Deux ans déjà que notre makeuse tient cette chronique sur Termatière, son projet de création d’entreprise en matériaux biosourcés. Alors que son projet est sur les rails, retour sur une aventure mouvementée.
De l’idée à l’entreprise
Il y a deux ans, je venais à peine de poser mes valises à Montpellier avec une idée en tête : créer mon entreprise à partir de recherches sur la valorisation des déchets viticoles en matériaux biosourcés. Si Termatière m’a emmenée dans le Sud, à la rencontre de l’incubateur de Montpellier Supagro, je pensais ne rester qu’un an ou deux à la tête de l’entreprise, le temps de trouver quelqu’un pour me remplacer et de retourner dans mon garage bricoler mes machins.
Dès le début, ma motivation n’était pas d’être chef, mais faire ce que j’aime, de la manière dont je l’imaginais. Pour défendre concrètement ma conviction première : les matériaux de demain seront biosourcés.
Je suis arrivée à Montpellier avec une cinquantaine d’échantillons de matériaux d’origine viticole, bricolés dans mon atelier improvisé. Je rêvais alors de créer une coopérative, dont le mode de fonctionnement correspondrait à mes valeurs et à la vision humaine de mon projet. Une coopérative qui allait tout faire : récolter les sarments de vigne, les transformer en matériaux, fabriquer des caisses de vin, les vendre et les distribuer. Puis j’ai rêvé moins fort. D’abord parce que j’ai commencé à comprendre la réalité économique de la chose, et puis parce qu’au fond de moi, je n’ai jamais eu envie de devenir fabricante-vendeuse de caisses de vin. Mon truc, c’est le matériau et toute la démarche territoriale qui va autour.
Ce travail de définition du projet a mis du temps, beaucoup de temps, à se réaliser. Parce que je partais de loin, parce que je n’avais encore que ma casquette de designer-makeuse et qu’il m’a fallu changer de cerveau par moments pour voir le projet sous un autre angle. Termatière est passée successivement d’une agence de design spécialisée dans le biosourcé à un bureau d’études sur les matériaux locaux ou encore une coopérative de matériaux. Vous avez dû avoir du mal à suivre tout ça parfois !
Dans les formations que j’ai suivies à l’incubateur, on m’a parlé modèle économique, fonds de roulement, financement… Avec le temps, j’ai appris à prendre du plaisir aussi sur ce volet entrepreneurial et à aimer la gymnastique que cela comporte. Plus j’ai avancé dans la construction du projet, plus j’ai savouré la liberté de faire mes propres choix pour modeler l’entreprise de mes rêves et m’épanouir dans un travail qui me passionne.
Etre accompagnée par Agro Valo Méditerranée (Supagro) m’a permis de travailler avec deux laboratoires de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), Sciences pour l’œnologie (SPO) et l’Ingénierie des agro-polymères et technologies émergentes (IATE), qui m’ont aidée à mettre au point mes matériaux 100% viticoles. J’ai ensuite intégré Alter Incub, puis l’incubateur de l’Ecole des mines d’Alès, pour travailler au labo matériaux de l’école, le C2MA. J’ai remporté plusieurs concours, obtenu deux importants financements de la région Occitanie et eu de nombreux soutiens dans le réseau mobilisé autour du projet.
Le choc des cultures
Pas facile de faire des choix entre son éthique, la philosophie maker et les réalités de l’entrepreneur ; pas simple de trancher entre open source et brevets de protection ; pas évident de me confronter en tant que makeuse à d’autres cultures, celles de la science, de la recherche, de l’entrepreneuriat. Créer sa start-up est plus que jamais à la mode mais l’écosystème start-up, avec grosse levée de fonds, puis parfois gros coups, ne m’a jamais correspondu.
Termatière résulte d’un cocktail. Cette hybridité entre design, science et recherche et culture maker, je la cultive et la revendique dans la « méthode » que j’ai formalisée. Pendant ces deux ans, je n’ai cessé de retourner en Afrique de l’Ouest m’inspirer de modèles low-tech, ancrés dans une économie sociale et solidaire. Cela a considérablement influencé la construction et la philosophie de Termatière.
Termatière aujourd’hui, c’est quoi?
Le savoir-faire de Termatière est de valoriser des ressources locales grâce à une approche low-tech à forte dimension territoriale. L’entreprise se structure en quatre pôles d’activités.
Le premier et le central, le pilier interne du squelette de l’entreprise est l’atelier R&D, ce labo de garage où j’expérimente les résidus pour fabriquer des échantillons de matériaux. Une approche empirique, intuitive, créative, qui fait la part belle à la sérendipité.
Cette activité donne lieu à la formalisation de matériauthèques territoriales. C’est Termatière qui impulse ses projets de développement de nouveaux matériaux. Une fois les échantillons réalisés, je me rapproche de labos partenaires pour un appui technique. En tant que designer, j’envisage aussi les pistes d’applications, ce qui permet d’orienter rapidement un cahier des charges précis ; en tant qu’entrepreneure, j’étudie les marchés potentiels en me faisant accompagner. C’est toute l’histoire de la caisse de vin en composite de sarments de vigne ! Pour laquelle j’attends aujourd’hui les retours d’acheteurs potentiels.
Et la R&D by Termatière n’est plus la seule et unique activité de l’entreprise ! Je développe en parallèle du conseil, de la formation (animation de workshops « création de matériaux façon maker » dans des écoles de design et d’architecture), ainsi qu’un pôle d’activité de prestations en design produit, à partir de matériaux biosourcés.
Finalement, c’est à nouveau en Afrique que la concrétisation de ces activités m’amène. Me voici donc au Togo pour cinq mois. Au menu : des missions de conseil sur la valorisation de sacs plastique ; un projet de conception de mobilier 100% made in Togo (avec de la recherche de mise en œuvre de déchets agricoles, où je vais pouvoir à nouveau bidouiller) ; un workshop de création de matériau pour partager la méthode Termatière avec des étudiants en architecture… Le second projet de l’atelier R&D sur la stabilisation des briques en terre par des résidus agricoles (banane, huile de palme) se poursuivra en fil rouge.
Ici, au Togo, je me sens particulièrement inspirée dans ma quête de matériaux locaux permettant d’engendrer un véritable impact social, avec une façon de procéder et une culture qui correspondent à mes valeurs. En janvier, j’ai commencé à me salarier et créé Termatière au sein du réseau de la coopérative d’activité et d’emploi Mine de Talents. Le meilleur reste à venir 🙂 !
Retrouvez les précédentes chroniques d’une makeuse en matériaux