La maison dynamique verra-t-elle le jour un jour?
Publié le 23 janvier 2017 par Elsa Ferreira
Une maison qui s’adapte aux saisons et s’ouvre comme une fleur. La belle idée d’architectes londoniens est devenue virale… 7 ans plus tard. Mais toujours pas réelle. Rencontre avec les créateurs de «D*Dynamic».
A Londres, de notre correspondante
C’est l’un des tours de magie dont est capable le Web : ressortir de sa manche une vidéo et la rendre virale. À nouveau. Sans raison apparente. Cette fois-ci, ce sont les architectes David Ben Grünberg et Daniel Woolfson de D*Haus qui ont bénéficié de l’opération. Une vidéo éditée par Hashem Al-Ghaili et ses près de 7 millions d’abonnés Facebook de leur « maison dynamique », qui s’adapte aux différentes saisons en se pliant comme un origami (projet daté de 2009), postée le 2 janvier 2017, a récolté 9 millions de vues en quelques jours à peine. Nous avons cherché à en savoir plus.
D*Dynamic, la maison modulaire de D*Haus (vidéo D*Haus, 2011):
Dans l’agence londonienne qu’ils ont fondée, David Ben Grünberg et Daniel Woolfson, 33 ans tous les deux, se réjouissent de ce soudain regain d’intérêt. Mais s’interrogent : « On n’a rien à voir avec ça. Personne ne nous a rien demandé, ils ont juste copié la vidéo, l’ont mise en ligne et ça s’est emballé. »
La maison dynamique a été développée pour la première fois en 2009 par David Ben Grünberg pour son projet de fin d’étude à l’école d’architecture de Manchester. « La maison a été créée pour des températures extrêmes, retrace-t-il. La mission d’origine était de construire une maison assez flexible pour la Laponie, où il fait très froid en hiver et chaud bouillant en été. » Il s’inspire des tables créées en 1987 par son père, un artiste lui-même inspiré par le concepteur de casse-têtes Henry Dudeney (1857-1930), et imagine une maison capable de se refermer sur elle-même pour conserver l’énergie ou s’ouvrir sur l’extérieur tout en évitant une exposition trop directe. « Elle peut même chasser l’énergie, suivre le soleil », explique David.
Déjà, le projet connaît un certain succès et s’expose dans les médias grand public, de la BBC au Daily Mail. David s’associe alors à son camarade de classe Daniel pour lancer D*Haus.
En archi, qui paie la recherche?
« Comment convertir une idée en réalité », se demandent alors les architectes. Réponse : il faut de l’argent. Pas facile, d’autant que nous sommes en 2010, que la crise financière vient de passer par là et que le bâtiment pose un paquet de défis : comment relier les parties mouvantes aux services (canalisations, électricité, etc.), quel mécanisme utiliser pour faire bouger les différentes parties de la maison et contrôler les mouvements, comment obtenir les permis de construire… « Le projet est tellement novateur qu’il y a énormément de tests et d’erreurs à réaliser, expose Ben Grünberg. Nous avons besoin de recherche et développement. Mais est-ce au client de payer ? C’est une grande question. »
Le développement se fera pas à pas. D’abord à petite échelle, c’est l’étape mobilier. Les associés construisent leur premier proto sur leurs propres deniers, pour 1 000£ (environ 1 200€), et courent les salons d’exposition. En 2011, ils trouvent en Corian, la marque de matériau composite qu’ils ont utilisé pour leur proto, un sponsor pour construire un second prototype. Trop cher (6 000£) pour être rentable, il leur permet de passer à la troisième étape, qui consiste à partir au Danemark pour créer une version en bois, encore pas à l’échelle.
En 2013, ils lancent une campagne sur Kickstarter, qu’ils financent avec succès (30 000£) pour transformer la maison dynamique en D*Table, une table reconfigurable selon les mêmes principes, qu’ils vendront à une centaine d’exemplaires. Mission réussie, estime Ben Grünberg. « Nous sommes allés sur le marché avec un produit de grande qualité », constate-t-il.
Maison rotative
Seconde étape : le proto grandeur nature. En 2014, les architectes déclarent au Daily Mail qu’ils travaillent sur la première « D*Maison » dans le Cambridgeshire. L’opération est finalement abandonnée : trop de R&D au goût du client, avancent les architectes.
2017 sera-t-elle plus concluante ? L’année dernière, l’agence a commencé à construire une maison à Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. « Nous avons eu la chance de trouver des clients qui veulent une maison unique. » Si le terrain est trop petit pour envisager d’y bâtir une maison dynamique – « il faut un large périmètre autour du bâtiment pour que sa transformation soit possible » –, ils se lancent dans un bâtiment rotatif. Le projet dépasse largement le budget alloué (3,5 millions au lieu de 2,5 millions de £, détaillent les architectes), « mais les clients ont tellement aimé le design qu’ils vont construire une version statique », positivent-ils.
La maison dynamique verra-t-elle le jour ? « Oh oui, nous allons la construire, c’est sûr !, assure Ben Grünberg. Si on n’y croit pas, ça ne se fera pas. Et nous avons déjà tellement avancé, du projet étudiant au business. » Entre deux protos, les architectes officient en effet à Londres où ils construisent des maisons de ville ou des extensions. « Ça nous a aidés à développer nos propres idées. »
Le buzz récent de leur vidéo sur la page de Hashem Al-Ghaili confirme que l’intérêt du public est toujours là. « C’est comme si le monde ne voulait pas laisser tomber. » À l’heure où l’architecture se fait de plus en plus écologique, évolutive, adaptative, responsive…, la maison pourrait avoir de beaux jours devant elle. « Il faut seulement quelqu’un d’assez courageux… », selon Ben Grünberg. Et aux poches bien garnies : les architectes estiment à 5 millions de £ le premier prototype grandeur nature (environ 5,77 millions d’€). Chaque nouvelle maison coûterait ensuite 2 millions de £ (2,3 millions d’€).
Prochaine étape ? « Je ne sais pas, que feriez-vous ? », nous retournent-ils. On suggère une maison plus modeste, amovible à la force des bras, comme la Tiny House 359 construite dans l’Oregon (États-Unis) par Path Architecture. Une maison miniature modulaire serait peut-être la meilleure façon de transformer ce proto rêvé en réalité tangible…