Le musicien Bucket Drummer Masa, 28 ans, ne se revendique pas comme un maker. Sa lutherie maison, une batterie de seaux plastique et un didgeridoo en PVC, lui a cependant apporté la renommée. Rencontre.
Tokyo, de notre correspondante
On le retrouve souvent installé dans un coin des passages piétons de Shibuya ou de Shinjuku, les quartiers branchés et bondés de la capitale japonaise, entouré de spectateurs captivés les samedis ou dimanches soirs. Un jeune homme à casquette, grosses lunettes noires et barbe de hipster tape sur des seaux en plastique, des ustensiles de cuisine en métal, souffle dans un long tuyau en PVC couvert d’autocollants.
Si le spectacle captive, le son complète l’hypnose : le rythme inlassable des battements, dont le timbre varie selon la configuration du tambour, et le bourdonnement ininterrompu du tuyau en guise de didgeridoo, transforment la nébuleuse sonore en transe. Bucket Drummer Masa (le batteur qui tape sur des seaux), nom de scène du musicien de rue Masamichi Kato, mixe le low-tech, l’endurance et le plaisir du partage.
La route de Masa, 28 ans, a commencé il y a plusieurs années avec un rêve : faire une tournée en dormant sous la tente, sans trop dépenser. Sauf qu’une batterie est trop lourde à transporter dans un sac à dos… Il découvre alors les bucket drummers sur Internet, ces musiciens de rue qui tapent sur des seaux et autres instruments de percussion improvisés. Il est séduit, puis convaincu. Il récupère des seaux en plastique dans une station service, expérimente les différentes sonorités des seaux renversés, superposés, vidés et remplis…
Histoire de se distinguer des nombreux autres bucket drummers déjà actifs à travers le monde, il achète un long tuyau en PVC dans un magasin de bricolage qu’il façonne en didgeridoo. Cet instrument de musique à vent, probablement le plus ancien au monde, joué par les aborigènes d’Australie il y a au moins 1 500 ans, n’est pas facile à maîtriser, encore moins quand on joue de la batterie en même temps. « Une fois qu’on apprend la respiration circulaire, on s’y habitue », dit le percussionniste aventureux.
Bucket Drummer Masa sur scène au Pesta Camp, juillet 2016:
En effet, si d’autres musiciens DiY dans le monde ont réussi à perfectionner, voire professionnaliser, leur spectacle de percussions insolites (on pense à l’Italian Dario Rossi), de tuyaux techno acoustiques (le Pipe Guy australien) ou même de didgeridoo hip hop (le Japonais Smily), Masa semble avoir trouvé sa niche en mélangeant les genres et les instruments. « Je voulais relever le défi d’émuler la musique électronique, comme la techno et la transe, autant que possible avec de l’analogique », dit-il.
En février 2012, Masa commence à battre les seaux et jouer de son didgeridoo DiY dans les rues de Melbourne, où il est bien reçu par les passants australiens. Content d’avoir enfin trouvé son bonheur, il rentre au Japon pour entamer son voyage de rêve : une tournée épique à travers chacune des 47 préfectures du Japon, d’Okinawa à Hokkaido, en passant par son lieu natal de Kanagawa au sud de Tokyo.
Avec Bucket Drummer Masa (en japonais):
La plus forte impression de son one man roadshow lui est venue de la préfecture de Mie. Alors qu’il jouait devant un petit groupe de spectateurs, il remarque un jeune garçon qui, trop timide pour s’approcher, se cache derrière son père, les yeux rivés sur sa longue barbe. Le lendemain matin, Masa recevait un message de la mère du garçon, qui, une fois rentré à la maison, s’était mis une fausse barbe et avait commencé à taper sur des seaux et des bols de récup.
Masa ne se considère pas vraiment comme un maker. Il lui est pourtant arrivé d’animer quelques ateliers, tout comme il est parfois invité à partager sa musique avec les enfants dans les écoles primaires et les jardins d’enfants. Mais ce qui compte le plus pour ce luthier DiY malgré lui, c’est la découverte du plaisir par la création du son. Comme il le raconte à la fin de sa conférence TEDx à l’université de Nagoya en 2015, l’essentiel est de toujours chercher son plaisir au-delà des normes sociales, de retrouver l’invisible et de découvrir l’inattendu. Pour Masa, en tout cas, la révélation a pris la forme des bucket drums et d’un didgeridoo DiY.