun, j’ai fait ma valise pour rejoindre mon épouse et fonder une entreprise de conseil. Et, bien sûr, tenter d’implanter un hackerspace, le Doualab (Laboratoire numérique de Douala), que j’ai fondé en février 2016.
Et voilà que depuis bientôt un an je découvre ce pays, ses entrepreneurs, ses défis, ses habitants pleins de projets même si souvent peu optimistes sur la situation à court terme. C’est la raison de cette chronique : donner à cet écosystème de la « tech » et des makers en Afrique centrale toute sa place sur la scène mondiale, faire découvrir toutes ces initiatives avec des gens qui se battent chaque jour pour réussir à les faire fonctionner de manière pérenne. Mais aussi tout ce potentiel qui pourrait bien faire de l’Afrique demain le plus grand makerspace du monde.