Une descente des autorités, un bâtiment qui s’effondre… Pour conjurer le sort, les membres du Cairo Hackerspace sont devenus nomades et sillonnent l’Egypte en minibus à la rencontre des makers du pays. Témoignage.
Il avait quasiment disparu des radars. Le Cairo Hackerspace a enfin redonné signe de vie… sur les routes. Depuis le 15 octobre, ses membres sillonnent l’Egypte à bord d’un minibus transformé en lab mobile. L’objectif de ce Maker Express : aller à la rencontre des communautés makers du pays et stimuler la création de nouveaux tiers-lieux.
Un choix de liberté, mais aussi une obligation suite à la fermeture de l’antre des hackers cairotes, comme nous l’explique entre deux étapes Tarek Omar, directeur du Cairo Hackerspace et pilote de l’expédition. « Cette année, nous avons dû faire face à de nombreux problèmes avec notre espace physique, ce qui nous a poussé à trouver des solutions pérennes et à faire en sorte que le hackerspace puisse toujours fonctionner, d’où l’idée du minibus. »
Sous surveillance
Depuis près d’un an, le plus ancien hackerspace égyptien, actif depuis 2009, cumule les mésaventures. Tout commence le 28 décembre 2015 par une descente surprise des autorités à la Townhouse Gallery, le centre d’art contemporain qui l’héberge. Fouille des lieux et des ordinateurs, vérification des identités, interrogatoires… Sans plus d’explications, une vingtaine d’agents dépêchés par le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Emigration et les impôts décide de la fermeture du centre, malgré l’intervention des avocats de l’association égyptienne pour la liberté de pensée et d’expression.
Deux mois plus tard, ils autorisent brièvement sa réouverture avant de se raviser. Le flou règne. Rencontrés par Makery début avril à Paris, les membres du fablab Egypt n’en savent pas plus. Le sort s’acharne lorsque le 6 avril, une partie du bâtiment historique datant de la fin du XIXème siècle s’effondre.
We are very sad to announce that the building that hosts Cairo Hackerspace had collapsed this morning. pic.twitter.com/wziTvd9D9P
— Cairo Hacker Space (@CairoHackers) April 6, 2016
People lost their home and shops, @TownHouse_Cairo lost the gallery and we lost our space.. pic.twitter.com/z3ENF9Hp9p
— Cairo Hacker Space (@CairoHackers) April 11, 2016
Les membres du hackerspace se précipitent pour récupérer ce qui peut l’être, juste avant l’ordre de démolition émis par les autorités qui commencent le démantèlement intérieur le 11 avril. Ultime coup de théâtre deux jours plus tard : le bâtiment sera finalement sauvegardé. Mais le Cairo Hackerspace se retrouve sans domicile fixe. L’idée d’un hackerspace mobile, déjà en gestation depuis plusieurs mois, se concrétise alors.
5000km en trois mois
Zagazig, Mansourah, Damiette, Port-Saïd, Ismaïlia… Le Maker Express a démarré son périple mi-octobre par les grandes villes du delta oriental du Nil et du canal de Suez avant de descendre vers la Haute-Egypte. Equipé d’imprimantes 3D, de découpes laser, d’électronique, de robots et d’outils éducatifs, le minibus devrait ainsi rallier une vingtaine de villes en trois mois. Sans compter les étapes intermédiaires, soit 5000km à parcourir dans des conditions parfois éprouvantes.
chttps://twitter.com/makerexpress_/status/787778309774073856
« Les difficultés que nous avons rencontrées nous poussent à évaluer notre impact sur les communautés hackers et makers à l’échelle du pays, pas juste autour de nous, ajoute Tarek Omar. Un makerspace mobile nous donne l’opportunité de déployer notre action, d’atteindre des personnes et des lieux en dehors du Caire pour leur montrer concrètement le fonctionnement et la philosophie d’un hackerspace ou d’un makerspace. »
Trois mécaniciens, un navigateur, mais aussi des développeurs, des graphistes, un photographe… Une douzaine de personnes participe à l’organisation de l’expédition, dont trois à bord. « Nos principaux challenges sont d’ordre logistique, affirme Tarek Omar. Maintenir le bus en bon état est une lutte quotidienne, car nous couvrons jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres par jour. Et puis, nous nous rendons dans des endroits que nous ne connaissons pas, c’est compliqué de trouver à se loger, de budgétiser nos dépenses… »
«Parfois, nous dormons dehors. Sur la plage, quand il y en a une, ou dans le bus. C’est une aventure en soi.»
Tarek Omar, directeur du Cairo Hackerspace
Camping last night #Ontheroad #makerexpress #eshbook #ninja_recruit @CairoHackers @makerexpress_ @teshbook pic.twitter.com/3ullKVy7vK
— Maker Express (@makerexpress_) October 19, 2016
« Nous ne ciblons pas que les hackerspaces ou les makerspaces, car c’est encore un mouvement balbutiant en Egypte, explique Tarek Omar, mais aussi les espaces de coworking, les start-ups, les centres culturels ou éducatifs… Pendant les trois mois de notre tour, nous espérons voir 150 lieux et inspirer la création de nombreux autres.»
Des plantes connectées pour éduquer
A chaque étape, le Maker Express déploie son arsenal d’ateliers et de conférences, couplé avec l’installation d’un lab éphémère pour apprendre à utiliser les machines de fabrication numérique. Leur principal workshop consacré à l’Internet of Plants (IoP, l’Internet des Objets version main verte), apprend aux participants à installer des plantations connectées, fabriquer et poser des capteurs, gérer les besoins et la croissance des végétaux via un tableau de bord… Un sujet crucial dans une société encore très rurale devant faire face à des pénuries d’eau chroniques.
« En apprenant aux gens à gérer les besoins en eau de leurs plantes grâce à des connaissances de base en électronique, nous encourageons des modes de vies plus durables et plus respectueux de l’environnement, dit Tarek Omar. Et avec les conférences et le makerspace éphémère, nous motivons la construction de communautés, en montrant que les idées et les buts évoluent toujours mieux quand ils sont partagés. »
Prochaines étapes : Louxor les 16 et 17 novembre, puis Assouan du 20 au 22 novembre, avant de remonter vers le nord par la mer Rouge. Halte finale prévue au Fayoum le 29 novembre, avant que le hackerspace ne reprenne ses marques dans un lieu temporaire au Caire. A moins qu’il ne reste nomade…