Zooids: mais qui sont ces robots mignons?
Publié le 28 novembre 2016 par Elsa Ferreira
Digne d’une vidéo de chatons! Les mini robots de Mathieu Le Goc, une nouvelle forme d’interface manipulable, ont fait craquer le Web. Le chercheur français qui a créé ce proto en open source pour remplacer l’interaction avec l’ordinateur s’en explique.
Londres, de notre correspondante
11 millions de vues. L’armée de robots développée par Mathieu le Goc, doctorant à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), en collaboration avec des chercheurs du laboratoire Shape de Stanford, a conquis la Toile. Il faut dire qu’ils sont mignons, ces petits soldats électroniques qui se suivent pour former des lignes, l’air un peu gauche. « Déguisez-les en Minions, ce sera un hit pour Noël », suggère un internaute. Pas faux.
Les mini robots de Le Goc ne sont pas des Minions mais des Zooids. Soit, en français, un Zoïde, un « animal (individu) élémentaire qui compose les organismes coloniaux que sont les Ectoproctes ou Bryozoaires », d’après la définition Wikipédia.
Micro-erreurs et empathie
Les Zooids n’ont pas été dessinés pour être attendrissants mais en tant qu’interface manipulable. « L’attachement émotionnel que les humains peuvent avoir avec les machines est lié au mouvement. C’est quelque chose qu’on n’avait pas prévu, reconnaît Mathieu Le Goc. Nous n’avons pas d’empathie avec des machines aux mouvements mécaniques, identiques d’une itération à une autre. » Or, les Zooids, du fait de micro-erreurs de calculs et de divergences dans leurs moteurs, et donc leur temps de réaction, sont imprévisibles. Montés sur deux roues, « ils sont un peu instables, ils vont trop loin, se retournent, leurs mouvements ne sont pas précis, on dirait un peu des clowns », reconnaît Le Goc. Ne pouvant pas prévoir ses mouvements, nous associons beaucoup moins le Zooid à une machine, explique le doctorant, mais plutôt « à des petits animaux ». Bestioles, qui plus est, capables de nous apporter notre téléphone.
Présentation des Zooids, par Mathieu Le Goc:
Si le design du Zooid est arrivé par accident et par manque de temps, reconnaît Mathieu Le Goc, il n’en reste pas moins intéressant. « On aimerait pouvoir contrôler le degré d’empathie », indique le chercheur. Précis et prévisible en cas d’application sérieuse, comme la médecine, chaotique et rigolo lorsqu’on veut captiver l’utilisateur, dans une application éducative par exemple. « Modéliser ce comportement » donc… pour contrôler le niveau de mignonnerie.
Interface tangible
Mais tout cela est secondaire. Ce que veut faire Mathieu Le Goc, c’est avant tout une interface tangible et polyvalente pour visualiser des informations. C’est sa spécialité. A l’Inria, il fait partie du lab Aviz et imagine comment « représenter visuellement l’info et les big datas, représenter physiquement des données et les rendre interactives et dynamiques ».
Une des principales motivations de Mathieu Le Goc est de sortir du virtuel pour trouver une alternative à la technologie tactile. « Cette technologie est uniquement basée sur le fait que l’utilisateur bouge son doigt sur une surface plate. Il n’y pas de texture et ça néglige beaucoup les capacités manipulatoires », déplore-t-il. Il s’agit dont d’inventer une nouvelle forme d’interface tangible.
Les Zooids agissent comme des pixels. C’est l’idée, à terme, de supprimer l’écran. « On veut pousser l’expérience suffisamment loin pour qu’il n’y ait plus du tout de contenu graphique ou de projection. On pourrait repenser l’interaction avec les ordinateurs d’un point de vue beaucoup plus fluide, et par exemple avoir un ordinateur que l’on peut manipuler de n’importe où sans avoir un point localisé avec écran, clavier et souris. » Une sorte de matière programmable à la Terminator, suggère Mathieu Le Goc. « On imagine des nanorobots à l’échelle atomique qui peuvent se combiner entre eux, s’assembler et créer des volumes et des objets 3D. » On pense aussi aux Microbots des Nouveaux Héros, dessin animé de Disney sorti l’année dernière.
Comment ça marche
Voilà pour l’idéal. Dans la pratique, les Zooids mesurent un peu plus de deux centimètres de diamètre et répondent à un ordinateur qui leur envoie des commandes par lumière structurée. « C’est un séquencement de lumière noire et blanche qui va créer un code binaire, explique Le Goc. On reproduit ça à l’horizontale et à la verticale pour qu’à chaque point, il y ait un signal. »
Les robots ne se détectent pas entre eux. Pour ne pas se foncer dedans, chaque Zoïde est doté de deux capteurs qui lui permet de décoder les signaux lumineux, d’un capteur tactile et d’une radio qui l’aident à envoyer ses informations : sa position, son orientation et s’il est en interaction avec un utilisateur. « A partir de ça, on centralise l’intelligence dans un ordinateur qui va envoyer les ordres à chaque robot. De ce point de vue, chaque robot est relativement idiot parce qu’il ne sait pas ce qui se passe autour de lui, il faut qu’il demande à l’ordinateur. »
Open source
Les usages restent à inventer. C’est d’ailleurs le but de ces Zooids première version : pouvoir expérimenter, avance le doctorant, qui compte bien en faire profiter la communauté de chercheurs, voire d’amateurs. En documentant « suffisamment bien pour que quelqu’un qui n’a pas de connaissance particulière puisse faire son Zooid dans un fablab ». Le chercheur a lui-même fabriqué son proto au Fablab Digiscope, le lab de l’Inria ouvert au public, et pense que chercheurs et makers ont beaucoup à s’apporter, « notamment pour rendre les travaux comme les Zooids plus accessibles et faire profiter au plus grand nombre des avancées de la recherche ».
Une partie de l’assemblage est d’ores et déjà documentée en accès libre sur Github. Manquent encore la doc pour la partie logicielle et la fabrication, prévient Mathieu Le Goc. Pourtant, on lui demande déjà où trouver les petits robots : des étudiants, des profs, quelques chercheurs et même des entreprises qui veulent expérimenter le prototype dans leurs labos de recherche et développement. « On me demande même où on peut les acheter », rigole-t-il.
C’est la rançon de la gloire. Un prix que Mathieu Le Goc est plutôt prêt à payer. « Ça donne une portée plus large au projet », se réjouit-il en imaginant artistes et designers s’emparer du projet.