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Sea Bubbles, itinéraire d’un proto gâté

Un quai Sea Bubbles, station d'énergies renouvelables qui pourrait bientôt équiper les rives de la Seine. © DR

Le skipper Alain Thébault a choisi Paris pour tester ses taxis écolo qui lévitent sur l’eau, captivant le monde pour financer sa révolution du transport urbain. Annoncés pour juin, les Sea Bubbles ne sont encore qu’une maquette 3D…

En juillet 2016, le ministre de l’économie Emmanuel Macron, en visite au salon hi-tech Vivatech, annonçait avoir commandé deux navettes futuristes pour Bercy. « Les douaniers m’ont dit que leur bateau faisait des vagues », se justifie-t-il, alors que les Sea Bubbles navigueraient en toute discrétion. Vitesse acquise, cet hydroptère électrique avec sa cabine quatre passagers se soulève de 70cm, laissant apparaître des patins (aussi appelés foils), qui fendent l’eau en silence. Ces quasi ailes immergées à 45° sont soulevées par l’eau, comme l’air porte un avion. Sur foils, la friction réduite de 40% requiert moins d’énergie pour la propulsion.

L’Hydroptère, ses foils et ses records vont inspirer les Sea Bubbles. © CC

Elaboré dès la fin du XIXème siècle, l’hydroptère est cher au skipper Alain Thébault, à l’origine des Sea Bubbles. Celui qu’il a conçu, l’Hydroptère, un trimaran monté sur des suspensions dérivées de l’avion Rafale, a même battu deux records du monde de vitesse à la voile en 2009, dont l’un au-delà des 100 km/h. En 2015, l’objectif d’Alain Thébault n’est plus la vitesse mais une alternative propre à la voiture par voie fluviale. Il s’associe avec le véliplanchiste Anders Bringdal pour fonder Sea Bubbles, un projet de taxis flottants zéro émission. Les « bulles des mers » parcourraient 100km avec une charge de batterie. Et des embarcadères équipés de panneaux solaires et d’hydroliennes assureraient une recharge 100% énergies renouvelables. 

 

4 personnes à bord (dont le pilote): il va en falloir des bulles pour dépolluer les villes. © DR

Anne Hidalgo en embuscade

Dès sa genèse en juin 2015, les Sea Bubbles ont été pensées pour « désengorger les villes ». Il n’y a pas que Macron à être tombé sous le charme. La maire de Paris, Anne Hidalgo, propose d’expérimenter le proto sur la Seine. Bingo ! Les images rétrofuturistes des petites navettes voguant en lévitation au cœur du Paris millénaire vont faire le tour du monde. Et Londres, Genève, New York, la Silicon Valley par la baie de San Francisco et même Phnom Penh, vont déclarer leur flamme aux Sea Bubbles.

La Twingo des fleuves lève des fonds

Les Sea Bubbles n’existent même pas en proto que la start-up de Thébault lève 500 000€ auprès du capital-risque Partech, des fonds publics de la BPI et de Henri Seydoux, propriétaire de Parrot, qui vise la production des Bubbles françaises. Alain Thébault se sent pousser des foils, il contacte Tesla pour les batteries et rêve d’une version sans pilote. Très vite, la presse compare Sea Bubbles à Uber (qui envisage d’ailleurs de s’offrir une flotte). Alain Thébault espère vendre chaque bulle de mer 12 000€, pour peser sur le transport avec des commandes qui dépassent 1 000 véhicules. 

Les images de pods suspendus voguant sur la Seine font le tour du monde. © Sea Bubbles

Alain Thébault et les 14 protos

La start-up a beau être valorisée 10 millions d’euros, la fabrication des prototypes parisiens va quasiment épuiser la première collecte. Pour le skipper, c’est la routine, son Hydroptère a demandé 20 ans de recherche. Il confiait à Usine Nouvelle avoir débuté seul la conception des Sea Bubblesavec le bon sens « d’un paysan de la high-tech », avant de rejoindre avec Anders Bringdal des ingénieurs dans le garage d’un sous-traitant d’Airbus. Ils y travaillent sur des maquettes imprimées à l’échelle 1/8ème. Ne pas couler les passagers a nécessité plus de 14 versions de prototypes ! En juillet 2016, Le Point diffusait la vidéo d’un essai réussi sur l’eau.

Le prototype le plus avancé à ce jour est à l’échelle 1/8ème (capture écran). © DR

En décembre dernier, le fonds MAIF Avenir fait une entrée fracassante au capital de Sea Bubbles, à 3 millions d’euros. Largement de quoi fabriquer les prototypes à l’échelle 1. La cause est-elle entendue ? Une communication bien ficelée, des appuis politiques et financiers qui ne laissent guère place au doute. Pourtant, il reste des défis à relever pour que Sea Bubbles ne se transforme pas en bulle… financière.

La Seine n’est pas l’autoroute rêvée des Sea Bubbles

En septembre, le concurrent slovène Quadrofoil, qui a déjà produit son petit hydroptère, se signalait au duo Thébault/Hidalgo :

Selon l’ingénieur Olivier Daniélo, le Quadrofoil, un biplace qui pèse près de 100kg, a besoin d’une vitesse de 16km/h pour sortir ses ailes. Les Sea Bubbles, elles, ont 4 places et le poids qui va avec… Or, selon la direction territoriale du bassin de la Seine, la vitesse de navigation est limitée à 18km/h à condition de se trouver à 20m des rives. Les abords de l’Ile Saint-Louis autorisent 6km/h max ! Et certaines zones interdisent le dépassement. Péniches et autres bateaux-mouches seront-ils aux Sea Bubbles ce que sont les tracteurs aux nationales ?

Le Quadrofoil «vole» sur l’eau depuis 2014:

 

Foil ou fail?

Enfin, si les hydroptères ne font pas de vagues, rappelle Olivier Daniélo, ils les craignent, car cela compromet leur suspension. A moins qu’Anne Hidalgo invente une voie réservée aux taxis sur la Seine, Paris fait un peu office de cadeau empoisonné. Alain Thébault rêve sans doute déjà de San Francisco et sa vitesse de navigation à 40km/h pour concurrencer le transport terrestre. Le trafic routier parisien s’écoule péniblement à 15km/h mais le temps d’embarquer et de débarquer des bulles pourrait rétrograder les Sea Bubbles au rang de curiosité touristique.

Les Sea Bubbles vont peut-être perdre le sourire derrière une péniche. © Sea Bubbles

Y a-t-il un pilote dans la Bubble?

Alain Thébault pourra toujours jouer la carte tarifaire, qui promet une traversée de Paris pour 10€. Reste la solution sans pilote. Le temps d’obtenir les autorisations (et de faire le proto), ce sont peut-être toutes les voitures qui seront volantes. Enfin, côté docks, si les tests des hydroliennes ont été plus que performants, reste l’inconnue des importants écarts saisonniers du débit de la Seine.

Le rendez-vous de février (les premiers tests) est anecdotique. C’est en juin prochain que 10 Sea Bubbles entreront en service à Paris. D’ici là, une levée de fonds de 15 millions d’euros devrait couvrir la phase d’industrialisation. De quoi conjurer le sort de l’Hydroptère ? Le trimaran qui a fait la réputation d’Alain Thébault a été vendu en avril 2016 pour éponger les dettes de son créateur…

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