Chronique d’une makeuse en matériaux (21)
Publié le 24 janvier 2017 par Caroline Grellier
Le premier matériau de Termatière, un composite de sarments de vigne, est entre les mains de clients potentiels. En attendant leurs retours, notre makeuse a rencontré d’autres passionnés de matières à recycler en Afrique.
J’ai passé décembre au chaud. Ni sous ma couette, grippée comme un million de Français, ni devant une cheminée, pour contrer la vague de froid hivernale. Mon thermomètre affichait une température pour le moins exotique, mais normale : j’étais au Togo, en pleine saison sèche. Suite au Forum des jeunes entrepreneurs du Togo début décembre, j’avais décidé de rester pour travailler sur mes prototypes entamés cet été de briques de terre renforcées de résidus agricoles (bananier, palmier à huile).
Mais comme les choses se passent rarement comme prévues au Togo, lesdits prototypes n’ont pas tellement avancé. Entre les difficultés d’organisation avec mon partenaire local, le Centre de la construction et du logement, et la sévère gastro que j’ai accusée (ben oui, à défaut d’une grippe…), j’ai aussi dû renoncer à l’aide des ouvriers du Centre, partis chercher de la terre à l’intérieur du pays. Ça ne m’a pas empêchée de faire de belles rencontres de makers passionnés, d’amoureux de la matière, de matériaux locaux, du recyclage, de la fabrication de machines. En voici quelques-unes.
Mickaël Elom Kada-Sedobe, inventeur de machines
Bricoleur invétéré, Mickaël faisait partie des finalistes du Forum des jeunes entrepreneurs du Togo, où il présentait un vélomoteur alimenté grâce à des panneaux solaires. L’année dernière, il avait remporté le concours avec une machine à briques ingénieuse, permettant de produire 14 briques (au lieu de 2) grâce à un système mécanique reposant sur un simple piston à actionner.
Sa machine, il l’a dessinée sur une feuille de papier avant de la prototyper en partie chez lui, en partie avec les ferrailleurs du quartier pour enfin la prêter à des ouvriers qui l’ont testée. Mickaël réalise en ce moment quelques améliorations suite aux remarques des maçons. Et puisque son cerveau fourmille d’idées, il y a fort à parier que lors de mon prochain séjour, une nouvelle machine sera dans sa cour !
Kossi Assou, designer plasticien
Designer et plasticien, Kossi Assou jongle entre ses deux casquettes. J’admire son travail brut de la matière, son aptitude à transcender le bois et le métal pour créer des surfaces étonnantes. En 2015, j’étais intervenue auprès de ses étudiants en architecture de l’EAMAU afin d’initier un débat sur le statut de l’architecte et le rôle du designer en Afrique. Les échanges m’avaient tellement passionnée que j’avais voulu en faire une thèse !
Je n’ai pas été déçue : une journée en sa compagnie, à partager nos projets et à écouter son point de vue sur l’avenir du design sur le continent, ne m’ont pas poussée à la thèse mais à un potentiel projet éditorial…
Olivia Linder, architecte de terre
Le bouche à oreille, c’est encore ce qui fonctionne le mieux au Togo. C’est comme ça que j’ai connu Olivia Linder, jeune architecte suisse spécialisée dans les constructions en terre. En échangeant avec elle sur mon projet de briques, nous nous sommes découverts de sérieux atomes crochus à propos de valorisation de matériaux. Olivia a réalisé le projet architectural de l’Espace Viva (en partie crowd-financé), un centre de loisirs tout juste ouvert à Lomé, qui propose un bar à cocktail de fruits et des activités pour enfants placées sous le signe du développement durable.
L’espace, construit à 80% en matériaux recyclés, se compose de trois conteneurs principaux. J’ai adoré regarder chaque détail de recyclage de matériaux : un sol en semelles de chaussures (antidérapant !), des plafonds en lattes de palettes calepinées, des mobiliers en bidons d’huile et vieux pneus, des luminaires en plastique, etc.
Latevi, artisan de génie
Mon œil de curieuse traîne souvent dans les ateliers des artisans en Afrique. On peut les observer travailler sur le bord de la route, sous une fine tôle qui délimite l’atelier et abrite une ou deux tables de travail. Les menuisiers me fascinent particulièrement car ils travaillent le bois avec très peu d’équipements électriques, la plupart du temps à l’huile de coude. A force d’aller et venir devant le menuisier de ma rue, d’observer un autre travailler avec ses apprentis au feu rouge du quartier, de voir les mobiliers exposés au bord de la route en passant à moto, je me suis intéressée à leur façon de concevoir les meubles. Ces objets mastodontes, réalisés en bois massif avec des assemblages bois-bois gourmands en temps de travail, ont une durée de vie limitée car l’harmattan, un vent du Sahel très sec qui souffle en décembre, assèche le bois, le fissure, le fragilise, et sont coûteux. Le prix d’une table avoisine un mois de salaire…
En collaboration avec un artisan de génie qui maîtrise tapisserie, menuiserie, ferraillerie, vernis, etc., je construis donc un projet pour fabriquer plus simplement des meubles moins chers, en expérimentant rembourrages en fibre de coco, panneaux en feuilles de bananier, tissages en kénaf !
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