Flint, le bot journaliste qui personnalise ses newsletters
Publié le 13 février 2017 par Elsa Ferreira
Les bots sont partout. Ils sélectionnent désormais le meilleur de l’info pour vous. Flint, newsletter créée par le journaliste et expert Benoît Raphaël, envoie chaque jour des liens choisis par des intelligences artificielles. Tremblez, journalistes…
Profession : « éleveur de robots ». Après avoir participé à la création en France du Lab d’Europe 1, du Plus de l’Obs ou encore du Post (aujourd’hui le Huffington Post) le journaliste entrepreneur Benoît Raphaël lance sa nouvelle aventure éditoriale : Flint, une newsletter quotidienne dont les articles sont sélectionnés par des bots, sous forme d’intelligences artificielles entraînées et influencées par des experts et des communautés.
Sur Medium, le spécialiste en innovation média explique la genèse du projet, né de Trensboard, une start-up lancée avec son ami Jean Véronis, chercheur pionnier en traitement automatique des langues. Malgré le décès de celui-ci en 2013, l’idée d’un « assistant qui [l]’emmènerait sur la route de la connaissance » et serait capable de le sortir de sa bulle ne l’a jamais lâché, explique-t-il aujourd’hui à Makery. Avec Thomas Mahier, ingénieur big data et directeur technique de la start-up, il poursuit l’aventure du robot journaliste. Les premiers tests se déroulent en novembre 2015. Le 8 février 2017, Flint est lancé.
Vous aimez le collaboratif? Vous aimerez les fablabs
La famille des bots est aussi nombreuse qu’hétéroclite. Dans l’actualité récente, on a entendu parler des presque bots de campagne de François Fillon, de ceux des partisans de Trump, du bot boursicoteur Trump & Dump, ou encore des bots conversationnels lancés en avril 2016 par Facebook. Sans parler des spambots… Résultat : plus de la moitié de l’activité en ligne est générée par des organismes non humains.
Les bots de Raphaël et Mahier, basés sur les technologies du machine learning ou apprentissage automatique, et des réseaux neuronaux, sont capables d’apprendre, de s’adapter et d’évoluer par eux-mêmes. Plus qu’un algorithme donc, une intelligence artificielle (IA).
Les bots journalistes de Raphaël et Mahier ne sont pour l’instant que deux. Il y a Flint, « capitaine des robots » qui a donné son nom au média, s’adapte aux goûts de ses utilisateurs et qui est programmé pour vous surprendre, et Jeff, spécialiste des médias, coaché par Benoît Raphaël et qui envoie la même newsletter à tous ses abonnés.
« Ça va plus loin qu’un simple algorithme de personnalisation qui s’intéresse à la sémantique des liens cliqués, précise Benoît Raphaël. Si vous cliquez sur des articles sur le collaboratif, il va comprendre que vous ressemblez à des gens qui s’y intéressent et qui s’intéressent à d’autres choses, comme l’environnement ou les fablabs. » Le journaliste s’est entouré d’experts qui entraîneront leurs propres bots dans leurs domaines de compétence (environnement et alternative durable, urbanisme, démocratie participative…)
Cartographie des influenceurs
Le programme s’appuie sur « l’intelligence collective », explique Benoît Raphaël. « Le robot analyse le comportement des gens sur Twitter et va essayer d’identifier parmi eux ceux qui partagent des contenus de qualité. » Ceux-ci vont servir, en quelque sorte, de « points de gravité » à partir desquels le robot va créer des liens, des distances, des similarités et établir sa propre compréhension de la notion de réseau. Si une personne partage les mêmes liens qu’une personne « certifiée qualité », elle aura à son tour des chances d’être considérée comme telle.
Ce système de communauté permet pour l’instant aux bots de passer au travers des fake news, sans passer par des filtres imposés, affirme Benoît Raphaël.
Commence ensuite un travail de « coaching collectif ». Tous les jours, Benoît Raphaël reçoit la newsletter préparée par ses intelligences artificielles. Sur sa console d’entraînement, il confirme ou non les choix de sujets, propose des sources ou élargit les thématiques du robot. « Il tient en partie compte de ce que je lui dis et va lui-même l’expérimenter dans sa manière de raisonner. » La ligne éditoriale, explique-t-il, est donc suggérée plutôt qu’imposée.
« Par exemple, Jeff s’intéresse aux médias, détaille-t-il. Soit il me parle de l’actualité (Morandini, Laurent Ruquier, les nouvelles séries, etc.), soit il me parle d’innovation, qui est plutôt mon domaine. Mais je veux aussi qu’il me parle de Youtube, Facebook, Snapchat, sans tout écraser. On essaie de cerner et faire comprendre au robot qu’il faut aller dans cette direction-là. »
Pour un contenu personnalisé, l’abonné ne doit pas céder aux clickbaits, ces appeaux à clics (capture écran). © Flint
Si Flint adapte son contenu en fonction des préférences de son utilisateur (en fonction des liens qu’il aura suivis ou pas), Jeff, lui, s’adapte à un groupe. Benoît Raphaël a réalisé un clone de Jeff pour le confier à un groupe média. La newsletter est ainsi envoyée à 2 000 personnes. « Comme le robot remonte les clics de ses abonnés, explique Benoît Raphaël, il a complètement évolué et parle désormais plus de télévision, des jeunes, des concurrents. Il s’est adapté à la communauté. »
Automatisation
Benoît Raphaël a beau utiliser des mots rassurants (Flint est d’ailleurs représenté sous forme de jouet), l’opération a quelque chose d’angoissant, surtout pour un journaliste : en déléguant sa veille à des intelligences artificielles, il se déleste d’une part importante de son activité. E les « influenceurs » ne pourraient-ils pas considérer leurs productions sur Twitter comme un travail ?
L’automatisation, le digital labor (ou travail numérique)… ces sujets d’époque annoncent des débats fascinants que Benoît Raphaël a bien l’intention d’étudier. « Cette expérience est aussi un projet qui doit nous amener à une vigilance et à une réflexion sur notre rapport aux robots », dit-il. Ces questions seront abordées en partie publiquement, sur la chaîne Medium de Benoît Raphaël, annonce-t-il. « Il ne s’agit pas de dire que les robots sont sympathiques. Il faut dédramatiser pour créer du lien. Mais à mesure de l’évolution du média, ces questions seront toujours prégnantes. »
Le projet, encore au stade expérimental, se veut « humaniste et collaboratif ». Flint a été mis en ligne de façon volontairement discrète mercredi 8 février pour laisser le temps aux communautés de s’approprier les IA. La question du modèle économique « n’est pas une priorité », assure Benoît Raphaël. « C’est un projet ouvert », annonce Raphaël qui lance un appel à « toute personne de qualité avec de bonnes intentions qui a envie de monter un projet ». Avis aux makers : les robots journalistes dessinés par Clémence Perrin ont été modélisés en 3D. « Si une communauté a envie de s’amuser avec, on peut leur donner les fichiers. »
Découvrez Flint et suivre ses évolutions sur la chaîne Medium de Benoît Raphaël