Pour sa réouverture, il fallait taper fort. C’est donc sur la peur, l’amour, l’espoir et le doute que joue la première exposition du Design Museum, à Londres. Sacré programme.
Londres, de notre correspondante
Fini le bord de la Tamise. Le Design Museum a déménagé et rejoint le South Kensington, à quelques pas du Science Museum, du Natural History Museum ou des grandes universités, comme l’Imperial College ou le Royal College of Art. Un quartier chic et culturel, pour cette institution du design ouverte en 1989, sous l’influence du designer Terence Conran, fondateur d’Habitat, et réouverte le 24 novembre dernier.
Installé dans l’ancien Institut du Commonwealth, restauré par les cabinets d’architectes hollandais OMA et londoniens Allies and Morrison et Arup, pour 83 millions de livres (environ 94 millions d’euros), le nouveau musée prévoit d’accueillir plus de 500 000 visiteurs. Pour sa rentrée, le temple des produits industriels, de la mode et de l’architecture fait la part belle aux makers avec sa nouvelle exposition permanente Designer Maker User où les imprimantes 3D et les ordinateurs en kit de Kano se mêlent aux premiers Apple et aux Vespas.
Mais c’est avec sa première exposition temporaire Fear and Love (peur et amour), que le musée veut frapper les esprits. « Quand le Design Museum a ouvert en 1989, la première exposition, Commerce et culture, portait sur la valeur des produits industriels, écrit Justin McGuirk, conservateur en chef du musée, dans le communiqué de presse. Trois décennies plus tard, nous considérons cette valeur comme acquise. Fear and Love va plus loin et propose un design imbriqué dans de plus grandes questions qui reflètent l’état du monde. » Onze artistes, designers, architectes ou professionnels de la mode, ont été invités à explorer ces thèmes et présentent ici leurs installations.
Vie rurale, vie urbaine
L’exposition s’ouvre sur l’installation de Rural Urban Framework, un bureau d’architecture à but non lucratif qui aide à consolider les communautés rurales chinoises transformées par les migrations de masse vers les villes. Dans un court documentaire, les architectes nous emmènent à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, à la rencontre des populations nomades qui se sédentarisent.
Plus loin, le cabinet d’architecture collaborative colombien Arquitectura Expandida présente une reproduction du bâtiment construit à l’occasion de cette exposition pour Ojo al Sancocho, un collectif qui apprend aux jeunes à réaliser des films à Ciudad Bolivar. Une construction collaborative dans l’un des quartiers les plus pauvres et violents de Bogota, que des migrants ruraux cherchant à fuir les conflits entre gouvernement et groupes paramilitaires ont fait naître.
Contraste entre vie urbaine et rurale toujours avec Ma Ke, présentée comme l’une des designeuses les plus influentes de Chine. Styliste à succès, elle décide il y a dix ans d’abandonner la mode commerciale pour revenir à une pratique artisanale. Elle peut désormais mettre plusieurs mois à fabriquer ses pièces, dans un procédé rituel de « plantation, récolte, tissage à la main, teinture aux plantes et enfin, couture à la main ».
Mimus, le robot qui s’ennuie
Mais c’est surtout dans sa réflexion sur la technologie que Fear and Love conquiert son public. Star de l’exposition, Mimus, un robot industriel conçu pour effectuer des tâches répétitives au sein d’une ligne de production. Sous l’inspiration de l’artiste et chercheuse américaine Madeline Gannon, du studio de recherche Atonaton, le robot est programmé pour repérer la présence des spectateurs, jouer avec et s’ennuyer lorsque son partenaire devient immobile.
Comme en réponse à Ma Ke, la styliste chinoise, l’œuvre Fibre Market de la designeuse hollandaise Christien Meindertsma, explore une nouvelle génération de machines capables de recycler les textiles par couleur et type de tissu. Une première qui permet d’imaginer un futur plus durable pour la mode.
Ultime coup de cœur de l’expo : Vespers, de Neri Oxman, directeur du Mediated Matter, un groupe de recherche de design au sein du MIT Medialab. Des masques imprimés en 3D, d’une précision hallucinante, réactivation par le designer des masques funéraires qui permettaient dans l’Antiquité de sauvegarder l’esprit du défunt et de protéger son âme « dans une forme de renaissance », présente le Mediated Matter. Oxman explore cette tradition à l’aune des nouvelles technologies. « La capacité de pouvoir imprimer à l’échelle des cellules nerveuses annonce un futur d’objets bio à porter pour par exemple nous alimenter en nutriments ou équilibrer nos micro-organismes », prédit l’artiste.
«Fear and Love», jusqu’au 23 avril 2017, 12£ (13,50€) au Design Museum, 224-238 Kensington High St, Kensington, London W8 6AG