Au Mirage festival, on a touché du doigt le virtuel
Publié le 14 mars 2017 par Annick Rivoire
Immersion, expérimentations, discussions et questions. Le cocktail art, innovation et numérique du Mirage festival, qui a tenu sa 5ème édition du 8 au 12 mars à Lyon, a attiré 8500 visiteurs.
Lyon, envoyée spéciale
«Pensez-vous qu’on doive encore se reproduire ? » On n’avait pas imaginé, en acceptant l’invitation à participer à la conférence inaugurale du Mirage festival « Imaginons le futur aujourd’hui », que les débats avec la salle iraient jusque-là ! Jeudi 9 mars, au Pôle Pixel de Villeurbanne, l’un des QG du festival d’art et d’innovation numérique lyonnais, quelque 70 personnes étaient venues assister à cette conférence destinée à « renouveler les imaginaires » et « aider à nous repérer et agir dans un avenir imminent ».
En tant que rédactrice en chef de Makery (partenaire de l’événement), j’y participais aux côtés de Blaise Mao, rédacteur en chef adjoint du magazine Usbek & Rica, de Céline Berthoumieux, directrice de l’association Zinc arts et cultures numériques à Marseille, et de Pierre Houssais, le « technocrate de la bande » avait-il plaisanté en introduction, directeur prospective et dialogue public à Grand Lyon la Métropole. Pendant deux heures, le débat modéré par l’ancien directeur de la Gaîté lyrique Jérôme Delormas a brassé les alternatives aux Gafa, les réponses citoyennes à l’inertie politique, l’énergie du mouvement des fablabs, les « signes faibles » issus des réseaux pour lutter contre le réchauffement climatique, notre « devenir-chiffre » (des big datas aux algorithmes en passant par l’Internet des objets).
Ont été évoqués la flotte utopique de ballons zéro carbone de Tomás Saraceno ainsi que le Manifeste additiviste de Morehshin Allahyari et Daniel Rourke de 2015 en écho au Manifeste français du Web indé de 1997 (ça c’est côté Makery). Blaise Mao mentionnait les technocritiques Christian Godin, auteur de La Fin de l’humanité, et Jean-Pierre Dupuy, auteur de Pour un catastrophisme éclairé, Céline Berthoumieux rappelait l’urgence d’établir une forme d’égalité de genres, et le prospectiviste Pierre Houssais portait un regard anthropologique sur l’inertie face au changement.
Petits studios et gros producteurs d’art numérique
Le Mirage festival, qui a proposé à 8500 spectateurs sa 5ème édition à Lyon et Villeurbanne du 8 au 12 mars, est une jeune manifestation, qui fédère un public jeune lui aussi, autour de trois axes. Le Mirage Open Creative Forum, au Pôle Pixel de Villeurbanne (complexe de studios de tournage, d’école de cinéma et où se trouve l’usine collaborative Youfactory), est l’espace des conférences, des workshops et « talks » intimistes et pointus (présentation de studios comme Chevalvert, d’initiatives éditoriales et créatives comme Holo Magazine, dont les quatre membres fondateurs sont à Toronto, Berlin et Londres, ou encore de Fiber, producteur néerlandais d’installations cinétiques et du festival du même nom.
Deuxième axe : les soirées électro et AV, performatives aux Subsistances, siège de l’école des beaux-arts de Lyon (Ensba), et dancefloor au club le Transbordeur. Faute d’avoir bénéficié de passe-droits, on n’a pas pu y assister. Apparemment, ça pulsait pas mal :
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Troisième axe enfin : les installations, en majorité aux Subsistances. Affluence du public pour toucher, s’immerger, découvrir et s’interroger sur ces propositions d’art interactif faisant la part belle aux productions nouvelles, qui exploraient la thématique 2017 du festival, « (Im)matérialités ».
Carton plein pour Mirages & miracles d’Adrien M et Claire B, un ensemble d’expériences tactiles et sensibles en réalités augmentée et virtuelle (RA et VR) à partir de saynètes articulant la pierre, le dessin et l’écran. Une « tentative de fabrication d’un animisme numérique » où les casques de réalité virtuelle sont des « machines à fantôme », expliquent-ils.
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Et l’on voit des visiteurs équipés d’un casque de VR ayant totalement oublié qu’on les observe lever les bras au ciel et caresser des pierres, tandis que dans la pièce à côté, des familles jouent à faire apparaître des petits personnages ou des nuages de pixels sur l’écran de leur tablette. Cette étape de travail est un avant-goût de la future exposition Mirages et miracles que le duo d’artistes prépare pour le festival italien Romaeuropa.
Les étranges machines du collectif berlinois Quadrature intriguent : posée sur une carte d’Europe, l’une d’elles noircit la surface de la France, trace tangible du passage des satellites au-dessus de nos têtes. On s’amuse des explications embarrassées des parents à leurs enfants. Satelliten (2015) enregistre et retrace le parcours en orbite des satellites dans un carré de 10cm2, tandis que les deux machines de Voyager (2015), elles quasi immobiles, sont reliées aux sondes Voyager 1 et 2.
On est moins convaincue par le Préambule au laser du studio lyonnais Flair. Un jeu entre les visiteurs, le son et la lumière, à propos duquel on nous explique (en convoquant l’anthropocène…) qu’il s’agit aujourd’hui de savoir négocier des espaces… Idem du mastodonte Minnk, de Wilfried Della Rossa et Before Tigers, « voyage immersif à travers un écran en apesanteur dans des paysages numériques ». Le truc le plus chouette de cet art numérique pompier, c’est la vision d’ensemble des grappes de visiteurs couchés sous l’écran. L’œuvre, c’est nous ?
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Prise de risque
On fera crédit cependant au Mirage festival de montrer de nouvelles pièces et donc de prendre le risque de dispositifs mal calés. Comme d’ouvrir sa programmation à la génération qui vient. Le Réfectoire des nonnes aux Subsistances était ainsi occupé par Waving at the Network(Shop), restitution d’un atelier d’étudiants de l’Ensba avec l’artiste designer Félicien Goguey au sein du labo NRV (Numérique Réalités Virtualités), qui explorait une matérialisation des réseaux. La trompe d’éléphant de Cracken, animatronique conçu par Kévin Ardito, qui frémit en fonction de l’utilisation du wifi, ou la sonification des antennes GSM du Data Oratorio d’Olivier Bienz, apportaient une fraîcheur frugale dont manquent certaines grosses installations immersives.
Pour Jean-Emmanuel Rosnet, directeur artistique, le Mirage festival explore les « frictions entre l’art numérique et les industries créatives ». Jusqu’aux makers. Au Pôle Pixel, l’espace Idémo présentait quelques projets de makers, artistes, jeunes studios sélectionnés sur appel à projet. On y a retrouvé avec plaisir les jeux papier/écran de Jérémie Cortial et Roman Miletitch : Papertronics est une variante light de leur Flippaper (les couleurs dessinent les trajectoires du gameplay).
On a découvert le tricot orageux de Svblimation, qui, via Processing et un petit peu d’Arduino, visualise les orages ou les fréquences sonores d’un opéra. C’est le travail de fin d’études de Claire Deville à l’ECV Provence, qui a depuis créé avec Emilien Brandon le Studio culotté.
Et on se frotte littéralement aux coussins doudous raconteurs d’histoires de la Suisse Cassandre Poirier-Simon, sortie de la HEAD à Genève en 2012 et qui a développé avec Myth_n une gamme de prototypes d’objets sensibles : en pinçant le coussin, on enregistre une histoire, et on écoute celle qu’a laissée le visiteur précédent.
Le site du Mirage festival 2017