Anupama Gowda et Pavan Kumar, croisés à la conférence internationale des fablabs FAB12 à Shenzhen, ont créé le premier fablab de Bangalore, en Inde, sous une station de métro. Pour Makery, Anupama Gowda raconte.
Depuis avril 2015, dans 460m2 nichés sous la station de métro Halasuru, au cœur de Bangalore, en Inde, le makerspace Workbench Projects (littéralement les projets de la table de travail) accueille le public sept jours sur sept, proposant à ses membres tout le matériel d’un grand fablab digne de ce nom, tout en offrant côté café, des délices allant du petit déjeuner anglais à la pasta primavera, en passant par la salade César.
Mais plus qu’un fabcafé, c’est un espace de coworking, de pédagogie et de découverte, un incubateur de start-ups, un magasin d’outils et autres « armes de construction massive ». Bref un espace convivial pour développer ses idées et projets en collaboration avec d’autres.
La cofondatrice Anupama Gowda, enseignante en arts, raconte pour Makery la genèse du projet.
Aux origines du lab
« En 2011-2012, je dirigeais Brain Stars (Brains for Science & Technology Aided Research and Services), une organisation indienne de services pédagogiques. Mon projet, très ambitieux, consistait à développer un centre d’activités mathématiques pour les enfants de 8 à 13 ans. Numbernagar est devenu le tout premier centre d’apprentissage pratique conçu et développé en Inde pour les écoliers. Ce projet a demandé une collaboration étendue entre étudiants, enseignants, parents, universitaires et designers. Pour le mener à bien, j’ai engagé Pavan Kumar (ingénieur, ndlr) comme “co-conspirateur”. Nous nous sommes vite rendus compte que notre plus grand défi était de bâtir un prototype : il nous manquait un lieu dédié au prototypage rapide. Nous passions la plupart du temps à chercher les bonnes ressources, outils et machines afin de les répliquer. Ce qui aurait pu être fait en trois mois nous a pris un an… Cela nous a convaincus de la nécessité d’avoir notre propre espace – non seulement pour éviter d’épuiser notre belle énergie, mais surtout pour proposer aux gens qui, comme nous, ont des idées, d’avoir un lieu qui leur donne l’occasion de réaliser leur projet de la manière la plus efficace. C’est pourquoi nous avons créé Workbench Projects. »
Sous le métro de Bangalore
« En 2014, le métro de Bangalore (Bengaluru Metro Rail Corporation ou BMRCL) a lancé un appel d’offre pour l’occupation d’un espace sous la station Halasuru. Au terme de dix longs mois, notre dossier a enfin été sélectionné, en novembre 2014. En un temps record de quatre mois, à partir de rien, notre espace était entièrement construit et aménagé. Depuis le début, nous revendiquions une innovation responsable dans un laboratoire public et un lieu très accessible à tous. Y compris un espace public – alors qu’en général, les professionnels préfèrent ne pas travailler avec le gouvernement pour éviter toute la bureaucratie.
Workbench Projects s’est développé de manière organique. Ce qui était à l’origine un makerspace modeste est peu à peu devenu le premier fablab de Bangalore. Plusieurs start-ups s’en servent aujourd’hui comme espace de coworking. En fonction des besoins, le lieu s’est développé pour proposer de nouveaux services : un café, du packaging de produit, des services sur commande pour divers clients afin de rentabiliser l’espace…
Workbench Projects 2.1 tend vers la création d’un incubateur pour les passionnés de matériel, à l’instar de l’accélérateur HAX à Shenzhen en Chine. Quelle que soient les attentes, l’esprit de bricolage des débutants et des amateurs gardera son espace, quand bien même il faudrait élargir le projet pour devenir le premier incubateur en hardware d’Inde. »
Au cœur de la Silicon Valley indienne
« C’est forcément excitant d’être situé en plein cœur du hub des technologies de l’information en Inde. Nous sommes continuellement observés et souvent invités à collaborer pour assurer un bon mélange aux deux bouts du spectre (logiciel-matériel). Depuis l’initiative du Premier Ministre indien Make In India en septembre 2014, on parle à tort et à travers du mouvement maker, parfois complètement hors contexte. Mais jusqu’à présent, la culture maker n’a bénéficié d’aucun soutien public, hors du champ de la formation. On peut signaler la création de la National Skills Development Corporation, un organisme semi-public dédié au développement des compétences, qui dit vouloir soutenir la culture maker. Mais le processus sera long, car il faut encore sensibiliser les fonctionnaires du ministère du Développement des compétences et de l’Entrepreneuriat à la nécessité d’un soutien aux makers dans un pays en développement comme le nôtre et en même temps éviter que les makers se laissent intimider. Ça pourrait passer par la création d’un espace dédié aux makers au festival Make in India.
«Girls Gone Tech»
« Nous sommes convaincus qu’il faut faire quelque chose pour que les jeunes filles accèdent aux connaissances, compétences et différents aspects de la science et de la technologie. C’est pourquoi nous avons lancé le programme Girls Gone Tech, des ateliers qui mélangent le jeu et la technologie, afin de susciter l’intérêt des jeunes filles qui apprennent tout en s’amusant. L’atelier qui a eu le plus gros succès dans toutes les écoles privées et publiques où nous l’avons mis en place, “Circuits papier”, proposait une méthode interactive pour animer des dessins sur papier grâce à des LEDs. Les filles ont fait preuve de créativité et d’enthousiasme et ont rapidement compris les fondamentaux de l’électricité et des circuits électroniques, et leur intérêt a persisté au-delà du workshop. Autre atelier à succès, “Scratch Programming”, les éveillait au langage informatique simplifié du MIT. Animer des personnages, réaliser des storyboards et créer des jeux sont quelques-unes des applications de Scratch qui font appel au sens ludique des enfants tout en leur apprenant les bases de la programmation. Les filles ont très vite maîtrisé les commandes de Scratch. Nous avons pris conscience qu’il s’agissait d’un moment crucial pour leurs premiers pas sur la route du Faire. On sous-estime trop souvent le potentiel des filles, même très jeunes. Cette initiative nous a permis de comprendre en tant qu’animateurs à quel point il faut poursuivre ces programmes, ne pas se contenter d’une intervention unique.
«Innovation responsable»
« Nous insistons toujours sur notre soutien total aux makers investis dans l’“innovation responsable”, à savoir des projets présentant un impact à la fois quantitatif et qualitatif. Parmi nos membres, il y a un architecte qui fabrique une machine qui transformerait les marées en énergie pour les maisons situées sur la côte indienne, et une équipe qui développe des appareils à base de simples tiges en bois pour assister les handicapés. Nous les accompagnons jusqu’à la réalisation de leurs prototypes, parfois même en contribuant directement via nos services en développement de produit.
Nous sommes toujours en quête de nouvelles collaborations et de soutiens pour financer des projets pilotes. Actuellement nous montons pour Shell un dossier demandant leur soutien sur un projet pilote d’énergie durable.
Notre rôle consiste en tant qu’animateurs de Workbench Projects à permettre aux utilisateurs de notre espace de créer des connexions et d’initier de nouvelles collaborations. Nous sommes toujours ouverts aux spécialistes partageant notre vision à qui nous proposons une plateforme pour l’expérimentation et l’exploration sans réserve. Jusqu’ici, cette stratégie a fonctionné à merveille.
Workbench Projects, interview des fondateurs pour le Sriharsha Innovation Show, 2016 (en anglais):
Le site web de Workbench Projects
La conférence TEDx de Pavan Kumar